Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 17 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Je reviendrai sur la philosophie des articles qui concernent mon domaine de compétence, après quoi je souhaite que nous ayons la discussion la plus ouverte possible.

Plusieurs dispositions du texte relèvent de la démarche sur les nouvelles opportunités économiques que nous avons entreprise à l'automne dernier puis conduite pendant plusieurs mois avec des organisations professionnelles, des organisations syndicales, des experts, des intellectuels et des entrepreneurs.

Nous commençons à pratiquer une grammaire de la production qui ne suit pas les règles de l'économie de rattrapage dans le cadre de laquelle nous avons construit notre droit du travail, nos régulations classiques. Au sein de l'économie de l'innovation accélérée absolue dans laquelle nous nous trouvons, les cycles sont beaucoup plus rapides et les entreprises et les différents acteurs doivent pouvoir s'y adapter beaucoup plus facilement – c'est tout le débat qui vient d'avoir lieu avec le projet de loi sur le travail.

Le potentiel de création d'activités est très fort pour les très hautes qualifications – les plus adaptées à un cycle d'innovation important et qui se trouvent libérées des tâches les plus répétitives, grâce en particulier aux logiciels et à la modernisation de l'appareil productif –, mais aussi pour les qualifications beaucoup plus modestes. Or, les rigidités de l'économie française rendent difficile d'aller assez vite et assez fort dans les phases d'innovation et de forte création. Parfois même, elles constituent des barrières à la création d'emplois faiblement qualifiés.

Aussi les dispositions qui vous sont soumises visent-elles précisément à aider notre tissu économique à s'adapter, cela autour de trois axes.

D'abord, il faut faciliter le développement des activités et des emplois pour les travailleurs peu qualifiés, en particulier les travailleurs indépendants. Nous avons là un potentiel d'emplois très fort, que ce soit dans le secteur industriel, dans les services ou dans l'artisanat. Or, depuis vingt ans, nous avons pris des dispositions législatives et réglementaires fondées sur les principes, que nous entendons préserver et défendre parce que nous les considérons comme intangibles, de la sécurité et la santé du travailleur et du consommateur, mais qui ont dans le même temps créé des contraintes qui rendent plus difficile la création d'activité dans certains secteurs et sans que cela soit, pour le coup, forcément justifié.

Avec les articles 43 et 44, nous proposons, par conséquent, d'établir les principes d'un nouveau dispositif en matière de qualifications professionnelles et de définition des métiers. En ce qui concerne les qualifications, il s'agit, tout en maintenant les principes évoqués de sécurité et de santé, de ne pas créer de barrières excessives ou, en tout cas, de permettre la valorisation des acquis de l'expérience (VAE). Je pense ainsi à l'accord auquel nous sommes parvenus dans le secteur de la coiffure après des mois d'échanges, et qui va conduire à une vraie modernisation puisque les conditions pour ouvrir un salon seront soit d'être titulaire d'un brevet professionnel, ce qui était la seule possibilité jusqu'à aujourd'hui, soit, désormais, d'être titulaire d'un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) et de justifier d'une expérience à valoriser. La situation était si ubuesque qu'elle ne permettait pas à une coiffeuse ou à un coiffeur justifiant de quinze ans d'expérience de reprendre un salon parce qu'elle ou il n'avait qu'un CAP.

Pour ce qui est des métiers, question particulièrement difficile, nous avons progressivement – notamment, il faut bien l'admettre, à cause de la loi relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (loi dite « ACTPE ») – multiplié les tâches nécessitant des qualifications et donc créé des rigidités à l'entrée.

En examinant les amendements, vous allez donc vous interroger sur le fait de savoir si, pour être coiffeur, carrossier ou artisan boulanger, il faut bel et bien justifier de tel niveau de qualification, alors que nous vivons dans un monde où, pour ouvrir une pizzeria ou devenir restaurateur, aucune qualification préalable n'est requise. Tout ce qui relève du registre du commerce ne fait l'objet d'aucune qualification préalable. Ne reconnaît-on pas pour autant la valeur de ces métiers, n'est-on pas à même de distinguer la qualité des prestations offertes ?

Nous avons décidé dans le passé, dans le secteur de l'artisanat et des métiers, de façon non homogène avec les dispositions en vigueur dans le commerce, d'établir une barrière en termes de qualification. Si elle se justifie par le respect des principes de santé et de sécurité, elle doit néanmoins rester proportionnée. Or de nombreuses activités annexes rattachées à des métiers restent, par ce seul fait, relativement fermées. L'onglerie, par exemple, s'est beaucoup développée ces dernières années, souvent en contravention avec les dispositions en vigueur : cette activité relève-t-elle du secteur esthétique ou non ? Les salons consacrés à la coiffure africaine relèvent-ils des conditions aujourd'hui requises ? Les laveurs de voitures ne peuvent ouvrir leur activité, car dans les textes et la pratique de plusieurs chambres des métiers, on leur demande d'avoir un CAP de carrossier – laver des voitures est considéré comme une activité annexe de la carrosserie. Il s'agit donc de déterminer quelles activités peuvent être détachées des métiers principaux pour stimuler l'entreprenariat.

La réalité du terrain, vous la connaissez mieux que moi : des activités sont créées dans de nombreux endroits en contravention même du droit en vigueur. En 2015, un tiers des crédits accordés par l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), a concerné des concitoyens n'ayant pas le niveau prérequis pour exercer l'activité dans laquelle ils entendaient se lancer. L'objectif du texte est, par conséquent, d'aider à l'entreprenariat pour des métiers faiblement qualifiés, ce qui n'enlève rien à la reconnaissance accordée à d'autres secteurs en termes de sécurité et de santé – principes, j'y insiste, que le texte réaffirme.

La création d'entreprise est un élément d'émancipation économique et sociale. C'est très important pour ceux de nos concitoyens qui, n'étant pas faits pour les études académiques ou n'ayant pas fait ce choix, s'orientent vers les voies professionnelles – jusqu'à présent insuffisamment reconnues. Pour ces derniers, l'entreprenariat peut être une voie d'entrée dans la vie économique plus facile que le salariat ; trouver un client peut être plus facile que trouver un employeur. Certains préfèrent le risque entrepreneurial à la subordination qu'implique le salariat. Il ne faut donc pas les priver de cette option qui n'est pas exclusive des autres, et pour cela renforcer l'homogénéité entre ce qui relève du commerce et ce qui relève de l'artisanat et des métiers.

Le deuxième axe consiste à faciliter la création et le développement d'entreprises. L'objectif est de faciliter le parcours de croissance. Nous proposons, par exemple, de supprimer l'obligation d'ouvrir un compte bancaire professionnel pour les microentreprises, qui peut constituer un obstacle à l'entreprenariat. Nous proposons également de revenir sur l'obligation de réaliser un stage préalable à l'installation pour les métiers artisanaux. Dans certains territoires, on met trop de temps à délivrer l'attestation de validation du stage – qui est, pour plusieurs métiers, une obligation récente. Or nous avons souvent affaire à des personnes dans des situations fragiles et qui ont besoin de travailler. Devoir attendre parfois plusieurs mois au lieu de cinq jours constitue une rigidité exorbitante, surtout compte tenu des qualifications qu'apporte ce stage. Nous proposons donc de réduire ce délai.

Le texte vise également à faciliter la croissance de l'entreprise, en lissant les effets de seuil qui peuvent se révéler très préjudiciables aux autoentrepreneurs, mais aussi en ouvrant un droit d'option à ceux qui n'ont pas initialement choisi le régime de la microentreprise mais dont ils pensent qu'il pourrait leur être profitable pour éviter cette défiance permanente entre ces deux catégories – il s'agit de proposer à des artisans, ou autres, qui sont au régime réel, d'opter chaque année pour le régime de la microentreprise dans le cas où ils y trouveraient avantage. Les analyses réalisées par le ministère des finances montrent que 10 à 12 % des artisans qui sont au régime réel auraient intérêt à adopter le régime de la microentreprise. Ce dernier, dont certains entrepreneurs veulent la disparition, permet de démarrer plus facilement et plus rapidement.

Nous proposons, par ailleurs, pour la transformation d'une entreprise individuelle en société, la suppression de nombreuses obligations coûteuses et peu utiles.

Enfin, le troisième axe est la modernisation du régime de financement des startups, des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Il s'agit d'améliorer le dispositif juridique en matière de délais de paiement – élément essentiel de développement de l'économie. Ces délais sont, depuis 2008, beaucoup plus encadrés. Nous avons amélioré ce dispositif grâce à la loi relative à la consommation et à la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Nous proposons de durcir encore davantage les règles, car le non-respect des délais de paiement pénalise en premier lieu les plus faibles ou les acteurs dont la croissance est la plus dynamique, qui ont besoin d'un fonds de roulement important ou qui sont fragiles dans leur cycle parce qu'en train d'investir. De surcroît, le respect des délais relève de ce que j'appellerais l'ordre public économique : la loi du plus fort ne saurait prévaloir. Nous entendons, par conséquent, relever le plafond de l'amende administrative en la matière.

Nous proposons, en outre, de favoriser l'orientation à long terme des investissements des régimes de retraite supplémentaire en aménageant ces derniers et en donnant aux entreprises de l'économie sociale et solidaire l'accès aux ressources du livret de développement durable.

Vous le voyez, l'esprit du texte est de faciliter la création, le développement et le financement d'entreprises dans une économie dont les cycles sont beaucoup plus rapides. Il est donc indispensable d'offrir la palette d'instruments qui permettra à nos entreprises, à nos entrepreneurs et à nos concitoyens de répondre aux défis de l'économie contemporaine.

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