Intervention de Wassim Nasr

Réunion du 11 mai 2016 à 17h45
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Wassim Nasr, journaliste à France :

Je tiens à répéter que le terrorisme est un mode opératoire que ni l'État islamique ni Al-Qaida n'ont inventé. Il a été utilisé par de nombreux autres groupes au cours de l'histoire : les anarchistes, les communistes… Il faut donc appréhender l'idéologie djihadiste, qui a des ressorts religieux et sociopolitiques, comme on appréhenderait celle d'un autre mouvement. Le communisme révolutionnaire violent a profité de la dissolution des États européens après la Première Guerre mondiale ; aujourd'hui, l'idéologie djihadiste profite de la dissolution des États nations au Moyen-Orient.

Existe-t-il des États complices ? Certains États ont fermé les yeux au début de la révolution syrienne, pour diverses raisons. Mais, aujourd'hui, l'État islamique est un électron libre qui représente un danger imminent pour les Turcs, les Saoudiens et les autres États de la région. Sa dangerosité a d'ailleurs été perçue par les décideurs occidentaux dès 2014. C'est ainsi que certaines brigades rebelles syriennes ont été incitées à combattre l'État islamique bien avant que les frappes n'interviennent. Cette idéologie transnationale et transethnique est apparue comme un véritable danger pour la région et, éventuellement, pour les pays occidentaux, ce qui s'est confirmé par la suite. Les dynamiques locales sont bien réelles, mais cette idéologie attire des djihadistes de plus d'une centaine de pays différents.

Par ailleurs, existe-t-il des interlocuteurs dans le monde musulman ? Encore une fois, l'État islamique traduit une révolte. Les responsables musulmans reconnus, qu'il s'agisse d'al-Azhar, des responsables saoudiens ou des Frères musulmans, voire de certains idéologues d'Al-Qaida, sont honnis par les djihadistes de l'État islamique, qui les considèrent comme des apostats. Il s'agit d'une véritable idéologie révolutionnaire qui est en train de bouleverser le Moyen-Orient et le monde, tout en s'inscrivant dans des dynamiques locales. La réponse devrait venir, ne peut venir même, que de ces sociétés.

L'époque actuelle se caractérise par un certain vide idéologique, si bien que beaucoup de gens sont attirés par cette idéologie. Le panarabisme et le panafricanisme n'existent plus, non plus que les luttes ouvrières communistes qui ont pu, par le passé, conduire de jeunes Européens à aller se battre en Espagne ou à rejoindre l'Union soviétique pour construire un nouvel État. Or nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent pas dans la société de consommation ; beaucoup, dans le monde arabe ou le tiers-monde, savent qu'ils n'auront jamais le chien, la voiture et le boulot qui va avec. Ils cherchent donc un autre modèle de société, et cela passe par cette violence à outrance et par cette rébellion contre tout, y compris contre leurs anciens mentors d'Al-Qaida. C'est cela que l'on devrait prendre en considération.

Encore une fois, je ne crois pas qu'ils soient aidés par certains États, car ils représentent un danger imminent. Les prisons saoudiennes sont remplies de djihadistes ! On a beaucoup parlé du chef religieux chiite exécuté par les Saoudiens, il y a quelques mois, mais personne n'a évoqué les quarante-deux chefs djihadistes sunnites qui ont subi le même sort. Les Saoudiens se sentent en danger, aujourd'hui. Quant au gouvernement turc, il a essayé de se préserver, car il sait pertinemment que se trouvent, au sein même de la société turque, des partisans du djihad. N'oublions pas que les premiers djihadistes en Irak étaient kurdes et que l'on compte des émirs kurdes dans les rangs de l'État islamique. Je rappelle qu'après les attentats des frères Kouachi, leurs funérailles imaginaires ont été organisées dans l'une des plus grandes mosquées d'Istanbul. Il faut prendre ces faits en considération lorsqu'on pense à la Turquie ou à l'Arabie saoudite, qui fournit un important contingent de djihadistes. Elle a mis sur pied un programme de déradicalisation – je n'aime pas ce terme – complètement lunaire, auquel elle a consacré des moyens importants, y compris la torture, et qui n'a pas fonctionné. Certains djihadistes saoudiens ont rejoint la Syrie en chaise roulante !

Cette idéologie a des ressorts religieux, mais elle transcende l'idée que l'on se fait de l'islam traditionnel, car ses adeptes se révoltent contre celui-ci. Croyez-vous que ceux qui ont rejoint les brigades communistes en leur temps ou les Vietcongs qui se faisaient exploser face aux chars français connaissaient Karl Marx par coeur ? Bien sûr que non ! On dit que les djihadistes ne connaissent pas l'islam et n'ont jamais lu le Coran. Et alors ? Ce n'est pas le sujet. Ce ne sont pas leurs penseurs ou des étudiants altermondialistes comme le jeune Roy – que j'ai suivi – que l'on envoie commettre des attentats en France, mais les délinquants, car eux savent où acheter des armes et des munitions, où trouver des points de chute. Lorsqu'ils ont envoyé un étudiant algérien, il s'est tiré une balle dans le pied et il a appelé une ambulance…

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