Intervention de Carlos Tavares

Réunion du 4 mai 2016 à 11h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Carlos Tavares, président du directoire de PSA :

Sur un plan général, vous avez raison. Il faudrait que l'on discute avec quelques grands clients de flottes. Ceux-ci raisonnent en effet en coût total d'utilisation du véhicule au km. Donc, si l'on arrive à préserver un coût total d'utilisation au km qui permette une évolution progressive, pourquoi pas ? Mais il faut que l'on s'entende bien sur le critère que l'on va utiliser pour piloter cette évolution.

En tout cas, comme je l'ai dit tout à l'heure, PSA se positionne comme un apporteur de solutions. Je pense qu'il est de l'intérêt des sociétés – des citoyens – de s'exprimer sur des résultats à atteindre, plutôt que sur des choix de technologies. En effet, si vous vous exprimez sur des résultats à atteindre, vous bénéficierez de toute la puissance d'ingénierie de tous les constructeurs du monde qui chercheront des solutions performantes pour atteindre ces résultats au meilleur coût pour le consommateur. En revanche, si l'on impose une technologie, les constructeurs concentreront leur travail sur cette seule technologie, éventuellement au détriment d'autres solutions plus performantes pour le consommateur et le citoyen.

Cela étant dit, on s'inscrit dans cette évolution. On souhaite simplement pouvoir piloter avec vous la vitesse à laquelle on converge, pour qu'il n'y ait pas d'impact industriel, et donc forcément social, pour notre pays.

Vous m'avez également interrogé sur les carburants. Je rappelle que l'importance du diesel en Europe est une particularité que l'on ne retrouve pas dans le reste du monde, qui utilise essentiellement de l'essence. Et si nous sommes dans cette situation-là, c'est parce que nous avons piloté, par le système fiscal, ce que nous voulions.

Vous m'avez interpellé sur la pression fiscale, qui est un très bon sujet. Aujourd'hui, deux effets de ciseau se cumulent.

D'abord, le pouvoir d'achat de nos consommateurs – je vais raisonner au niveau européen – ne s'accroissant pas ou s'accroissant de manière marginale, la pression sur le pouvoir d'achat est très forte. Concrètement, les clients ne sont pas prêts à payer plus cher les automobiles qu'ils veulent acheter.

Ensuite, la pression sur les coûts, qui est la conséquence des réglementations est elle-même extrêmement forte – à raison de plusieurs centaines d'euros par an. Quand on les regarde une par une, ces réglementations sont censées, raisonnables et souhaitables. Mais leur accumulation génère une inflation sur les coûts.

La pression sur les prix, l'ouverture du marché européen qui reste beaucoup plus ouvert que tous les autres marchés au monde et qui renforce la pression sur les coûts, et l'inflation des coûts qui est la conséquence de l'accumulation des réglementations aboutissent à une réduction des marges des entreprises qui pèse sur leur capacité d'investissement, ce qui constitue évidemment un problème.

Si l'on veut protéger notre capacité d'investissement pour préparer l'avenir au travers de marges qui nous garantissent un flux de trésorerie positif, il faut évidemment être capable de générer de la productivité. La productivité, c'est ce qui nous permet de faire plus avec moins, et donc de contrecarrer cet effet de ciseau entre la pression sur les prix et l'inflation des coûts issue de l'accumulation des nouvelles réglementations.

Nous sommes arrivés à la conclusion que, tous métiers confondus, il fallait que l'entreprise puisse générer tous les ans pas moins de 5 % de productivité pour contrecarrer cet effet de ciseau. Donc, soit vous enlevez des coûts pour l'entreprise – des coûts de toute nature, y compris la pression fiscale ; soit vous nous mettez dans une situation où il faut que l'on génère 5 % de productivité par an dans tous les domaines.

Souvent, les médias me disent : « Monsieur Tavarès, vous sortez de la reconstruction économique de l'entreprise, vous avez fait « Back in the Race », les collaborateurs ont beaucoup travaillé et vous leur demandez encore des efforts ! » C'est parce que la réalité de l'industrie automobile fait que des efforts nous sont imposés par l'effet de productivité que je viens de vous décrire. D'ailleurs, dans cette industrie hyper compétitive, nous ne considérons pas le mot « effort » comme un gros mot. L'effort fait partie de notre travail, tout comme il fait partie de l'intérêt que nous avons au travail : produire des efforts pour atteindre des résultats. Ainsi, au sein du groupe PSA, nous produisons des efforts, nous travaillons en équipe, nous travaillons de manière collective pour faire gagner PSA et donner à l'entreprise un avenir plus prospère et plus visible.

Vous vous êtes exprimés à propos de la mobilité. Celle-ci va-t-elle peser énormément sur les besoins en capitaux ?

D'abord, soyez assurés que nous avons, avec « Push to Pass », les moyens de financer ce plan. Et nous avons les moyens de le financer, tout en conservant ce que nous appelons un free cash flow positif, c'est-à-dire un flux de trésorerie positif. Il n'est pas question de laisser l'entreprise replonger dans la dette.

En d'autres termes, nous allons piloter le niveau d'investissement, tout en préservant un free cash flow positif, qui se traduira par le fait que l'on ne va pas créer de dette. Et nous avons, par notre capacité à être productifs et à aller chercher de nouvelles manières d'être productifs, la capacité de transformer notre rentabilité en capacité d'investissement tout en protégeant un free cash flow positif.

Voilà pourquoi il est tellement important de gagner de l'argent, et si possible beaucoup d'argent. Quand on gagne de l'argent et que l'on fait du profit, on dégage de la capacité d'investissement pour préparer l'avenir, tout en protégeant un free cash flow positif qui ne génère pas de dettes supplémentaires, et on conserve à l'entreprise un équilibre économique particulièrement sain.

Vous m'avez aussi interrogé sur la transition énergétique, les moteurs à combustion interne et l'origine France.

Nous allons nous atteler très prochainement à l'accompagnement industriel de la transition énergétique. Vous l'avez entendu, nous allons développer l'électrification des groupes motopropulseurs, soit pour faire des véhicules hybrides rechargeables essence, soit pour développer la deuxième génération de véhicules électriques – les véhicules électriques à autonomie augmentée. Tout cela va se traduire par des nouvelles chaînes de traction et de nouveaux groupes motopropulseurs.

La question à laquelle nous allons nous atteler est la suivante : comment transformer nos sites industriels non pas uniquement en fabriquant des moteurs à combustion interne, mais aussi en fabriquant des composants de la chaîne de traction électrique ? Nous sommes en train d'y travailler. Nous ferons très prochainement quelques annonces dans ce domaine. Nous allons étudier la manière dont nous pouvons fabriquer en France des éléments de chaînes de traction électrique et des éléments de chaînes de traction hybride.

Tout à l'heure, vous avez évoqué, à juste titre, l'inquiétude. Dans notre pays, l'inquiétude est le premier sentiment qui jaillit dès le moment où une incertitude apparaît. Nous allons le gérer tout comme nous avons géré la reconstruction économique de l'entreprise, en disant : oui, il est normal que les fabrications de moteurs à combustion interne aillent decrescendo, tout simplement parce que le mix diesel baisse.

On voit bien que la pression économique sur les moteurs essence augmente parce les marges sur les diesels sont plus importantes que les marges sur l'essence. Et on voit bien que toute la société, française et européenne, nous oriente vers l'électrification. Donc, nous allons devoir remplacer les moteurs à combustion interne par des éléments de la chaîne de traction électrique ou hybride.

Nous allons le faire en utilisant, notamment, nos sites France. En effet, ces sites nous offrent la possibilité de faire appel à une accumulation d'expertise et à une éducation scientifique. Nous sommes en train d'y développer des process qui sont d'un bon niveau de compétitivité. Développant de nouvelles technologies, nous avons intérêt à maîtriser les process de fabrication de ces nouvelles technologies.

Nous avons la volonté d'utiliser nos sites France, en étant conscients que nous allons être confrontés à une difficulté, qui est la dynamique du changement. De fait, en tant que président du directoire, je me demande toujours si nous sommes en train d'avancer à une vitesse suffisante pour accompagner l'évolution du monde extérieur, mais une vitesse qui ne soit pas excessive pour pouvoir être digérée non seulement par mon entreprise, mais par le corps social dans lequel nous évoluons. C'est une ligne de crête : de temps en temps on glisse d'un côté, de temps en temps on glisse de l'autre, mais il faut continuer à courir, si possible tous ensemble, sur cette ligne de crête pour ne pas se retrouver dans la situation où nous étions en 2012, où nous nous sommes laissés dépasser par les évènements. L'exercice est évidemment délicat.

Maintenant, sommes-nous demandeurs d'incitations à des modifications du parc automobile ? Au risque de vous surprendre, je vous répondrai par la négative. Il y a deux raisons à cela. La première raison est que si elles augmentent les dépenses de l'État français, cela aura à un moment donné – pas immédiatement – des conséquences négatives sur les entreprises. Nous ne souhaitons donc pas contribuer à l'augmentation des dépenses de l'État français. La seconde raison est que, d'expérience, nous savons qu'une fois que l'on a mis ce subside dans le marché et qu'on le retire, les conséquences qui en résultent sur la destruction de valeur au niveau des prix de vente sont considérables. En effet, la tentation de nos commerçants est de continuer à donner aux clients, avec nos propres ressources commerciales, ce qui était précédemment donné par l'État français. Cela détruit les marges de l'entreprise. La rupture de ces incitations a donc un effet très pervers.

Ainsi, le groupe PSA n'est pas demandeur de ces incitations. Il est plutôt demandeur d'un travail collaboratif pour gérer les transitions à une vitesse qui, à la fois, satisfait les sociétés et nous permet de nous adapter. Ayant l'avantage de ne pas être un dinosaure énorme dans l'industrie automobile, nous possédons une agilité suffisante pour y parvenir.

Sur le mix essencediesel, je comprends parfaitement l'inquiétude de nos collaborateurs. Ils voient les médias comme nous les voyons tous, et ils se disent que d'un jour à l'autre, nous pourrions nous trouver dans une impasse. Assez rapidement, nous allons donc les mettre dans cette perspective de la transition énergétique, et leur indiquer, notamment, comment on affectera, sur les sites France, un certain nombre des composants de la chaîne de traction électrique.

Cela nécessitera que l'on développe de nouvelles compétences. Cela nécessitera également, comme nous l'avons fait sur l'usine de Rennes, que l'on se lance, avec un état d'esprit ouvert, dans de nouvelles fabrications. Ainsi, à Rennes, nous avons commencé à fabriquer, avec notre partenaire Bolloré, des véhicules électriques. Bien sûr, nous avons dû essuyer les quolibets de ceux qui ont critiqué la faiblesse des volumes produits. Mais il faut commencer par apprendre la technologie et les nouveaux process avant de songer à se développer. À l'inverse, on nous critiquerait tout autant si on ne développait pas en France les nouvelles technologies de demain. Commençons donc par le début. C'est la raison pour laquelle je compte sur votre soutien pour gérer cette transition.

J'en viens aux questions. Est-ce que « Push to Pass » est le plan qui doit libérer l'énergie et le plein potentiel du groupe PSA ? Oui, trois fois oui. C'est bien le but de ce plan.

J'avoue que je ne connaissais pas le cas de Taïwan. Je m'en excuse auprès de vous et je vais m'empresser de l'étudier.

Est-ce que la vraie révolution est celle du véhicule connecté et du véhicule autonome ? Dans tous les cas, sur le véhicule autonome, je vous assure que l'on fera ce qu'il faut pour rester dans le peloton de tête, comme nous le sommes aujourd'hui. Car nous n'avons pas fini de tout découvrir.

J'ajoute que nous ne partageons pas, avec tout le respect que nous avons pour cette entreprise, le point de vue de Google selon lequel il faudrait passer « one shot », directement, au véhicule totalement autonome. C'est une question de sécurité. La technologie est extrêmement complexe et pointue, et l'on ne peut pas passer de zéro à 100 % d'autonomie sans avoir consolidé les étapes intermédiaires de l'assistance à la conduite, qui permettent de garantir à tout instant au consommateur une sécurité absolue dans l'usage du véhicule. Nous préférons y aller suivant un road map que vous connaissez sûrement déjà : 2016, 2018, 2021. Nous prévoyons trois étapes d'assistance progressive à la conduite pour arriver à ce niveau.

Monsieur Barbier, est-ce que le temps d'utilisation du véhicule est inférieur à 15 % ? Selon les start-up californiennes qui font de l'auto-partage, il ne dépasserait pas 5 %.

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