Intervention de Jean-Claude Mailly

Réunion du 27 avril 2016 à 17h15
Mission d'information relative au paritarisme

Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, FO :

Mon organisation syndicale a joué un rôle important dans l'émergence du paritarisme dans notre pays, et elle est quasiment génétiquement attachée à ce mode de gestion. L'assurance chômage, les retraites complémentaires ou la formation professionnelle sont gérées selon ce système qui implique un accord collectif professionnel ou interprofessionnel. Nous ne voulons pas remettre à l'État ce qui peut relever de la négociation collective qui, selon nous, est une expression de la liberté et de l'indépendance de l'organisation syndicale. D'un côté, il y a la loi qui relève de l'État ; de l'autre, il y a le contrat sur lequel nous avons un pouvoir de négociation et de gestion dans le cadre d'un système paritaire.

Quel est le champ du paritarisme ? Pour faire simple, c'est tout ce qui tourne autour du contrat de travail – les régimes complémentaires de retraite, la formation professionnelle, l'assurance chômage – et qui est financé à partir du salaire sous forme de cotisations salariales ou patronales. Contrairement à certains qui ont une vision extensive du paritarisme, nous ne pensons pas que les syndicats doivent participer à la gestion d'une entreprise au sein du conseil d'administration. Mais nous avons joué un rôle important lors de la création des institutions paritaires : les caisses de retraite, les organismes d'assurance chômage ou de formation professionnelle.

Quel est l'intérêt du paritarisme ? Il fait vivre la négociation entre les interlocuteurs sociaux. Il assure une indépendance des champs concernés, que ce soit l'assurance chômage, les retraites complémentaires ou d'autres, par rapport au domaine législatif. C'est un outil de responsabilisation des syndicats qu'ils soient de salariés ou patronaux. À cet égard, le régime des retraites complémentaires est vraiment géré de façon paritaire : les partenaires sociaux fixent le niveau des contributions et des prestations. C'est d'ailleurs le dernier domaine où nous avons une pleine légitimité, même s'il y a du paritarisme dans d'autres champs.

La légitimité du paritarisme est liée au mode de financement des régimes paritaires. Les organisations syndicales, salariales ou patronales, sont responsables de ces régimes qui sont financés sur la masse salariale et distribuent un salaire différé. En revanche, l'impôt ne relève pas de notre compétence : son montant est fixé par les parlementaires et sa gestion est effectuée par l'État.

Qu'en est-il de ses évolutions ? La sécurité sociale n'est plus un régime paritaire alors qu'à sa création, en 1945, elle était gérée par les intéressés eux-mêmes. À l'époque, les représentants des salariés étaient majoritaires dans les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, ceux des employeurs étant minoritaires. Les choses ont évolué par la suite. Depuis 1967, l'État fixe le niveau des cotisations et, d'une certaine façon, celui des prestations. Le fait d'être représentés dans les branches du régime général de la sécurité sociale nous permet d'être partie prenante à la gestion de ce système sans en avoir la pleine responsabilité.

Dans l'assurance maladie, les syndicats représentant les salariés et les patrons sont sur des strapontins : ils participent à des conseils et non plus à des conseils d'administration. Pour ce qui concerne les allocations familiales, l'assurance vieillesse ou l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), ils participent encore à des conseils d'administration, même si la mainmise de l'État s'accroît. Au fil du temps, nous avons donc vécu une remise en cause de la vraie gestion paritaire. Précisons qu'un conseil peut être paritaire sans être composé à égalité par des représentants des syndicats de salariés et d'employeurs : la proportion peut varier à condition que les uns et les autres soient considérés comme des pairs dans la gestion d'un système.

En ce qui concerne les retraites complémentaires, le régime reste purement paritaire : nous fixons le niveau des cotisations et des prestations. Les choses sont un peu plus compliquées en matière d'assurance chômage : même si, au cours de la négociation, nous fixons le taux des cotisations et les règles de fonctionnement, il s'agit d'une délégation des pouvoirs publics aux interlocuteurs sociaux. Quand il n'y a pas d'accord possible, l'État reprend la main sur le dossier. La création de Pôle emploi – à laquelle nous avons été les seuls à nous opposer – a encore affaibli la gestion paritaire du système : nous sommes certes présents au conseil d'administration de cet organisme mais l'État y est majoritaire.

Mis à part dans les régimes de retraites complémentaires, un problème clef se retrouve un peu partout : un mélange des responsabilités et des financements. De plus en plus, les financements proviennent à la fois des cotisations – domaine de responsabilité des interlocuteurs sociaux – et des impôts. Nous avons fait une demande qui portait au départ sur la sécurité sociale mais qui peut désormais être étendue à d'autres régimes : clarifier les responsabilités et les financements. Quand la solidarité nationale est en jeu, comme dans le cas de la couverture maladie universelle (CMU), il revient aux élus de la nation que vous êtes de choisir le type d'impôt qui convient pour le financement. En revanche, ce qui est financé grâce aux cotisations relève de la responsabilité des interlocuteurs sociaux. Cela ne signifie pas qu'il faut créer deux caisses distinctes, mais il faut clarifier le financement. Quand on regarde un tableau de financement de la sécurité sociale, il faut avoir passé quelques années à l'inspection générale des finances ou à Bercy pour y retrouver ses petits. C'est très compliqué. Une plus grande transparence serait un gage d'efficacité.

Compte tenu du budget global que représentent les régimes sociaux, et en période de tension budgétaire, l'État manifeste une propension à vouloir piloter l'ensemble, ce qui remet progressivement en cause l'existence des régimes paritaires et influe sur le rôle des uns et des autres. Si les régimes paritaires disparaissent, nos responsabilités seront différentes. Il faut aussi reconnaître que certaines négociations donnent lieu à des situations un peu bizarres. Pour ma part, je n'ai toujours pas digéré le fait que les négociations relatives aux retraites complémentaires aient eu un assureur privé comme chef de file du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : Claude Tendil – contre lequel je n'ai rien à titre personnel – est un ancien patron de Generali. Les assureurs privés ont un intérêt particulier dans une négociation sur les retraites complémentaires, ce qui signifie qu'il y avait un petit conflit d'intérêts. Tous les problèmes ne viennent pas de l'État ; ils peuvent aussi provenir de certains de nos interlocuteurs.

Voilà, grosso modo, la manière dont nous percevons les choses. Nous pensons qu'il faut, si possible, revivifier le paritarisme dans les champs qui sont liés au contrat de travail.

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