Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 3 mai 2016 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément, rapporteur du projet de loi ordinaire :

Les nombreuses auditions et les visites en juridiction que nous avons réalisées nous ont permis de mesurer l'engagement et la volonté constante de l'institution judiciaire et des auxiliaires de justice d'améliorer l'accès de nos concitoyens à la justice. Je souhaite dire ma reconnaissance à tous ceux qui s'engagent, souvent bénévolement, pour que notre justice au quotidien fonctionne mieux. Je remercie mes collègues Jean-Yves Le Bouillonnec et Cécile Untermaier, qui ont participé à toutes les auditions sur ce vaste chantier, ô combien nécessaire.

Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire soumis à l'examen de notre commission ont pour objet de mettre en oeuvre les préconisations issues des travaux menés depuis 2013 pour favoriser la justice du XXIe siècle. Avant toute chose, je veux rendre hommage à la démarche originale engagée par votre prédécesseur, Mme Christiane Taubira : il s'agit de définir ce que signifie l'accès à la justice pour nos concitoyens, de dire ce qu'est le véritable office du juge et de faire société en privilégiant le recours à des modes alternatifs de règlement des conflits, notamment de ceux du quotidien ; il s'agit de réformer en profondeur notre organisation judiciaire, de rapprocher la justice des citoyens, dont elle a été éloignée par une réforme drastique de la carte judiciaire, et d'améliorer l'efficacité des procédures judiciaires, facteur de justice sociale.

Vous avez parfaitement présenté, monsieur le garde des Sceaux, les principaux enjeux de ces deux projets de loi. Je souhaite vous poser quelques questions sur les sujets que j'ai suivis plus particulièrement, afin d'éclairer l'ensemble de nos collègues sur l'ambition de la discussion au sein de notre assemblée. Je précise que Jean-Yves Le Bouillonnec et moi-même avons conduit nos travaux ensemble et que nos analyses convergent sur tous les sujets abordés dans ce projet de loi.

L'un des objectifs de ce texte est de parachever la réforme des TASS, des TCI et des commissions départementales d'aide sociale (CDAS). Les juridictions sociales occupent une place de choix parmi les sujets essentiels abordés dans ce projet de loi. Cette justice des gens a été décrite avec beaucoup d'humanité et de pertinence par Pierre Joxe dans son livre Soif de justice. Une importante réforme de ces juridictions est à l'oeuvre. Entre la lecture au Sénat et la présente lecture à l'Assemblée nationale, un rapport essentiel des inspections générales des services judiciaires et des affaires sociales vous a été remis. Vous nous proposez un amendement qui vient modifier substantiellement la réforme adoptée à l'initiative du Sénat. Pourriez-vous nous en préciser les grandes lignes ? Les inquiétudes sont en effet nombreuses, notamment parmi les agents des tribunaux spécialisés concernés, mais également parmi les justiciables en situation de précarité ou malades.

J'en viens à l'action de groupe. L'accès à la justice doit être facilité pour chacun de nos concitoyens, pris individuellement, mais aussi collectivement, tant les sujets susceptibles de les concerner ensemble sont nombreux. La « loi Hamon » a ouvert la possibilité d'une class action à la française dans le champ de la consommation. Mais, au-delà, c'est une définition claire, encadrée, précisant les droits et les protections de chacun qu'il nous fallait écrire. C'est chose faite avec ce texte, et nous saluons la définition des règles générales qui trouveront à s'appliquer à l'ensemble des actions de groupe. Toutefois, pouvez-vous nous expliquer pourquoi l'action de groupe en matière commerciale sera la seule à ne pas s'inscrire dans le cadre général ? D'autre part, pouvez-vous nous détailler les modalités des nouvelles actions de groupe spécifiques que vous proposez d'introduire dans le texte, notamment pour ce qui touche à l'environnement et à la protection des données personnelles ?

Concernant plus particulièrement l'action de groupe en matière de discrimination, il nous semble important, à l'issue de nos auditions, de prévoir dans ce texte, sans attendre l'examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », l'élargissement de la liste des motifs de discrimination fixée par la loi de 2008 à ceux qui sont aujourd'hui prévus par l'article 225-1 du code pénal. Il est en effet essentiel que l'état de santé soit retenu comme un motif sur le fondement duquel les discriminations sont prohibées. Nous suivrez-vous dans cette voie, monsieur le garde des Sceaux ?

S'agissant des actions de groupe qui pourront être engagées à la suite de discriminations pratiquées par un employeur, pouvez-vous expliciter le raisonnement sur lequel repose votre définition des personnes auxquelles la qualité à agir pourrait être reconnue ? Qu'en sera-t-il pour les syndicats et les associations ? Pour ces dernières, quels seront les critères retenus (agrément national ou régional, ancienneté) ? Par ailleurs, il nous semble essentiel que la réparation des préjudices, y compris moraux, soit envisagée comme objet de l'action de groupe en matière de discrimination, de manière générale et au travail en particulier. Partagez-vous notre opinion, monsieur le garde des Sceaux ?

Enfin, pourquoi limiter les déclinaisons de l'action de groupe en matière de discrimination dans les relations avec un employeur aux seuls préjudices qui trouvent leur origine dans un fait générateur ou un manquement postérieur à l'entrée en vigueur du présent projet de loi ? Cette disposition, souvent présentée comme destinée à limiter l'insécurité juridique pour les défendeurs, revient à priver d'action de groupe toutes les victimes identifiées à ce jour. Qui plus est, elle apparaît surprenante au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : ce dernier a considéré, dans ses décisions sur la loi relative à la consommation et sur la loi de modernisation de notre système de santé – qui ne prévoyaient, ni l'une ni l'autre, une telle disposition –, que les règles relatives à l'action de groupe, qui sont de nature procédurale, « ne modifient pas les règles de fond qui régissent les conditions de [la] responsabilité [du défendeur] ; que, par suite, l'application immédiate de ces dispositions ne leur confère pas un caractère rétroactif ». Elles peuvent, par conséquent, s'appliquer immédiatement aux préjudices déjà constitués. Pourquoi laisser en l'état l'article 46, ce qui limiterait singulièrement la portée des nouvelles actions de groupe en matière de discrimination ?

En matière de justice commerciale, plusieurs évolutions importantes ont été adoptées par le Sénat. Il nous revient de les compléter. J'ai participé aux travaux de la mission d'information sur le rôle de la justice en matière commerciale, aux côtés de mes collègues Cécile Untermaier et Marcel Bonnot. Certaines propositions ont déjà été prises en compte dans le cadre de la « loi Macron », mais il reste encore du chemin à parcourir : comme vous le savez, d'autres améliorations sont attendues.

En premier lieu, les artisans deviennent éligibles aux fonctions de délégués et de juges consulaires. Cette avancée, qui a fait l'objet de nombreux travaux au cours des précédentes années et qui avait notamment été recommandée par le rapport d'information précité, s'accompagne d'une extension des compétences de ces tribunaux aux litiges entre artisans. Sur ce point, nous vous proposons deux évolutions législatives : la première vise à étendre la compétence des tribunaux de commerce à tous les litiges relatifs à une activité artisanale, et non plus seulement à ceux qui sont constatés entre artisans ; la seconde, à revoir la définition des collèges électoraux.

En effet, les circonscriptions des chambres de commerce et d'industrie (CCI), qui ont actuellement la charge d'organiser les élections consulaires, ne sont compatibles ni avec celles des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) – lesquelles seront chargées, pour l'avenir, d'organiser ces élections pour les artisans –, ni véritablement avec le ressort des tribunaux de commerce. Il convient d'aller au bout de cette réforme en fixant le collège des électeurs en fonction du ressort des tribunaux de commerce, avec le soutien des chambres consulaires. D'ici à la séance publique, nous pourrons affiner, si besoin, le dispositif que nous proposons, notamment pour traiter la situation particulière des petits tribunaux.

Par ailleurs, nous avons déposé, de même que certains collègues, plusieurs amendements visant à renforcer encore la prévention des conflits d'intérêts, ainsi qu'un amendement de compromis tendant à limiter le cumul des mandats dans le temps et à instaurer une limite d'âge pour l'exercice des fonctions de juge consulaire.

Il nous semble que cette réforme, qui s'inspire de précédents travaux parlementaires, devrait ainsi être bénéfique à la justice commerciale et aux justiciables.

Enfin, au-delà de différentes mesures de simplification, par exemple en matière de surendettement ou de publicité foncière, le présent texte contient des dispositions importantes en faveur des entreprises en difficulté – sujet auquel je suis particulièrement attaché. Il conviendra toutefois de rétablir des dispositions supprimées ou modifiées par le Sénat, car le maintien du texte en l'état aurait pour effet, selon nous, de fragiliser certaines procédures collectives, à l'instar de la procédure de sauvegarde. En outre, je déposerai plusieurs amendements concernant le secteur agricole, lequel connaît en ce moment des difficultés particulières. Les périodes de crise mettent en évidence que les exploitants agricoles manquent cruellement de protections. Il faudra les rassurer sur ce point.

Je vous remercie par avance, monsieur le ministre, pour les réponses que vous nous apporterez sur ces différents points.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion