Intervention de François Logerot

Réunion du 27 avril 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques :

Il est exact que, pour l'instant, la procédure devant notre Commission est écrite : il n'y a ni comparution ni audience d'avocat. Tout est naturellement possible, sauf qu'une audience orale paraît très difficile à organiser avec les moyens actuels de la Commission, dans le délai où elle doit se prononcer. Je ne vois pas comment nous pourrions répondre à un grand nombre de demandes en ce sens. Par ailleurs, dès lors que la possibilité de s'expliquer directement et verbalement devant la Commission serait offerte, elle devrait être ouverte à tous. Je crains, dans ce cas, une affluence de demandes, à laquelle la Commission serait matériellement dans l'impossibilité de répondre. C'est néanmoins un point sur lequel le législateur peut éventuellement se prononcer. Je ne ferme pas définitivement la porte à cette idée, mais j'aperçois toutes les difficultés d'ordre pratique qu'elle pose. Lorsque j'ai été auditionné, récemment, au sujet des propositions de loi relatives aux autorités administratives indépendantes que vous avez examinées hier, votre rapporteur, M. Jean-Luc Warsmann, m'a demandé quelles économies la Commission pouvait faire sur un budget variant, selon les années, entre 5 et 6 millions d'euros. Or, on nous a confié, en plus, le contrôle des comptes des candidats aux élections présidentielle et sénatoriales, et des pouvoirs d'investigation supplémentaires – que nous entendons utiliser – sur les comptes des partis. Jusqu'à présent, nous restons dans notre enveloppe d'une quarantaine d'équivalents temps plein travaillé (ETPT). Je ne vois pas comment nous pouvons encore ouvrir la voie à des audiences qui risqueraient fort de se généraliser. Mais je n'écarte pas le sujet ; je le note pour en discuter avec mes collègues.

Pour répondre à M. Morel-A-L'Huissier sur la notion de dépense électorale, je leur parlerai également de l'hypothèse de créer un groupe de travail sur ce point, en dehors de toute polémique ou de tout enjeu direct. Je suis a priori assez sceptique quant à la possibilité de dresser une liste exhaustive, ne varietur, permettant de distinguer les dépenses qui sont rattachables à la campagne de celles qui ne le sont pas. Il y a trop de situations différentes. J'observe d'ailleurs que les dépenses de campagne sont de nature différente, notamment en termes de proportion, suivant le type d'élections. Il n'y a pas ou peu de réunions publiques pour les élections départementales. Il n'y en a pas du tout lors des élections sénatoriales, qui s'effectuent par contact direct avec les maires et les grands électeurs. Par ailleurs, les dépenses en milieu urbain ne sont pas du même type qu'en milieu rural. Enfin, il y a des candidats ou des partis qui font beaucoup appel à des sociétés de communication, et nous voyons apparaître, dans les comptes de certains, des factures globales de 30 000 euros sans devis préalable ni aucune indication du nombre de journées de travail facturées… Il est difficile pour nous de mettre à la charge du contribuable français une dépense globale aussi peu étayée.

M. Pueyo a soulevé la question du recrutement des rapporteurs. Nous avons des filières : nous recourons, par exemple, à d'anciens fonctionnaires du ministère des finances, qui ont en général une formation juridique éprouvée et une grande pratique des contrôles, mais dont il faut parfois modérer le zèle car il ne s'agit pas de contrôles fiscaux. Nous employons aussi des magistrats des chambres régionales des comptes ou des tribunaux administratifs, le plus souvent honoraires car eux seuls disposent du temps nécessaire, dans le délai qu'on leur impartit. Il m'est déjà arrivé de solliciter des chefs de corps ou des directeurs des ressources humaines de l'administration centrale pour qu'ils nous soumettent des candidatures – que nous n'acceptons pas systématiquement. Nous examinons les qualités de la personne candidate. Sur le plan déontologique, nous rappelons aux rapporteurs leurs obligations de secret professionnel et la nécessité de nous signaler toute possibilité de conflit d'intérêt, par exemple d'apparentement avec un candidat ou de connaissance particulière d'un territoire. Nous essayons aussi de faire en sorte que les candidats ne soient pas en rapport direct, personnel et verbal avec le rapporteur. Mais nous allons repréciser ces règles déontologiques dans notre règlement intérieur, que nous serons de toute façon obligés de mettre à jour pour tenir compte des lois du 25 avril 2016 qui modifient un certain nombre de choses.

S'agissant des primaires, monsieur Ciotti, la doctrine de la Commission n'a pas substantiellement évolué depuis 2012. Nous avons essayé de la préciser, après avoir recueilli l'avis du Conseil constitutionnel. Le mémento qui a été publié le 20 avril dernier a été soumis à cet avis – en particulier sur la question des primaires, qu'elles soient ouvertes ou fermées. Nous avions souhaité en 2013, compte tenu de l'expérience de 2012, que le législateur veuille bien se saisir de la question et dire lui-même dans quelles limites et conditions les dépenses occasionnées par une élection primaire, organisée par un ou plusieurs partis, devait être ou non répercutée dans le compte de campagne du candidat issu de cette primaire. Jusqu'à présent, le législateur n'a pas donné suite. J'ai cru comprendre que si, contrairement à la proposition initiale de M. Urvoas, votre Commission et l'Assemblée nationale elle-même ont maintenu à un an la durée de la campagne pour l'élection présidentielle, c'était notamment pour ne pas écarter les dépenses des primaires. Mais nous aurions souhaité que le législateur veuille bien dire lui-même celles qu'il entendait inclure.

Nous en sommes donc réduits à une interprétation qui nous paraît équilibrée. Nous considérons, d'une part, que n'ont en aucune manière à figurer dans le compte du candidat issu de la primaire les dépenses faites par le parti pour l'organisation même de cette primaire ni celles effectuées, pour leur propre compte, par les pré-candidats qui ne sont pas le candidat finalement choisi, et, d'autre part, que les dépenses de ce dernier – qu'elles visent à l'organisation de réunions publiques, à l'édition ou à l'achat d'ouvrages, à des déplacements ou à la distribution de tracts – doivent figurer dans son compte de campagne de candidat à l'élection présidentielle, à partir du 1er avril de l'année qui la précède.

Selon les règles internes de la primaire organisée par le parti Les Républicains, le compte de campagne interne au parti, qui devra être remis à la Haute autorité de la primaire, ne retracera que les dépenses effectuées entre le 20 septembre et le 26 novembre, c'est-à-dire pendant la période officielle de la primaire. Ce n'est pas le point de vue de la Commission et, d'ailleurs, Mme Levade, la présidente de la haute autorité de la primaire, a précisé que cette règle interne s'appliquait sans préjudice de ce que la Commission, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, souhaiterait voir inscrit dans le compte de campagne du candidat finalement choisi.

Voilà, en substance, ce que nous avons précisé dans ce mémento.

Je ne dissimule pas les difficultés d'application éventuelles de cette règle, d'abord parce qu'il s'agit de dépenses à compter du 1er avril de cette année, alors que la Commission n'a aucun pouvoir d'investigation, d'injonction ni de recommandation à l'égard des personnes se déclarant candidates à la primaire. Nous suivrons l'activité de ces différents candidats sur internet et dans les médias, et nous poserons le moment venu au candidat qui aura été investi les questions nécessaires sur le contenu de son compte de campagne. Nous aurions souhaité que le législateur nous aide à traiter cette question. Nous ferons les choses dans le même esprit qu'en 2012 : le candidat François Hollande avait alors, je le rappelle, inscrit environ 300 000 euros de dépenses dans son compte de campagne, dépenses dont nous avons été amenés à enlever une petite partie car certaines d'entre elles avaient fait l'objet d'un double compte. Nous y avons par contre ajouté, au terme d'une procédure contradictoire, 65 000 euros que nous estimions ressortir à la catégorie des dépenses électorales alors que le candidat le contestait au départ.

Je voudrais rectifier l'impression qu'a pu donner la déclaration en séance publique d'un sénateur qui, s'agissant de cette primaire de 2012, a affirmé que la Commission avait retenu la somme de 400 000 euros de dépenses – alors qu'en réalité, nous avons évalué cette somme à 310 000 euros – et demandé pourquoi pareil montant avait été retenu. J'ai été très surpris de cette déclaration, car la Commission n'avait absolument pas fixé à l'avance un montant de dépenses à inscrire dans le compte de campagne : elle a pris la déclaration qui lui a été faite et l'a soumise à l'analyse critique de ses rapporteurs en fonction des renseignements qu'elle avait par ailleurs sur l'activité du pré-candidat finalement choisi.

Pour répondre à M. Pueyo, la Commission elle-même avait émis la suggestion de fixer à six mois la période de prise en compte des dépenses électorales, ayant constaté que la campagne réelle ne commençait guère que quatre mois avant l'élection – parfois six ou sept mois avant. Et quand nous recevons des signalements d'adversaires ou de citoyens qui veulent dénoncer le comportement d'un candidat sur une période de dix mois ou d'un an, ces signalements ne sont généralement assortis d'aucun élément précis qui permette de les retenir. Il est donc tout à fait exceptionnel qu'il y ait des dépenses aussi lointaines dans un compte de campagne, raison qui nous avait poussés à faire cette suggestion. Autre intérêt de cette période de six mois : elle correspond à la période, fixée par le code électoral, d'interdiction du recours à la publicité commerciale ou de la pratique du bilan de mandat sans inscription dans le compte de campagne.

Mme Descamps-Crosnier m'a demandé quelles observations nous pouvions faire sur les nouvelles règles imposées aux autorités administratives indépendantes. Je suis tenu à un certain devoir de réserve quant aux textes actuellement examinés par votre assemblée. J'ai été auditionné par M. Warsmann, à qui j'ai fait part de notre attitude tout à fait positive par rapport aux règles qu'on voudrait imposer par la loi aux AAI en matière de déontologie, de rapports annuels et de comptes à rendre au Parlement. J'ai d'ailleurs eu l'occasion à de multiples reprises de recevoir des parlementaires et de répondre à des questionnaires. Le Parlement a donc sur notre Commission tous les pouvoirs de contrôle qu'il veut bien exercer. Pour le reste, j'ai appelé l'attention de M. Warsmann sur le souci, dans une institution comme la nôtre et, compte tenu de ses missions, d'une continuité dans l'activité du collège et dans la transmission de l'expérience. Certaines des questions auxquelles j'ai été appelé à répondre ce matin montrent bien que des progrès sont encore à faire en la matière et que c'est une raison supplémentaire pour souhaiter qu'il y ait un « tuilage » dans la présence des membres de la Commission. Je crois savoir que, à la suite de vos débats d'hier soir, la position de l'Assemblée nationale serait plutôt d'assouplir les règles établies par le Sénat quant à la durée des mandats et à la possibilité de les renouveler une fois. Je suis d'ailleurs d'accord pour reconnaître que, dans notre cas, la possibilité de renouvellement illimité doit être corrigée. Je le dis d'autant plus librement que j'entame mon troisième mandat et que je suis donc « hors des clous »… Mais c'est possible sous l'empire de la loi actuelle, et les circonstances ont fait qu'aucune autre solution ne s'est présentée. D'un point de vue conjoncturel, je ne suis pas sûr que l'article 49 relatif aux dispositions transitoires permette un « tuilage » suffisant : la combinaison de cet article avec la disposition de l'ordonnance du 31 juillet 2015 sur la parité fait que, si l'on n'y prenait pas garde, toute la Commission devrait être renouvelée en 2020, ce qui paraît difficile à concevoir en pleine année d'élections municipales et sénatoriales. J'imagine mal qu'un collège entièrement nouveau et un président également neuf puissent, en quelques semaines, se mettre au travail et agir efficacement, dans la continuité.

Pour répondre à M. Morel-A-L'Huissier, les concours en nature sont quelquefois difficiles à évaluer, mais nous demandons aux candidats de les inscrire dans leur compte de campagne, selon une grille d'évaluation qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui constitue tout de même un indice permettant à la Commission d'apprécier s'il n'y a pas un risque de dépassement du plafond de dépenses. Je précise qu'un tel dépassement est devenu tout à fait exceptionnel. Je mets à part l'élection présidentielle où, traditionnellement, les deux candidats du second tour atteignent le plafond, voire le dépassent… Mais, dans le cas des autres élections, la notion de dépassement a quasiment disparu : le fait passe largement inaperçu, mais la grande majorité des candidats n'atteignent pas la moitié du plafond de remboursement, et sont souvent très en dessous, sans doute parce que leur apport personnel ne leur est remboursé que dans cette seule limite. Ne dépassent la moitié du plafond que les candidats qui reçoivent beaucoup de dons de personnes physiques ou un appui financier important de la part d'un parti.

La question posée par M. Premat concernant les candidats aux élections des députés élus par les Français établis hors de France rejoint l'un des soucis que nous avions exprimés en 2013, en disant que les dispositions particulières des articles L. 330-6 à L. 330-10 du code électoral s'étaient avérées inopérantes. Seuls 15 % de ces candidats de l'étranger ont utilisé la possibilité de désigner un représentant dans certains pays pouvant faire l'avance de dépenses figurant sur une liste de dépenses arrêtées par le candidat. Et il n'y en a qu'un seul, sur 178, qui a utilisé la possibilité de désigner un mandataire adjoint dans un pays où il n'était pas possible d'envoyer de l'argent.

La conversion en euros des dépenses en monnaie locale se fait en outre en fonction du « taux de chancellerie » enregistré un an avant le mois de l'élection. Suivant les circonstances, les candidats vont donc faire un bonus ou au contraire se retrouver à la limite de dépassement du compte, uniquement pour des raisons de change, ce qui est absurde. Il convient donc de modifier cette référence : nous préconisons de retenir la même règle qu'en matière de TVA sur les dépenses à l'étranger des entreprises, c'est-à-dire que les dépenses soient converties au taux en vigueur pendant le mois de l'opération.

De même, la possibilité de désigner des mandataires adjoints devrait être beaucoup plus ouverte et dans le cas des élections à l'étranger, le problème des dépenses directes effectuées par le candidat devrait être examiné. Il y a, dans la 11e circonscription, quarante-neuf pays, allant des frontières de l'Europe de l'Est jusqu'au Vanuatu. Comment voulez-vous qu'on applique à pareille circonscription les mêmes règles qu'en France métropolitaine ou outre-mer ?

Comme le législateur ne s'est pas saisi de ces questions, nous allons être en 2017 devant les mêmes difficultés. Nous essayons de les apprécier avec réalisme et bienveillance, mais nous ne pouvons contrevenir à des règles que nous n'avons pas fixées nous-mêmes. L'un des exemples d'invalidation concerne un candidat qui utilisait la carte bancaire de son mandataire dans des pays différents : c'est une déviation que la Commission ne pouvait pas ne pas relever. Il est dommage que l'on n'ait pas saisi l'occasion des lois qui viennent d'être votées pour examiner ce problème très particulier, qui ne se pose que pour les députés représentant les Français établis hors de France dans la mesure où la procédure est complètement différente pour les sénateurs.

Enfin, M. Colas m'a interrogé sur la transparence du financement des partis : nous allons évidemment utiliser les nouvelles dispositions issues de la loi qui vient d'être publiée. Un modèle d'annexe sur les dépenses de parti pour les candidats à l'élection présidentielle va être publié dans les jours qui viennent, sous forme d'addendum à notre mémento. Nous avons en effet eu le souci avec le Conseil constitutionnel de ne pas retarder la publication de notre mémento, alors que la loi était soumise à l'avis dudit Conseil et à un délai de promulgation. Maintenant qu'elle est promulguée, nous allons publier cet addendum, comprenant un modèle de fiche annexe qui devra être remplie pour chacun des partis aidant un candidat, mais qui sera relativement concise. Nous y reproduisons simplement les différents chapitres du compte de campagne en distinguant les dépenses facturées et refacturées, par le parti, celles dont ce dernier garde la charge définitive et les concours en nature. Nous allons également essayer de faire appel à des experts, et je ne suis pas sûr que nous ayons besoin de recourir préalablement à un décret pour ce faire : nous pourrions par exemple passer une convention avec des experts auprès des tribunaux.

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