Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 19 mai 2016 à 15h00
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Monsieur le ministre, comment ne pas vous cacher un certain malaise ? Il est d’abord structurel, car les membres de notre groupe sont éliminés de toutes les CMP – voilà quatre ans que nous n’avons pas participé à une seule d’entre elles. Comment défendre le bilan d’une CMP dont nous avons été éliminés ?

Ensuite, nous prenons bien évidemment en compte les rapprochements qui ont été possibles du fait que les positions initiales n’étaient pas trop éloignées. On ne peut pas se rapprocher quand on est trop loin – cette tautologie est une réalité.

Nous sommes un peu mal à l’aise en réfléchissant en historiens sur l’histoire du terrorisme qu’a connu la France et sur les mesures qui ont été prises. En 1945, première montée du terrorisme en Algérie : à Sétif, le général Duval envoie l’armée et tue 18 000 personnes. À Madagascar, des dizaines de milliers de personnes ont été massacrées. Nous avons ensuite connu, entre 1954 et 1962, la guerre d’Algérie, où nous appelions « terroristes » ceux qui se révoltaient contre la France. C’était une véritable lutte, une guerre. La torture et tous les moyens de non-droit ont été autorisés. Tous les officiers qui torturaient ont été couverts par l’autorité. Toute personne susceptible d’être condamnée à mort était exécutée. Moi qui suis un mitterrandiste de toujours, je rappelle que l’ancien président Mitterrand a joué en la matière un rôle qui n’était pas brillant. Il n’était donc pas si facile de résoudre le problème du terrorisme. Il fallait rappeler que l’on peut admettre certaines restrictions des libertés, à condition de rester fidèles à nos principes démocratiques : la balance et son fléau d’un côté, le glaive de l’autre.

Les mesures proposées me semblent susceptibles de recueillir notre approbation, sauf une : la retenue de quatre heures. Après vous avoir tous écoutés à plusieurs reprises, je ne parviens toujours pas à comprendre pourquoi vous avez inscrit cette mesure dans ce projet de loi relatif au terrorisme. Ça me dépasse complètement ! Il était pourtant très simple de se rattacher à la garde à vue et, comme vous l’expliquez, de se situer ainsi dans le cadre de l’État de droit. En effet, la garde à vue et les mesures susceptibles d’être prises à ce titre sont bien connues.

Il faudra faire le bilan de ce dispositif. Je ne demande pour ma part qu’à être convaincu : si on peut me dire que cette mesure a permis d’éviter telle action terroriste ou susceptible de menacer l’État, très bien ! Mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas.

Je n’arrive pas à approuver une telle mesure car c’est contraire à tous mes engagements. Depuis 1997, je me bats sur les questions de présomption d’innocence et de garde à vue : les droits doivent être incontestables dans cette période si compliquée, où l’on donne tellement de pouvoirs à ceux qui sont chargés de réprimer, à ceux qui sont chargés d’obtenir des aveux.

Je sais bien ce que vous allez me répondre : de toute façon, on n’interrogera pas, les aveux ne seront pas recueillis, etc. Mais instituer cette période de non-droit est à mon sens un danger pour la République. Cela ne m’empêchera pas de voter le texte, mais je regrette profondément de ne pas avoir été écouté sur ce sujet, dont je ne comprends pas l’intérêt.

Je vous propose donc, puisque nous sommes entre républicains, de faire un bilan dans six mois, un véritable bilan, afin d’établir si, oui ou non, les droits fondamentaux ont été respectés ou bafoués ; si, oui ou non, nous avons eu raison d’accepter que cette période de non-droit devienne désormais l’une des lois de la République. Voilà ce que je vous demande.

Je suis républicain depuis toujours. Ici, à l’instar de mon ami Giacobbi, les radicaux veulent défendre la République. Ils comprennent très bien que lorsque la République est attaquée, elle doit pouvoir se défendre.

Mais le président François Hollande, alors que je me trouvais avec lui au Caire, s’est adressé au maréchal Al-Sissi pour lui rappeler que les droits de l’homme – tous les droits de l’homme – étaient le meilleur moyen pour lutter contre le terrorisme. On ne doit jamais transiger avec les droits de l’homme.

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