Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 3 mai 2016 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur du projet de loi ordinaire :

Ce texte vise à réformer en profondeur notre organisation judiciaire, à rapprocher la justice des citoyens et à améliorer l'efficacité des procédures juridictionnelles. De même que mon collègue Jean-Michel Clément, je souhaite appeler votre attention et vous interroger sur un certain nombre de points particuliers, monsieur le garde des Sceaux. Je précise que Jean-Michel Clément et moi-même partageons la même vision de ce texte et que nos analyses n'ont jamais divergé sur la manière dont nous pouvons l'améliorer encore.

Concernant le renforcement de la politique d'accès au droit et la facilitation de l'accès à la justice, nous avons procédé à de nombreuses auditions et nous sommes rendus dans plusieurs palais de justice, ainsi qu'à la maison de justice et du droit (MJD) de Pontivy. Nous souhaiterions savoir si le Gouvernement envisage de développer un service d'accueil unique du justiciable (SAUJ) dans d'autres MJD et si, par la même occasion, il serait d'accord pour favoriser la tenue d'audiences foraines dans ces MJD, lesquelles représentent, du fait de leur proximité avec les citoyens, une très bonne solution alternative à la récente réforme de la carte judiciaire. D'autre part, pouvez-vous nous assurer que les moyens humains et techniques, notamment les dispositifs informatiques Portalis et Cassiopée, seront bien au rendez-vous pour garantir le succès des SAUJ ?

S'agissant de la conciliation et de la médiation, qui constituent un enjeu important, nous avons découvert le rôle primordial des conciliateurs de justice, qui interviennent à titre bénévole pour aider nos concitoyens à résoudre leurs litiges du quotidien – pour souligner leur engagement, on peut parler de « mécénat », au vrai sens du terme. Nous soutenons activement la réforme proposée par le Gouvernement, qui consiste à rendre la conciliation obligatoire pour les litiges dont l'enjeu est inférieur à 4 000 euros, sous peine d'irrecevabilité. Néanmoins, l'efficacité du dispositif repose sur les réponses que vous apporterez aux questions suivantes : comment réussir à attirer de nouveaux candidats à la fonction de conciliateur, sachant que leur activité pourrait augmenter de plus de 30 % avec ce nouveau dispositif ? De quelle manière envisagez-vous de revaloriser leurs défraiements, trop symboliques pour ne pas être ridicules ? Pourquoi ne pas avoir prévu, à ce stade, une formation initiale obligatoire à destination des conciliateurs ?

S'agissant de la médiation, nous comprenons que le Gouvernement choisisse de distinguer cette procédure de celle de la conciliation. Cependant, ne faudrait-il pas faire établir une liste des médiateurs pour chaque cour d'appel pour éviter le risque de recours à des personnes peu recommandables, voire à des charlatans, largement dénoncé lors des auditions auxquelles nous avons procédé ? En matière familiale, lorsqu'il s'agit de modifier une décision de justice relative à l'exercice de l'autorité parentale ou à la contribution à l'entretien des enfants, ne conviendrait-il pas de généraliser la tentative de médiation obligatoire expérimentée entre 2012 et 2014 dans plusieurs ressorts, et qui s'est alors révélée très intéressante ?

Enfin, si nous saluons la suppression de la juridiction de proximité, il nous paraît nécessaire de prendre certaines précautions vis-à-vis des nombreux juges de proximité – ils sont encore près de 500 – qui ont rendu d'éminents services au fonctionnement de nos juridictions.

Nous soutenons également la démarche que reflètent les nombreux amendements du Gouvernement tendant à améliorer la répression de certaines infractions routières. Nous vous proposerons pour notre part de forfaitiser certains délits routiers afin d'en faciliter le traitement et le recouvrement. Pouvez-vous nous présenter rapidement l'économie globale de la réforme que vous envisagez dans le domaine des infractions routières ?

Le Gouvernement a déposé plusieurs amendements destinés à améliorer l'organisation et le fonctionnement de la justice des mineurs. Or des amendements socialistes, écologistes ou radicaux proposent la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Là encore, comment la réforme qui en découlerait s'articulerait-elle avec vos amendements ?

En ce qui concerne les mesures de recentrage des juridictions sur leurs missions essentielles, nous sommes bien entendu très favorables au transfert de l'enregistrement du PACS des greffes des tribunaux de grande instance (TGI) aux officiers de l'état civil, et proposons un amendement destiné à rétablir cette mesure supprimée par le Sénat. Le risque de confusion entre PACS et mariage, avancé en 1999 pour justifier l'enregistrement au greffe du tribunal, est aujourd'hui entièrement écarté : le PACS est bien connu de nos concitoyens, qui ne le confondent aucunement avec le mariage. Par ailleurs, la loi du 17 mai 2013 a consacré le mariage des personnes de même sexe. Les obstacles symboliques allégués à l'époque ont donc totalement disparu. Il convient, en outre, de mieux affirmer le rôle d'officier de l'état civil dévolu au maire, auquel vos deux rapporteurs sont très attachés.

Vous proposez, monsieur le ministre, d'autres transferts de compétence des tribunaux vers d'autres professions, comme celle d'avocat, avec la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel. Quel en seront l'intérêt et le coût pour nos concitoyens ? Certains de nos collègues proposent également de transférer aux avocats la déclaration de procréation médicalement assistée avec recours à un tiers donneur, ou aux médecins le recueil du consentement en vue d'un don de moelle osseuse. Nous sommes quelque peu réservés à cet égard, mais nous estimons nécessaire de progresser dans la déjudiciarisation de ces formules de consentement ; nous formulerons nos propres propositions en ce sens.

Nous sommes très favorables à l'allégement des formalités attachées à la tenue des actes de l'état civil par les mairies. Il convient toutefois à nos yeux de ne pas altérer la place privilégiée qu'occupe l'espace communal dans le quotidien des habitants. La connaissance d'événements aussi essentiels que les naissances, les mariages et les décès participe de la vie collective et marque la place que chacun peut y prendre. Il apparaît donc nécessaire de maintenir la transcription des actes sur les registres de la commune à laquelle les personnes concernées sont rattachées par leur domiciliation. Cette transcription permet une information publique essentielle et constitue, pour les communes et leurs habitants, un vecteur essentiel de relations et un grand sujet d'attention. Nous sommes donc défavorables à votre proposition de supprimer la transcription de l'acte de décès à la mairie du domicile du défunt.

En ce qui concerne la Cour de cassation, nous comprenons parfaitement qu'il faille faire évoluer les procédures pour la préserver en tant que telle. Toutefois – le président de la commission des Lois et les deux rapporteurs, ainsi que la rapporteure du projet de loi organique, le disent avec une certaine solennité –, il ne nous paraît pas possible de faire évoluer cette institution par la technique des règles de procédure. Nous devons veiller avec la plus grande attention à ce que la Cour de cassation conserve la vocation que lui confèrent l'institution et l'organisation judiciaires, à moins d'entrer dans des modifications institutionnelles, dont le support ne saurait être qu'un support législatif dédié tant il a des conséquences sur la place de la Cour de cassation au sein de nos institutions. Mais nous aurons certainement à ce sujet un beau débat, monsieur le garde des Sceaux, car nous connaissons vos réflexions fort pertinentes en la matière.

Enfin, pourriez-vous nous présenter vos nombreux amendements relatifs à des demandes d'habilitation et justifier ce recours à des ordonnances plutôt qu'à des dispositifs législatifs, à la lumière d'observations récurrentes de grands présidents de la commission des Lois (Sourires), dont notre président actuel ?

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