Intervention de Brigitte Gothière

Réunion du 27 avril 2016 à 16h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Brigitte Gothière, porte-parole de l'association L :

Je vous remercie également d'avoir mis en place cette commission d'enquête.

Les animaux souffrent toujours de leurs conditions d'abattage, que celui-ci soit fait conformément à la réglementation ou pas. Les lieux d'abattage, par essence, sont des lieux violents et cruels. Les associations ne sont pas les seules à le dire ; le préambule du règlement européen sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort reconnaît que « la mise à mort des animaux peut provoquer chez eux de la douleur, de la détresse, de la peur ou d'autres formes de souffrance, même dans les meilleures conditions techniques existantes. Certaines opérations liées à la mise à mort peuvent être génératrices de stress, et toute technique d'étourdissement présente des inconvénients. » Auditionnée par une mission d'information du Sénat réunie en 2013, Mme Anne-Marie Vanelle, présidente de la section alimentation et santé du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), a également déclaré que « malgré toutes [les] précautions [prises], on ne peut cependant jamais éviter complètement le stress et la souffrance des animaux ».

La commission d'enquête porte, je crois, sur les animaux de boucherie et donc sur 263 abattoirs. Il ne faudrait pas oublier les quelque 600 abattoirs de volaille et lagomorphes, autrement dit de lapins. Il faut également se poser la question de la mise à mort des poissons, désormais également reconnus comme doués de sensibilité, et qui ne bénéficient même pas de l'étourdissement.

Je vais m'attacher ici à détailler le non-respect de la réglementation, qui entraîne des souffrances supplémentaires. Aujourd'hui, dans les abattoirs, les contrôles sont insuffisants et le suivi est trop faible pour enrayer les dysfonctionnements. Il n'y a pas de surveillance continue au poste d'abattage, alors qu'il s'agit pourtant d'une obligation réglementaire : l'article 9 de l'arrêté du 12 décembre 1997 précise en effet que « les opérations d'immobilisation, d'étourdissement, d'abattage et de mise à mort des animaux sont placées sous la surveillance continue des agents du service d'inspection qui s'assurent notamment de l'absence de défectuosité des matériels utilisés et de l'utilisation conforme de ces matériels par le personnel ».

Autrement dit, un représentant des services vétérinaires devrait donc surveiller en permanence la mise à mort des animaux, ce qui n'est absolument pas le cas dans les abattoirs sur lesquels nous avons pu recueillir des témoignages. C'est un poste qui n'est pas considéré comme prioritaire dans la mesure où il ne répond pas à une préoccupation sanitaire : les souffrances des animaux n'ont de conséquences que lorsqu'une caméra est placée au bon endroit.

Le syndicat national des inspecteurs vétérinaires tire la sonnette d'alarme depuis de nombreuses années : les inspecteurs ne sont pas assez nombreux, et ce ne sont pas les soixante créations de postes annuelles promises par M. Le Foll qui compenseront ces insuffisances. J'ai vu circuler le chiffre de 2 155 agents, répartis sur les 263 abattoirs d'animaux de boucherie. Mais je répète qu'il y a sur notre territoire 800 à 900 abattoirs… Il serait donc bon de prêter l'oreille aux revendications des inspecteurs vétérinaires.

Qui plus est, les pouvoirs de ces inspecteurs sont insuffisants : Martial Albar, ex-inspecteur assermenté des services vétérinaires, qui nous a contactés à la suite de notre diffusion d'images de l'abattoir d'Alès pour nous raconter son expérience, nous a précisé avoir essayé d'agir, mais sans succès. Il pourrait être intéressant pour vous d'entendre son témoignage.

Enfin, les sanctions sont rares, et même le suivi est souvent inexistant. Ainsi, en 2013 et 2014, aucune sanction pénale n'a été prise, comme le souligne l'Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV).

Les images que nous avons révélées montrent des insuffisances qui ont déjà été signalées, et donc parfaitement connues.

J'ai déjà cité le rapport de la mission menée en 2013 par le Sénat. La Cour des comptes, dans un rapport de février 2014, s'est également alarmée de la situation dans les abattoirs : « Au total, écrit-elle, l'absence de contrôle à un niveau significatif et l'absence de sanctions suffisantes mettent en lumière des anomalies graves ». Enfin, les rapports de l'Office alimentaire et vétérinaire, dont le dernier date d'avril 2015, montrent les lacunes des contrôles effectués.

J'en viens aux réponses apportées par les gouvernements successifs. En 2009, nous avions montré des images tournées dans un abattoir Charal à Metz : Bruno Le Maire, alors ministre de l'agriculture, avait assuré dans une lettre à la Fondation Brigitte Bardot que cette question était pour lui une priorité ; il promettait un audit interne et des améliorations réglementaires, notamment la possibilité pour le préfet de retirer des agréments. Quelques années plus tard, nos images peuvent amener à s'interroger : s'est-il vraiment passé quelque chose ?

Aux observations du rapport de l'OAV que j'ai cité tout à l'heure, soulignant l'insuffisance du nombre de vétérinaires en poste dans les abattoirs, Jean-Luc Angot, alors directeur général de l'alimentation, répondait benoîtement : « Oui, nos effectifs sont inférieurs aux normes européennes, qu'on considère trop élevées. On assume. L'abattoir est prioritaire et nos effectifs correspondent aux besoins : on a plus de mille personnes dans nos 250 abattoirs ». Cette inspection de l'OAV portait pourtant sur les abattoirs de volailles – plus de 600, je le rappelle – et non sur les 263 abattoirs d'animaux de boucherie.

La réponse, aujourd'hui, de Stéphane Le Foll, promettant soixante postes supplémentaires par an, des inspections partout au cours d'avril – inspections qui n'auront donc rien d'inopiné –, et des représentants de la protection animale dans les abattoirs, ne fait finalement que reprendre celle de Bruno Le Maire.

Les vidéos dont nous disposons ne résultent pas de dénonciations, mais d'opportunités : il n'y avait pas forcément de signalements de maltraitance dans ces abattoirs. Nos images prouvent simplement l'existence d'infractions déjà documentées par ailleurs – c'est le cas des trois abattoirs d'Alès, du Vigan et de Mauléon, mais aussi de celui de Metz et d'autres abattoirs de volailles et de lapins. Vous allez recevoir l'Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir (OABA) et la Fondation Brigitte Bardot, qui auront également l'occasion de s'exprimer là-dessus.

Nos images montrent des actes de routine ; aucune personne étrangère à l'abattoir n'est présente : ce que nous voyons, c'est le quotidien, et non une mise en scène adaptée à un observateur potentiel – contrairement, par exemple, à ce qui se passe lorsqu'un inspecteur est là.

Nous avons observé différentes techniques d'abattage, avec et sans étourdissement.

L'étourdissement préalable est utilisé pour que le coeur des animaux fonctionne encore lorsqu'ils sont vidés de leur sang. Ce n'est pas un phénomène doux, mais déjà très violent. Il peut être fait d'au moins trois façons différentes. Le pistolet à tige perforante sert à détruire une partie du cerveau en perforant le crâne. On utilise également des décharges électriques, censées rendre les animaux inconscients – mais qui ne font parfois que les tétaniser, comme l'a observé l'OAV – et le dioxyde de carbone (CO2), utilisé à l'abattoir d'Ales ; or le CO2 est reconnu par l'EFSA (European Food Safety Authority, Autorité européenne de sécurité des aliments) et même dans le préambule du règlement européen comme un gaz très aversif pour les animaux et qui devrait être abandonné.

Dans toutes les images que nous avons réalisées, nous avons vu de nombreux étourdissements inefficaces. Parfois, il s'agit des ratés – intensité de courant mal ajustée, pistolet mal placé ou chargé avec une cartouche inadaptée, exposition au gaz insuffisante –, parfois, les animaux ont repris conscience par la suite. On voit notamment des animaux qui bougent alors qu'ils sont déjà suspendus sur les chaînes : ce sont des images très impressionnantes. On voit aussi des animaux qui réagissent au couteau au moment de l'égorgement, ce qui témoigne de leur état de conscience.

L'intervalle entre l'étourdissement et la saignée est souvent long, ce qui explique les reprises de conscience. En ce qui concerne notamment les volailles, les abattages d'urgence ne sont quasiment jamais réalisés en cas d'arrêt de la chaîne – parfois tout à fait routinier, pour un changement d'outil, par exemple. Les animaux étourdis en passant dans le bain électrifié ont donc souvent pu reprendre conscience au moment où ils passent sous la lame. Dans nos images, on voyait même des animaux qui arrivaient à se désengager du cône d'amenée, échappaient ainsi à la lame et n'étaient donc pas saignés : ils arrivaient dans le bac d'échaudage encore vivants.

Aucune mesure corrective n'est prise : nous voyons très souvent des animaux conscients sur la chaîne d'abattage et, dans ce cas, un étourdissement d'urgence devrait être réalisé : dans la plupart des cas, ce n'est pas fait.

Il n'y a pas de tests de conscience. Nos images montrent des tests de conscience au pied – on donne de petits coups de pied pour voir si les animaux réagissent – mais ce n'est pas un test de conscience reconnu par la réglementation : il s'agit plutôt de tester la dangerosité d'animaux avant de les attraper par la patte pour les suspendre à la chaîne.

Mais on pratique aussi des abattages sans étourdissement, dans des abattoirs pérennes ou temporaires.

Dans les abattages sans étourdissement, le matériel est souvent inadapté. Nous l'avons montré notamment pour l'abattoir d'Alès comme pour des abattoirs provisoires. À Alès, le box destiné à des bovins adultes était utilisé aussi pour les veaux qui, du coup, peuvent se retourner. Un des veaux n'était égorgé qu'à moitié et a mis plusieurs minutes à mourir, alors qu'il était déjà relâché… La mentonnière est souvent mal ajustée. Dans le cas des moutons, de même, le matériel d'immobilisation est fréquemment inadapté.

Les égorgements sont souvent faits par un geste de cisaillement, alors que la réglementation impose un geste précis et unique. Or le cisaillement dans une plaie est extrêmement douloureux. Souvent, les animaux sont relâchés dès qu'ils ont été égorgés, sans test de conscience : cela va plus vite, cela ne perturbe pas la cadence… On voit fréquemment des tissus qui se touchent, ce qui est très douloureux et empêche le sang de s'écouler, donc la mort de survenir rapidement.

Je reviens sur les équipements et les aménagements d'abattoir : souvent, rien n'est prévu pour que les animaux ne voient pas leurs congénères mourir. Un reportage de France 3 sur les contrôles actuellement diligentés par le ministère montrait de simples bâches en plastiques, à l'évidence rajoutées à la hâte pour les inspections.

Les pièges sont souvent inadaptés, qu'il y ait étourdissement avant l'abattage ou pas.

Dans les différentes affaires que nous avons mises au jour, les salariés sont devenus des boucs émissaires faciles. Mais on leur demande l'impossible : tuer à la chaîne avec empathie. Peut-on vraiment tuer dans la dignité et le respect ? On leur demande de tuer sans nécessité, ce qui est réprimé par le code pénal ! Quelle est leur formation ? Quelles cadences leur impose-t-on ? Les images de l'abattoir de Mauléon que nous avons montrées ont été prises juste avant Pâques, au moment où il y avait beaucoup d'agneaux à tuer et moins de personnel. Comment sont réparties les responsabilités ? Quels contrôles sont menés ?

Mme Anne-Marie Vanelle, que j'ai déjà citée, déclarait au Sénat que « ces personnels sont soumis à une souffrance à la fois psychique et physique en raison de leurs conditions de travail qui impliquent la réalisation de gestes répétitifs, qui entraînent des troubles musculo-squelettiques, dans un environnement froid et humide ».

Pour nous, il est impossible que les directions et les services vétérinaires n'aient pas été au courant de ces actes. Il suffit de passer une fois dans l'abattoir pour s'apercevoir que le matériel n'est pas conforme. Un vétérinaire ne peut pas ne pas remarquer des animaux qui reprennent conscience alors qu'ils sont suspendus aux chaînes d'abattage. Dans le reportage réalisé par France 3 à l'abattoir de Sisteron il y a quelques jours, on ne voit aucun mouton bouger sur les chaînes : cela ne correspond absolument pas aux images que nous avons prises nous-mêmes.

J'en viens à nos propositions d'actions à engager immédiatement. Nous demandons d'abord plus de transparence, avec notamment des caméras dans les abattoirs. Les ONG doivent avoir accès non seulement aux abattoirs, mais aussi aux documents administratifs les concernant. Nous demandons également un étiquetage des viandes.

Il faut également protéger les lanceurs d'alerte.

Une mesure ambitieuse pourrait consister à cesser de confier la question du bien-être animal au ministère de l'agriculture, dont les conflits d'intérêts sont évidents.

Il est regrettable que les associations ne puissent pas se porter partie civile lorsque des infractions sont commises par des professionnels.

Certaines formes d'abattage sont très discutables, notamment les abattages sans étourdissement, comme l'ont souligné l'EFSA, organisme scientifique de l'Union européenne, mais aussi la Fédération des vétérinaires européens (Federation of Veterinarians of Europe) et l'Ordre des vétérinaires français. Tous trois, comme les ONG, demandent l'interdiction des abattages sans étourdissement.

L'étourdissement par le CO2 est également mis sur la sellette depuis longtemps, notamment par l'EFSA et plusieurs ONG internationales.

Pour effectuer des contrôles, il faut davantage de personnel. Le rapport de la Cour de comptes de 2014 souligne que le règlement européen autorise les États membres à percevoir des redevances ou des taxes pour couvrir les coûts des contrôles officiels, en fixant un taux minimal, mais qu'en France la plupart des abattoirs – 69 % des abattoirs de volailles et 74 % des abattoirs de boucherie – bénéficient d'une modulation qui leur permet de payer une taxe inférieure au niveau minimal fixé par ce même règlement ! Selon la Cour, « en 2012, le produit des redevances sanitaires d'abattage et de découpage a été de 48 millions d'euros alors que les seules dépenses de personnel d'inspection dans les abattoirs s'élevaient à 71,2 millions d'euros ».

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