Intervention de François Logerot

Réunion du 27 avril 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques :

La question soulevée par M. Mennucci ne s'est pas seulement posée lors des élections municipales à Marseille. Nous constatons une tendance croissante des partis – soit sur le plan national, le meilleur exemple étant celui du Front national, soit sur le plan local, par exemple au sein d'une fédération départementale – à mutualiser des dépenses entre des candidats. Comme les partis ont le droit, reconnu par l'avis Beuret du Conseil d'État en 2000, de facturer des prestations qu'ils produisent eux-mêmes ou de refacturer au candidat des prestations de fournisseurs extérieurs, cette mutualisation est tout à fait admise. La Commission souhaite seulement que les critères de répartition de la dépense entre plusieurs candidats soient clairement expliqués et qu'ils aient une base rationnelle. Pour l'anecdote, nous avions constaté, il y a une dizaine d'années, qu'un parti mettait une très grosse proportion d'une même dépense sur le compte d'un candidat dont le score permettait le remboursement des dépenses, et une portion congrue de celle-ci sur celui d'un candidat dans un autre canton qui a finalement recueilli moins de 5 % des suffrages…

Il faut donc une règle du jeu. Mais, dès lors qu'il s'agit bien de dépenses électorales, elles peuvent parfaitement se trouver dans le compte. La difficulté qui s'est présentée à Marseille, c'est que les répartitions de dépenses entre candidats ont été présentées dans un premier temps, au moment du dépôt du compte dans les délais, et qu'ensuite, dans une seconde présentation, ce compte a été profondément modifié. Or, la jurisprudence du Conseil d'État ne nous permet pas d'accepter un second compte complètement différent du premier. Sous cette réserve, les dépenses mutualisées sont tout à fait acceptables et l'on comprend parfaitement l'intérêt des partis et des candidats : le parti peut se procurer des conditions meilleures pour ses candidats ; il peut également avoir les moyens de mieux apprécier les offres et de mieux discuter des prix.

Les questions posées par M. Fenech sont fondamentales. Il ressort des règles même d'organisation de notre commission que notre appréciation n'est jamais souveraine, précisément parce que nous sommes soumis au juge. Notre décision n'est jamais sans appel. Par ailleurs, je ne comprends pas l'observation selon laquelle le candidat, mécontent et atteint dans ses intérêts, voire dans la validité de son mandat, serait dans l'incapacité de se défendre. Ce n'est pas nous qui avons décidé que la Commission devait saisir le juge de l'élection : c'est l'article L. 118-3 du code électoral qui nous impose cette procédure de saisine directe. Et, bien entendu, nous ne saisissons pas le juge de l'élection en lui demandant de prononcer l'inéligibilité, encore moins l'invalidation s'il s'agit d'un candidat élu, car nous n'avons absolument pas à le faire. Nous avons seulement à justifier au juge – qui nous donne d'ailleurs quelquefois tort sur ce point – que nous avons rejeté le compte à bon droit. Lorsque le juge estime que ce n'est pas le cas, il substitue sa propre décision à la nôtre. Dans ce cas, depuis la loi de 2011, le candidat n'a pas à saisir à nouveau la Commission : c'est le juge lui-même qui règlera le compte et fixera le remboursement auquel le candidat a droit, en se saisissant de l'intégralité du dossier, y compris des éventualités de réformation que nos rapporteurs auraient signalées dans leur proposition, dans le cas où le compte n'est pas rejeté. On ne peut donc dire que le candidat soit dans l'impossibilité de se défendre.

De même, s'agissant des dépenses directes, ce n'est pas la Commission, mais la loi qui a prévu que seul le mandataire est habilité à opérer les dépenses du compte de campagne. Si la loi précisait que, dans une certaine limite ou pour certains types de dépenses, le candidat et ses colistiers sont habilités à effectuer les dépenses eux-mêmes, la Commission l'appliquerait. Il est bien entendu absurde, cela dit, d'appliquer la règle à 100 %, le candidat se trouvant assez souvent dans la nécessité d'engager lui-même la dépense, c'est-à-dire d'ouvrir son portefeuille ou d'utiliser son carnet de chèques ou sa carte bancaire. C'est la jurisprudence du Conseil d'État – et, dans un petit nombre de cas, du Conseil constitutionnel – qui a fixé une proportion maximale, faible par rapport au montant des dépenses du compte et négligeable par rapport au plafond. Les critères que la Commission applique, et qu'elle a dûment annoncés dans le guide du candidat comme dans les réponses qu'elle fait aux questions qui lui sont posées, ne sont donc pas subjectifs. Pendant une campagne électorale, nos chargés de mission répondent à beaucoup de questions posées par les candidats, soit par courriel, soit par lettre, soit par téléphone, en fonction de l'état de la jurisprudence et de la doctrine de la Commission, en réservant toujours la décision collégiale, qui ne leur appartient pas, mais en rappelant les règles applicables.

Nous avons effectivement comme ligne de conduite d'admettre les dépenses directes à condition qu'il s'agisse de menues dépenses – à hauteur de 10 % des dépenses et de 3 % du plafond. Ces pourcentages sont supérieurs à ceux que le Conseil d'État a lui-même adoptés quand il a été amené à se prononcer. Lorsque l'une des deux limites est respectée et pas l'autre, nous ne rejetons pas le compte pour autant. Et encore, avant d'appliquer ces pourcentages, déduisons-nous du montant des dépenses directes ce qui ne peut être le fait que du candidat lui-même ou de son colistier, comme les achats d'essence effectués lors d'un déplacement et les coûts de location de voiture, qui doivent être réglés avec la carte de crédit du conducteur.

Quant à l'arbitraire qui viendrait des différences de comportement de nos rapporteurs, j'insiste sur le fait que ce ne sont pas eux qui prennent les décisions. Vous avez certainement constaté, les uns et les autres, que beaucoup des réformations proposées par un rapporteur ne se retrouvaient finalement pas dans nos décisions. Combien de fois, à la suite d'une lettre d'observations de trois ou quatre pages, n'y a-t-il pas eu in fine une décision d'approbation pure et simple ? Il faut garder la proportion des choses. Les rejets ne concernent que 1,5 % ou 2 % des comptes, et les réformations des candidats remboursables 1,5 % des dépenses totales de ceux-ci. Les rejets sont quasiment toujours dus au non-respect de formalités substantielles édictées directement par la loi – telles que l'absence d'expert-comptable ou le dépôt du compte hors délai. Le Conseil d'État estime que, sauf cas de force majeure, la Commission n'a pas à accorder de délai supplémentaire. Les rejets pour des questions de fond sont très rares, surtout depuis que la loi prévoit la possibilité pour la Commission de diminuer le remboursement en considération du nombre et de la gravité relative des irrégularités, au lieu de rejeter le compte. C'est une disposition dont nous nous servons : nous en avons fait application dans quelque quatre-vingts cas lors des élections départementales, en opérant une réduction symbolique du remboursement.

Enfin, les saisines du tribunal administratif de Paris en contestation de nos décisions lors d'élections générales se comptent sur les doigts des deux mains. Si nos décisions étaient si subjectives que vous semblez le dire, les contentieux seraient beaucoup plus nombreux et la commission se verrait désavouée dans de nombreux cas.

M. Popelin a abondé dans le même sens en parlant de l'instabilité de notre doctrine. Il existe un guide du mandataire et du candidat, accessible sur notre site internet, que nous mettons à jour en fonction des problèmes nouveaux que nous rencontrons et de la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel. Nos chargés de mission répondent aux questions, et nous publions également une « foire aux questions » sur notre site, car nous nous rendons compte que des questions nouvelles se posent. La doctrine n'est guère instable et je demande en tout cas à tous les parlementaires, notamment à ceux de la commission des Lois, en dehors de tout contentieux, de nous saisir directement des cas flagrants d'inégalité de traitement ou de novation brutale dans nos décisions. Je suis tout prêt à examiner ces correspondances avec mes collègues de la Commission, car je comprends parfaitement ce sentiment d'injustice ou d'instabilité – qui peut naître de ce que les décisions de notre Commission ne seraient pas les mêmes d'un candidat à l'autre ou d'une élection à l'autre sur un même sujet.

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