Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 3 mai 2016 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice :

De nombreux sujets, très différents, viennent d'être abordés – tous traités par les deux textes que nous discutons. Tous les points soulevés font l'objet d'amendements et seront donc examinés de façon précise au fur et à mesure de nos débats : je m'en tiendrai, pour cette réponse liminaire, aux plus grandes lignes.

Je ne suis pas en désaccord avec la présentation générale de Guy Geoffroy. Non, je ne veux pas ouvrir de nouveaux chantiers : ceux qui sont ouverts sont déjà bien trop nombreux ! Je n'ai pas besoin de me forcer beaucoup pour parler de sujets très divers, puisque tout est sur la table depuis très longtemps. Je veux plutôt clarifier et apporter des réponses.

Ainsi, la question de la collégialité de l'instruction est posée depuis l'affaire d'Outreau. Plusieurs fois, on a repoussé la décision, et aujourd'hui, nous sommes face à un mur. Je ne veux pas me contenter d'un énième moratoire : je crois de ma responsabilité d'apporter une réponse qui permette une clarification de l'action des magistrats. L'instabilité actuelle est néfaste pour tout le monde : pour les magistrats qui ne savent pas ce qu'ils vont devenir, pour les juridictions qui se demandent si elles vont perdre leurs juges d'instruction, pour les justiciables qui s'interrogent… J'ai essayé de peigner l'ensemble des sujets pour, à chaque fois, apporter une réponse.

Je ne veux pas allumer de nouveaux brasiers : l'institution judiciaire, que je découvre au quotidien depuis maintenant cent jours, a besoin de sérénité. Les personnels sont traumatisés. Quant aux juridictions, j'ai déjà beaucoup qualifié leur état : je n'ajouterai pas cet après-midi de nouveau terme.

Enfin, je ne veux pas ouvrir de nouveaux chantiers parce que je ne veux pas nourrir d'illusions : l'essentiel de mon activité à la chancellerie consiste à essayer de simplifier, mais aussi à rechercher des moyens supplémentaires.

J'espère finir par convaincre, comme je l'ai dit au président de votre Commission ainsi qu'à celui de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Bas : le Parlement a un rôle majeur à jouer pour que la société comprenne quel effort nous devons faire afin de donner aux juridictions les moyens de fonctionner. Il ne s'agit pas de faire plaisir à tel ou tel. C'est simplement l'intérêt général : les citoyens devraient être rassurés lorsqu'ils pénètrent dans un palais de justice ; or, aujourd'hui, ils se sentent plutôt inquiets ! Le simple état des bâtiments dit beaucoup des conditions dans lesquelles travaillent les personnels. Les justiciables peuvent légitimement s'interroger sur la sérénité dans laquelle les décisions judiciaires sont rendues.

Voilà pourquoi ce texte est volontairement modeste. Il est pourtant aussi, sur bien des aspects, assez audacieux, comme l'a dit Yves Goasdoué. S'il n'invente pas la justice du XXIe siècle, il pose quelques jalons que je crois féconds.

C'est le cas notamment de ce qui touche au juge des libertés et de la détention. Ce qui a été dit est juste : cette fonction doit être attractive pour des magistrats confirmés ; ils doivent jouir de larges pouvoirs. D'autres réformes, statutaires et procédurales, seront d'ailleurs nécessaires.

Ce juge devra, comme l'a dit Joaquim Pueyo, être disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; il devra statuer en temps réel. Mais il faut commencer par lui donner un statut. Les présidents des tribunaux de grande instance se sont interrogés, tout comme vous, monsieur Pueyo, sur la place de ce nouveau juge spécialisé. Les juges spécialisés existent déjà dans les petites juridictions, et elles arrivent à trouver les moyens de fonctionner. Vous me rétorquerez que leur multiplication va compliquer ce fonctionnement… Je ne nie pas la difficulté, bien au contraire.

En tout cas, parmi les efforts que nous n'avons plus à faire, il y a les créations de postes. Pour la première fois cette année, il y aura plus de magistrats qui arrivent que de magistrats qui partent : l'étau se desserre. C'est une question d'années. Mais nous posons un jalon.

L'action de groupe est un sujet essentiel. Cette législature l'a créée dans le domaine de la consommation, et parce qu'elle commence à bien fonctionner, on en sent une appétence dans tous les domaines. Le Gouvernement pouvait choisir de créer des actions de groupe dans différentes lois – à peu près toutes – ou bien d'établir un socle commun. C'est ce second choix que nous faisons.

Je ne suivrai pas sur ce sujet toutes les propositions des rapporteurs. Il faut d'abord, je crois, installer des procédés, quitte à élargir leur usage par la suite. Avec ce texte, la marche est déjà très haute. Je serai bien sûr favorable à certaines modifications : ainsi, je suis favorable à la possibilité pour les associations – sous certaines conditions d'agrément, d'ancienneté – d'engager une action de groupe. Elles auront évidemment leur mot à dire : on ne peut pas se contenter de donner aux seules organisations syndicales les moyens d'agir.

Un mot sur les collectivités locales, en réponse à Olivier Dussopt et, à travers lui, à tous les élus attentifs à cette question. Nous proposerons, par exemple, par amendement, la suppression du double original de l'état civil, ou encore la généralisation du dispositif COMEDEC (Communication électronique des données de l'état-civil), avec une aide pour les collectivités qui n'y adhèrent pas encore. Les notaires seront invités à le rejoindre rapidement. Ce système permet des économies substantielles lors de l'établissement d'actes de mariages ou de décès.

Je n'ai pas voulu sombrer dans la facilité en reportant sur les collectivités locales des charges que l'État n'a pas les moyens d'assumer. Nous avons calculé que le transfert des PACS vers l'état-civil représente 79 emplois équivalent temps plein pour nos quelque 36 000 communes : c'est quelque chose que nous devrions arriver à gérer.

Peut-être souhaitez-vous suspendre la séance, monsieur le président : je crois deviner chez vous une certaine impatience…

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