Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du 18 mai 2016 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet, rapporteure :

Merci, monsieur le président, chers collègues, de me donner l'occasion de vous présenter à nouveau une proposition de loi. J'étais venu il y a un an défendre la proposition de loi relative au droit de préemption des salariés : votre Commission avait adopté le texte à l'unanimité. Au vu des amendements déposés, je ne suis toutefois pas aussi optimiste cette fois-ci.

Cette proposition de loi relative à l'autonomie des femmes étrangères s'inscrit à la fois dans le prolongement de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, à laquelle elle apporte quelques précisions, et dans un combat plus large en faveur des droits des femmes, dont chacun sait ici qu'ils restent toujours à conquérir, en France et dans le monde. Nous savons tous aussi que le combat des femmes pour leurs droits et contre les mentalités rétrogrades a besoin du soutien de la loi.

S'intégrer dans un nouveau pays quand on a été élevé et éduqué de l'autre côté des mers ou au-delà des montagnes, c'est de toute façon difficile. La législation française, qui s'est considérablement compliquée depuis les années 1980, ne facilite pas les choses. Les femmes se heurtent à un obstacle supplémentaire : la domination patriarcale, parfois insidieuse, parfois brutale, qui dépasse les frontières et les institutions pour imprégner les mentalités. La vie de ces femmes étrangères n'est alors pas plus facile à l'intérieur du foyer qu'elle ne l'est au dehors.

À ces deux éléments s'en ajoute un troisième, qui fait précisément l'objet de cette proposition de loi : quand on est une femme, quand on est étrangère, les oppressions se renforcent mutuellement, ce que m'ont confirmé les associations que j'ai auditionnées. Pour une femme étrangère victime de violences perpétrées par son conjoint en règle – ou la famille de celui-ci – , qu'il soit de nationalité française ou titulaire d'un titre de séjour, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) devient un auxiliaire de la domination : elle doit se taire et endurer, sinon elle sera dénoncée et éloignée. Une femme au statut fragile, dont le compagnon constitue le seul obstacle au renvoi dans son pays, aura tendance à tout accepter de celui-ci – même et surtout l'inacceptable. Parfois, les préfectures demandent pour le renouvellement du titre de séjour la présence des deux époux, ce qui pose problème en cas de conflit entre eux.

Bien sûr, il ne faut pas laisser croire que le droit actuel est aveugle. Je sais que des progrès ont été accomplis, en 2010 et 2016 notamment : je pense à la loi contre les violences faites aux femmes, mais aussi à la loi contre le système prostitutionnel et à la loi relative au droit des étrangers. Mais il faut ouvrir les yeux : ces progrès n'ont pas permis de traiter complètement le problème spécifique de l'accès à l'autonomie des femmes étrangères.

Cette proposition de loi, très attendue sur le terrain, vaut autant par son contenu, qui n'est pas neutre, que par son existence. Elle a vocation à dire aux femmes étrangères que la France ne se désintéresse pas d'elles, qu'elles n'ont pas vocation à endurer en silence, qu'elles trouveront un soutien si elles souhaitent se battre et relever la tête !

J'en viens rapidement aux articles qui vous sont soumis. L'article 1er vise à porter à quatre années la durée de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » pour donner aux étrangers en général, et aux femmes en particulier, de meilleures conditions de départ pour construire leur vie en France. Un an, c'est court, et cela ne permet pas d'engager des démarches si on se rend compte, ce qui en général ne tarde guère, que les conditions de la vie conjugale ne sont pas acceptables.

Nous vous proposons, à l'article 2, de corriger la rédaction actuelle du CESEDA selon laquelle la loi est soumise aux conventions internationales. Je sais que ce n'est là que la reprise de l'article 55 de la Constitution, mais ce n'est pas toujours exact. J'ai en tête le cas très précis des répudiations, auxquelles la Cour de cassation refuse de donner effet en France malgré les traités conclus avec l'Algérie et le Maroc notamment. Quand une convention est contraire à l'ordre public, elle est écartée au profit de la loi française. Je présenterai un amendement pour affirmer clairement ce principe, l'article 2 dans sa version initiale étant quelque peu excessif.

Les articles 3 et 6 visent à protéger la femme étrangère en l'émancipant de son conjoint, c'est-à-dire en lui permettant de quitter celui-ci sans perdre pour autant de ce fait son droit au séjour, et en l'autorisant à demeurer en France si elle est partie à une procédure pour des faits de violence. Là encore, je vous présenterai des amendements pour resserrer un dispositif trop ambitieux.

Les articles 4 et 5 corrigent des oublis. La loi du 7 mars 2016 a généralisé l'expression « violences familiales ou conjugales » dans le CESEDA, prenant acte du fait que les coups donnés par un père ou par un frère sont aussi détestables que ceux portés par un mari ou par un compagnon. Cette évolution a été opérée partout, sauf pour le regroupement familial, et je vous proposerai d'y procéder. Je suggère également que la victime qui a eu le courage de porter plainte et dont la justice a définitivement condamné l'agresseur bénéficie d'une carte de résident de plein droit, et non suivant l'appréciation de l'administration.

Enfin, l'article 7 est relatif au droit d'asile des femmes, qui sont les plus vulnérables dans le contexte migratoire international actuel. Elles sont toujours, nous le savons, les premières victimes de l'obscurantisme. Il faut que notre pays réaffirme solennellement qu'il se tient au côté des malheureuses excisées, des captives esclaves de l'État islamique, de celles à qui on dénie le droit d'être des femmes et de se comporter comme telles. Je sais que l'expression « combattant de la liberté » les recouvre déjà partiellement, mais je crois nécessaire de protéger aussi celles qui n'ont d'autre titre de gloire que la volonté de vivre comme elles l'entendent, et qui ont déjà beaucoup de mérite à cela.

Cette proposition de loi est humaniste et féministe. Chacun s'honorerait à la voter. Bien sûr, je suis prête à discuter d'évolutions rédactionnelles et à échanger sur la pertinence des dispositifs proposés. Mais j'espère recueillir, de la part de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, l'expression d'un soutien à la cause des femmes étrangères en France.

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