Intervention de Arnaud Viala

Réunion du 18 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Viala :

Les récents débats relatifs à la loi sur le travail, même tronqués et amputés de l'essentiel de leur substance par le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, ont souligné une nouvelle fois qu'on ne peut pas parler travail sans parler rémunération ; ce qui renvoie à l'adage voulant que tout travail mérite salaire. Il convient donc de se poser la question de la juste rémunération des tâches effectuées et des responsabilités exercées dans le cadre de l'exercice de toute activité professionnelle.

Par ailleurs, de récentes polémiques ont défrayé la chronique au sujet de la rémunération des patrons de PSA, de Renault ou de Sanofi. De très grands dirigeants d'entreprise semblent avoir perdu pied avec la réalité en s'octroyant, ou en se faisant octroyer, des émoluments qui dépassent l'entendement et qui, à juste titre, choquent.

Toutefois, il nous semble que ces éléments de contexte méritent d'être considérablement nuancés. En premier lieu, il va de soi que ces quelques exemples répondent sans aucun doute à la redoutable loi de la rumeur publique : on ne parle que des trains qui sont en retard. Personne ne conteste que des rémunérations de plusieurs millions, parfois plusieurs dizaines de millions d'euros par an, sont anormales et doivent être bannies. En revanche, personne ne parle des centaines de milliers de patrons en France qui ne se rémunèrent pas, qui sont moins bien payés que le moins payé de leurs salariés, souvent pendant plusieurs années, afin de garantir la pérennité de leur entreprise. Ceux-là n'ont pas besoin qu'une loi soit votée pour encadrer leurs rémunérations et sont largement majoritaires dans notre pays.

Cela pose d'ailleurs la question fondamentale soulevée par ce texte : faut-il encore légiférer pour encadrer les rémunérations ? Beaucoup de dispositions existent déjà, notamment dans le secteur public. N'est-il pas préférable de donner plus de pouvoir en la matière aux actionnaires des grands groupes, de régler définitivement la question des indemnités de départ et de s'appuyer ensuite sur l'autorégulation au sein des entreprises, plutôt que d'alourdir le stock législatif ? C'est ce que nous pensons.

En second lieu – les récents débats et, surtout, le mécontentement exprimé partout dans notre pays le soulignent avec force –, les entreprises ont besoin de souplesse pour s'adapter à la réalité de leur activité, de leur marché, de leur environnement socio-économique.

L'essentiel de votre proposition, monsieur le rapporteur, repose sur un rapport d'échelle : l'écart de rémunération au sein d'une entreprise, quelle qu'elle soit, ne doit pas être supérieur à un rapport de 1 sur 20. Nous ne doutons pas qu'il puisse se trouver quelques entreprises pour lesquelles ce texte corresponde à la réalité, mais, en l'espèce, votre proposition est inapplicable de manière uniforme. Elle ne conduirait d'ailleurs qu'à accentuer le clivage entre salariés et patrons, dont chacun sait qu'il est délétère. Notre pays doit revenir à une considération simple : il ne peut pas y avoir de salarié sans patron ; 99,99 % des patrons se soucient naturellement du bien-être et des conditions les plus justes pour leurs salariés, sans avoir besoin de cadre législatif contraignant. La même proportion de patrons prend des risques financiers, professionnels, personnels et de santé afin de réussir dans leur activité, que leur rémunération ne compensera jamais.

Enfin, ce texte pose à nos yeux la question de l'orientation que nous souhaitons donner à notre société. Hasard du calendrier peut-être, fleurissent en ce moment, en marge du texte de Mme El Khomri, quantité de propositions concourant toutes au même résultat : la déresponsabilisation totale de l'individu dans notre fonctionnement collectif. J'assistais hier, avec certains de nos collègues, à une audition de la commission spéciale sur la citoyenneté et la laïcité où l'on nous demandait de légiférer afin de rétribuer les activités bénévoles. Ici même, il y a quelques semaines, a été examinée une proposition de loi visant à étendre les droits de la femme enceinte au père géniteur. Je me permets de le dire sans excès et sans aucune volonté de provocation : ces mesures, dont le périmètre peut paraître anodin parce que très circonscrit, font évoluer les mentalités dans le mauvais sens, car elles poussent à l'abandon de toute notion de responsabilité individuelle, de conscience même. Concernant les rémunérations, nous sommes favorables à des dispositifs empêchant les excès manifestes et régulant les montants des indemnités de départ, mais nous considérons que l'autorégulation est tout à fait à même de prévenir l'immense majorité des excès, et qu'elle le fait déjà. C'est pour ces raisons que nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi.

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