Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 9 mars 2016 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Roselyne Bachelot-Narquin, ancienne ministre, chroniqueuse éditorialiste :

Merci de cette invitation qui me permet de retrouver ces lieux qui me sont chers. J'y ai en effet représenté pendant un quart de siècle la première circonscription du Maine-et-Loire et exercé diverses fonctions au banc du gouvernement. Je suis donc très heureuse de vous retrouver, ainsi que Mme Nicole Ameline avec laquelle j'ai mené des combats qui ont transcendé les clivages politiques.

Madame la présidente, les citations de sénateurs que vous venez de faire brillent par leur machisme grossier. Certes, elles renvoient à un temps un peu révolu, mais le combat des femmes pour l'égalité est plus que jamais d'actualité. En témoignent les pires initiatives recensées par Les Inrocks pour la Journées des droits des femmes : salons de soins de beauté, défilés de couture, discussions sur la mode et même un festival de pole dance… Ainsi, un certain nombre d'élus de toute tendance politique pensent que la Journée de la femme doit être magnifiée par ce genre de manifestations…

Dans son livre « Retourne à la maison ! », la journaliste Charlotte Rotman relate les anecdotes dont lui ont fait part des femmes politiques, dont moi-même. C'est ainsi que lors de mon entrée en politique, le président du conseil général – où j'étais nouvellement élue, parmi six nouveaux conseillers généraux –, a présenté les hommes sous l'angle de leurs engagements politiques, associatifs et professionnels, et, pour ce qui me concerne, il s'est contenté de dire : « Et Roselyne Bachelot, dont chacun connaît le charmant sourire »… Autre anecdote : quand je suis montée pour la première fois à la tribune de l'Assemblée nationale – j'étais l'oratrice du RPR sur le revenu minimum d'insertion (RMI) –, un député a lancé : « Tiens, c'est le concert des vagins ! ». Vous l'avez compris : j'ai connu le sexiste paternaliste, mais également le sexisme gras et vulgaire.

Après trente-quatre ans de carrière politique, j'aurais aimé que le combat pour les droits des femmes fût gagné. Malheureusement, tous les jours qui passent me prouvent qu'il n'en est rien, comme en témoignent les récents déboires de Myriam El Khomri. Que de commentaires n'a-t-on lus ou entendus ? Mme El Khomri serait « indisposée » suite à un « accident domestique », elle serait « inexpérimentée ». Et son erreur chez Bourdin à propos du nombre de renouvellements d'un CDD a suscité un florilège de critiques, alors que la bévue du Premier ministre dans une interview au Journal du Dimanche et l'erreur de M. Macron dans la matinale de France Inter n'ont pas entraîné le même procès en incompétence, ni le même mépris. Ainsi, je note que les femmes et les hommes ne sont toujours pas traités de la même façon.

Il ne s'agit pas de contester les progrès réalisés – vous avez eu raison de les rappeler, chère Catherine. À mon entrée dans cette Assemblée, on ne comptait que 5,7 % de femmes, et d'ailleurs certaines ne trouvaient pas cela inconfortable. Quand j'ai commencé à militer pour le féminisme à l'Assemblée, une collègue – et non des moindres – de mon groupe parlementaire m'a dit : « Tu es complètement folle, les caméras de télévision se porteront beaucoup plus volontiers sur nous si nous ne sommes pas très nombreuses »… Les femmes sont aujourd'hui 27 % à l'Assemblée, ce dont je m'en réjouis, et 25 % au Sénat, contre 17 % dix ans auparavant.

Vous avez eu raison également de parler de parité quantitative et de parité qualitative, madame la présidente. En effet, les femmes représentent 40 % des conseillers municipaux, 50 % des conseillères départementales et 48 % des conseillers régionaux, mais seules 9 % sont maires dans les communes de plus de 3 500 habitants, 8 % présidentes départementales et 7,7 % présidentes de région. Et pourtant, les femmes représentent 52,6 % du corps électoral.

Une phrase a guidé ma vie, c'est celle de mon amie Gisèle Halimi qui disait : « On ne mendie pas un juste droit, on se bat pour lui ». Ce combat est plus que jamais d'actualité. À cet égard, je voudrais insister sur trois points.

Premièrement, comme je m'en suis expliquée hier dans une interview au Parisien, j'estime que la démarche différentialiste – en réalité hérité de l'antiféminisme – est extrêmement dangereuse. Je suis très surprise de l'entendre défendue par certaines femmes qui croient défendre le féminisme en vantant les prétendues qualités des femmes, telles que la proximité ou le sens des réalités – j'ai connu des hommes dotés du sens des réalités et des femmes qui en étaient totalement dépourvues… Cette démarche présente le risque, d'une part, de cantonner les femmes dans des postes féminins ou sous-gradés, et, d'autre part, de les instrumentaliser, c'est-à-dire de véhiculer des idées nauséabondes en les faisant porter par des femmes au motif qu'elles susciteraient moins de méfiance.

Deuxièmement, alors que l'ensemble des pays occidentaux connaissent une montée de l'extrême droite et de la droite extrême, ce combat peut être mené par des femmes, et il est d'autant plus dangereux qu'il est mené par des femmes. Vous avez certainement entendu les déclarations de Mme Frauke Petry et de Mme Beatrix von Storch, respectivement présidente et vice-présidente de l'AFD, le parti anti-immigration allemand, selon lesquelles les forces de l'ordre devraient pouvoir tirer sur des réfugiés qui tenteraient d'entrer sur le sol allemand. Notons qu'en France, les deux stars du Front national sont maintenant deux femmes, Mme Marine Le Pen et Mme Marion Maréchal-Le Pen. Notons également la montée du vote féminin dans les droites extrêmes, phénomène extrêmement inquiétant. Jusqu'alors, les femmes répugnaient à voter Front national, mais cela n'est plus le cas : elles sont aujourd'hui 28 % à voter pour le FN, contre 10 % aux élections régionales en 2010. Toutes les élections montrent cette hausse : nous allons arriver à une égalité, voire à un dépassement du vote féminin dans les votes extrêmes.

À cet égard, je vous renvoie aux excellents travaux de la politologue Mariette Sineau sur la montée du Front national. Elle explique que la montée du vote féminin pour le parti d'extrême droite s'explique par différents facteurs : le discours islamophobe, qui a une résonance particulière chez un certain nombre de femmes qui se sentent, à tort ou à raison, menacées par les islamistes ; le discours sécuritaire, auquel certaines femmes sont également sensibles ; mais également le fait que la pauvreté touche massivement les familles monoparentales, donc en majorité des femmes, éloignées du marché de l'emploi, chez lesquelles les discours populistes des droites extrêmes trouvent également une résonance tout à fait particulière.

Je tiens à dire ici qu'on ne peut pas répondre à ces inquiétudes uniquement par un discours de stigmatisation ou de diabolisation. C'est à nous, les féministes, de prendre ces questions à bras-le-corps : nous avons un rôle citoyen, je dirai un rôle éthique, en la matière.

Troisièmement, le combat pour les droits des femmes ne peut être un combat marginal, latéral, car l'égalité entre les hommes et les femmes est un thème structurant de toutes les questions politiques. Par conséquent, il faut revenir aux racines du féminisme, à ce qui faisait sa force en Europe, ce qu'on a appelé le mainstreaming, c'est-à-dire un féminisme qui irrigue l'ensemble des thèmes politiques.

J'en viens aux mesures à prendre dans ce domaine. D'abord, je suis tout à fait favorable à une modification de l'article 1er de la Constitution, visant à remplacer le terme « favorise » par « garantit » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Ensuite, nous verrons si l'alourdissement des pénalités financières – qui n'a pas été aussi important en raison du risque, soulevé par Mme Marie-Jo Zimmermann et par Mme Vallaud-Belkacen, de voir certains partis totalement privés de financement, ce qui aurait été dommageable pour le pluralisme politique – produira les effets escomptés en 2017. J'avoue avoir quelques doutes fondés sur un pessimisme nourri par l'expérience…

Enfin, comme je l'ai dit en 1995 lorsque j'étais à la tête de l'Observatoire sur la parité, je suis favorable à l'extension du scrutin binominal aux élections législatives. Selon moi, le scrutin proportionnel n'est pas un outil de promotion des femmes, et le scrutin binominal est d'ailleurs beaucoup plus adapté aux élections à l'Assemblée nationale qu'à tout autre scrutin. Il faudrait évidemment diviser par deux le nombre de circonscriptions et en profiter pour ramener le nombre de députés à celui de 1986. Ainsi, avec 240 circonscriptions – notre pays en comptait 103 à la Libération et ne s'en portait pas plus mal – et 480 députés, le scrutin binominal garantirait la parité dans cette Assemblée. (Applaudissements.)

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