Intervention de Gaby Charroux

Réunion du 18 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaby Charroux, rapporteur :

On mesure, lorsqu'on occupe cette place, à quel point le travail des rapporteurs est long et compliqué : face à la multitude de remarques et de propositions suscitées par la présentation du texte que l'on défend, on voudrait disposer de plus de temps pour pouvoir répondre dans le détail à chacun.

Vous avez eu raison de dire, madame la présidente, que je ne confondais pas les patrons de petites entreprises et les cadres dirigeants de grands groupes du CAC 40 : ce sont bien ces derniers, et eux seuls, qui sont visés par la présente proposition de loi.

Cette proposition est justifiée par un sentiment qui semble unanimement partagé : l'exaspération inspirée par une situation indécente, qui ne saurait durer davantage. De ce point de vue, je comprends mal que l'on me reproche de faire cette proposition de loi aujourd'hui : en tant que député de l'opposition, je saisis l'occasion qui m'est donnée de déposer ce texte dans le cadre d'une niche parlementaire et, si cette proposition devait être adoptée et produire ses effets dans les années à venir, j'en serais ravi. Quand on annonce que le nombre de chômeurs de catégorie A a diminué de 60 000 au mois de mars, je me réjouis à l'idée que ce sont autant de personnes qui échappent à la précarité. De même, si nous pouvons aboutir à davantage de transparence et à une réduction des inégalités sociales grâce à cette proposition, je me féliciterai d'avoir obtenu ce résultat.

Pour ce qui est du facteur 20 – en utilisant cette expression, je fais référence au livre de Gaël Giraud et Cécile Renouard, Le Facteur 12 : pourquoi il faut plafonner les revenus –, il s'agit d'une valeur d'appel : si l'on veut mettre fin à la situation actuelle en matière d'écarts de salaires, que chacun s'accorde à trouver insupportable, il faut bien formuler une proposition. J'admets que nous aurions pu retenir une autre valeur, que ce soit vingt-cinq – comme cela a été le cas en 2012, avec le décret en conseil des ministres plafonnant la rémunération des dirigeants d'entreprises publiques à 450 000 euros – trente, ou même davantage. Ce n'est pas une question de degré, mais de nature de l'entreprise : face au comportement de certains dirigeants qui semblent agir comme s'ils n'avaient aucune conscience, il importe de se demander si l'entreprise ne doit pas être vue avant tout comme une communauté de destins au sein de laquelle le cadre dirigeant serait lié aux salariés de son entreprise.

Lors de son audition, hier, l'économiste Gaël Giraud a évoqué l'idée selon laquelle la rémunération des grands patrons constitue un bien positionnel, c'est-à-dire qu'elle n'a pas seulement une valeur absolue, mais aussi et surtout une valeur relative, celle résultant de la comparaison avec les rémunérations des autres chefs d'entreprise. De ce point de vue, ce n'est pas tant l'argent que l'on perçoit qui compte, que le fait de pouvoir obtenir autant ou plus que les autres. Ainsi un footballeur vedette – qui, en sa qualité de salarié d'un club, aurait vocation à se voir appliquer les dispositions que je propose – mettra-t-il souvent un point d'honneur à obtenir une rémunération au moins aussi importante que celle perçue par tel ou tel autre joueur, motivé en cela par des considérations d'ordre positionnel – le salaire qu'on est disposé à lui accorder constitue un témoignage de la valeur qu'on lui reconnaît en tant que joueur – plus que par le fait de toucher quelques dizaines de milliers d'euros supplémentaires, qui ne changeront pas grand-chose à son train de vie.

Une étude a été menée auprès d'étudiants de grandes écoles : quand on leur a demandé s'ils préféraient gagner 50 000 euros par mois et percevoir ainsi le salaire le plus élevé de l'entreprise, ou gagner 80 000 euros en devant accepter le fait que des salaires plus élevés soient versés à d'autres personnes dans l'entreprise, ils ont majoritairement répondu qu'ils préféraient la première offre : cela montre que c'est avant tout la position dans l'entreprise qui importe.

La question de la constitutionnalité de l'article 1er a été évoquée. Comme je l'ai indiqué dans mon rapport, l'objet de cette proposition ne consiste nullement à plafonner les rémunérations ou à porter atteinte au droit de l'entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise. Dès lors qu'un salaire minimum a été fixé au niveau constitutionnel, conformément à l'intérêt général, pourquoi le fait de fixer un salaire maximum serait-il anticonstitutionnel, alors que cet objectif relève, à mon sens, tout autant de l'intérêt général ? En tout état de cause, peut-être est-il possible de corriger par voie d'amendement le risque d'inconstitutionnalité que certains voient dans l'article 1er : si c'est le fait de retenir un écart de un à vingt qui pose problème, je répète que là n'est pas le plus important.

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