Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 3 mai 2016 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice :

Vous connaissez la situation de la justice aussi bien que moi et, surtout, l'approche que nos concitoyens en ont. L'année dernière, dans le cadre des débats préparatoires à ces projets de loi, Mme Christiane Taubira, qui m'a précédé dans mes fonctions, avait présenté, lors d'une réunion qu'elle avait organisée à l'UNESCO, les résultats d'un sondage révélant l'avis des Français sur leur justice : 80 % d'entre eux estimaient que la justice était trop complexe et trop lente, et 60 % la jugeaient inefficace. Il est à craindre que ceux qui franchissent le seuil des palais de justice, souvent par contrainte, en tant que justiciables, ne partagent ce sentiment : certes, ils sont plus satisfaits des décisions de justice que l'ensemble des Français, mais ils trouvent les procédures longues et onéreuses.

À cette organisation complexe et au fonctionnement peu compréhensible pour nos concitoyens s'ajoute un troisième mal : la tension grandissante entre les moyens octroyés à la justice et les besoins nécessaires à la bonne mise en oeuvre de ses missions.

Nous partageons, je le sais, ce diagnostic. Il est de la responsabilité du Gouvernement de vous proposer des remèdes. Tel est l'objet de ces projets de loi. Ils ont été adoptés en Conseil des ministres en juillet 2015 et débattus au Sénat au mois de novembre suivant. Il me revient de vous les présenter aujourd'hui et, surtout, de vous dire la philosophie qui m'a conduit à déposer, sur les 530 amendements que vient d'évoquer M. le président, 105 amendements au nom du Gouvernement : 22 sur le projet de loi organique et 83 sur le projet de loi ordinaire.

À travers ces amendements, je poursuis en réalité quatre objectifs.

En premier lieu, ne pas ouvrir de nouveaux chantiers en l'absence du temps et des finances qui seraient nécessaires. Je ne crois pas utile de semer l'illusion de nouvelles réalisations ; je crois, au contraire, que cela apporterait de la souffrance à ceux qui vivent déjà mal la lenteur de la justice.

En deuxième lieu, ne pas allumer non plus de nouveaux brasiers : ces textes se veulent des textes d'apaisement, qui résolvent, qui dénouent, qui répondent à des problèmes et à des besoins.

Troisième ambition : mieux utiliser les moyens de la justice pour la rendre plus efficace, moins complexe, plus lisible. Cela ne m'exonère naturellement pas de chercher à en obtenir de nouveaux. À cet égard, j'espère qu'il y aura des avancées notables dans le projet de loi de finances pour 2017.

Enfin, quatrième mission : recentrer l'intervention de la justice sur ses missions essentielles, à savoir prendre des décisions par l'application du droit aux litiges qui lui sont soumis. Dans cet esprit, l'un des amendements du Gouvernement vise à rebaptiser le texte « projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle », afin qu'il retrouve sa filiation avec le projet présenté par Mme Christiane Taubira au Conseil des ministres l'année dernière. Toutes les mesures de ce texte ont vocation à réconcilier les Français avec leur justice.

Il convient de distinguer le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Je salue le travail de la rapporteure du projet de loi organique, Mme Cécile Untermaier, qui a déposé 59 amendements, et, avec le même enthousiasme, celui des rapporteurs du projet de loi ordinaire, MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément, qui en ont déposé 132. Chacun a donc fait oeuvre utile pour atteindre les objectifs que j'ai exposés.

Le projet de loi organique s'inscrit dans l'engagement du Président de la République de renforcer l'indépendance de la justice et de mettre en oeuvre une République exemplaire. Cela passe par des questions statutaires. À ce titre, il vous est proposé, par amendement, de créer un statut pour le juge des libertés et de la détention (JLD), qui serait nommé comme juge spécialisé. C'est la suite logique de l'accroissement continu des pouvoirs qui lui ont été donnés depuis sa création, tant en matière pénale qu'en matière civile : en tant que juge protecteur des libertés individuelles, il contrôle de façon croissante les actes et les décisions les plus intrusives. Ce faisant, je ne fais d'ailleurs qu'engager un mouvement qui méritera d'être poursuivi, car je crois vraiment que le JLD sera le juge de demain. Toutes les réflexions qui viendraient corroborer ou renforcer cette intuition seront les bienvenues.

Un deuxième amendement important au projet de loi organique vise à créer un collège de déontologie des magistrats. Les magistrats disposeront ainsi d'une structure indépendante, dépourvue de pouvoir disciplinaire, qui sera à même de répondre à toutes les questions d'ordre déontologique auxquelles ils peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs fonctions.

Troisième élément sur lequel je souhaite appeler votre attention dans ce propos liminaire : l'allongement de deux ans de la durée maximale d'exercice des fonctions des magistrats placés afin de pallier la désaffection pour cette fonction.

Le projet de loi organique est aussi porteur d'une ouverture du corps de la magistrature par la facilitation des détachements judiciaires et par l'élargissement des origines professionnelles permettant d'y accéder.

Il comporte évidemment bien d'autres dispositions, mais je ne veux pas me livrer à un inventaire à la Prévert. Ainsi que le disait Voltaire : « le secret d'ennuyer est celui de tout dire » !

Avec le projet de loi ordinaire, nous entendons rendre la justice plus simple, plus accessible, plus lisible, plus efficace. Si « J21 », le nom communément donné à ce texte, était un adjectif, je voudrais qu'il soit l'antonyme de « kafkaïen » ! Les justiciables ont des attentes et nous devons tenter d'y répondre. Les juridictions ont des besoins et nous devons les entendre. Je n'évoque, là encore, que quelques-unes des principales mesures du texte.

Avec le titre II, nous avons souhaité favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges. À cette fin, nous vous proposons d'instaurer un préalable obligatoire de conciliation par un conciliateur de justice pour les litiges portant sur moins de 4 000 euros. Le juge n'aura donc à examiner que les affaires les plus contentieuses. Pour une meilleure conciliation dans les petits litiges, il faut donner à tous le choix d'organiser le recours à un tiers pour les trancher.

Par ailleurs, le texte vise à autoriser le recours à une convention de procédure participative, même si un juge est déjà saisi du litige. Cette convention peut, dès lors, tendre à la mise en état du litige. C'est dans ce cadre qu'est introduite la conclusion possible d'actes contresignés par avocats, préfiguration de l'acte de procédure d'avocats.

Enfin, nous élargissons les possibilités pour les parties, si elles le désirent, de recourir à une clause compromissoire, c'est-à-dire de faire appel à un arbitre.

Les titres II et IV visent à renforcer l'efficacité du fonctionnement de la justice. Nous vous proposons de travailler à droit constant, sans chercher à contraventionnaliser les délits routiers, en forfaitisant les sanctions pour certains de ces délits tout en respectant le droit actuel. Il s'agit d'un travail à droit constant : nous ouvrons une possibilité sans bouleverser l'existant.

Nous donnons à l'action de groupe un socle procédural commun, décliné en matière de discrimination, de discrimination au travail, mais aussi, désormais, de santé, d'environnement et de données numériques. Nous disposerons ainsi d'un vrai bloc cohérent plutôt que de dispositions éparses dans des textes thématiques.

Pour mieux traiter le contentieux social, nous proposons de regrouper l'ensemble du contentieux au sein d'une seule juridiction présente dans chaque département et comprenant des magistrats spécialisés. À cette fin, le texte prévoit des habilitations relatives, notamment, à la fusion des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI). Cette mesure fait suite au rapport conjoint de l'inspection générale des services judiciaires et de l'inspection générale des affaires sociales. Le volume des contentieux concernés est important : 100 000 affaires pour les TASS en 2012, 42 500 pour les TCI en 2013.

Un mot particulier sur la justice des mineurs : j'avais déjà eu l'occasion d'indiquer que le Gouvernement était favorable à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Je donnerai donc un avis favorable aux amendements déposés en ce sens par plusieurs groupes politiques.

Le titre IV tend à recentrer le juge sur ses missions essentielles.

Nous proposons de supprimer la procédure d'homologation des plans de surendettement, 98 % d'entre eux ne faisant l'objet d'aucun litige. Nous avons obtenu l'accord de principe de la Banque de France sur cette disposition.

Nous souhaitons transférer aux officiers d'état civil l'enregistrement des pactes civil de solidarité (PACS), ainsi que la procédure de changement de prénom. En 2013, 168 000 PACS ont été conclus. Les officiers d'état civil sont déjà associés à la procédure. En contrepartie, de nouvelles mesures de simplification en matière d'état civil sont proposées aux communes. J'ai évidemment présenté ces dispositions à M. François Baroin, président de l'Association des maires de France (AMF). J'ai veillé à ce que personne ne soit perdant, ni l'État, ni les collectivités territoriales. J'y reviendrai tout à l'heure.

Enfin, concernant le divorce, nous proposons qu'il ne soit plus nécessaire de passer devant un juge pour le divorce par consentement mutuel. Lorsque les parties sont d'accord pour divorcer, il suffira d'un acte signé par les deux avocats représentant chacune d'elles et enregistré par le notaire. Cela ne pourra se faire naturellement que dans certaines conditions, en présence des deux avocats et dans le respect du droit de chaque enfant à être entendu dans le cadre de la procédure.

L'objectif assigné à ce projet de loi de recentrer l'institution judiciaire sur ses missions essentielles vaut aussi pour les juridictions supérieures, notamment la Cour de Cassation. Celle-ci est en effet submergée par un nombre très important de pourvois et éprouve, de ce fait, des difficultés à assurer sa fonction de régulation de l'application du droit et d'unification de la jurisprudence à l'échelle nationale. À l'instar de ce qui a été fait pour ses homologues dans les pays voisins, je vous propose de mettre en place en son sein un système de filtrage des pourvois. En l'espèce, je souhaite soumettre les différentes possibilités au débat.

La justice du XXIe siècle doit être une justice faite pour l'homme, à la mesure de ses besoins, que ce soit en tant que justiciable ou en tant que professionnel. Mon ambition, je vous l'ai dit en préambule, est modeste : par ce texte, je ne cherche qu'à améliorer le service public rendu au justiciable. Il suffit parfois d'une évolution législative limitée ; nous proposons de nombreux amendements de cette nature. Sur d'autres points, l'évolution doit être plus importante ; dans ce cas, nous ne faisons qu'amorcer, avec ce texte, un mouvement qui sera accentué demain. Vous constaterez que de nombreux amendements traduisent cette envie d'avancer.

Je souhaite que le débat en commission prenne maintenant toute sa place. C'est pourquoi, monsieur le président, j'ai déposé la totalité des amendements du Gouvernement en commission. Mon intention est de n'en déposer aucun en séance publique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion