Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 17 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Je reconnais pleinement la lutte des classes, mais la question est de savoir comment jaillit l'intérêt général. Il ne jaillit pas en suivant la totalité des intérêts catégoriels, sinon, c'est l'inaction publique qui prévaut.

Certaines professions ont accepté de bouger. Avec le secteur de la coiffure, nous avons réussi, en cheminant, à trouver des accords qui ont conduit, alors que ce n'était pas le cas jusqu'à présent, à reconnaître les acquis de l'expérience pour faire évoluer des situations devenues ubuesques.

Nous n'avons pas eu la même réussite avec la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), ce que je regrette. J'ai vu le président Patrick Liébus à plusieurs reprises, il y a eu un vrai travail de concertation, mais la CAPEB refuse de bouger, tant sur le sujet des qualifications que sur celui de la microentreprise. L'équilibre obtenu pour le régime de la microentreprise dans le cadre de la loi ACTPE ou du rapport Grandguillaume ne la satisfera jamais puisqu'elle veut la suppression de ce régime. Or je pense que c'est mauvais pour notre économie.

Un gros travail a été fait par les services du ministère, et une mission de plusieurs mois a été confiée à Mme Catherine Barbaroux, qui a consulté, organisé la concertation et produit un travail public qui a conduit à ces propositions.

En ce qui concerne les qualifications, il ne s'agit pas de revenir sur tout, mais de reconnaître les acquis de l'expérience, et l'avancée importante ici est que la VAE se fait de manière simple. Dans l'artisanat, il suffit de justifier de trois années d'expérience professionnelle. Là aussi, il faut éviter les comportements malthusiens. Nous voulons pouvoir décliner ce que nous avons obtenu dans le secteur de la coiffure.

Hors la coiffure, dans tous les autres métiers, l'entrée en termes de qualification se fait par le CAP. Nous ne proposons, pour aucun métier, de revenir sur le CAP. Ce qui est en question, c'est l'accès à des types d'activité et le caractère détachable de certaines d'entre elles. Là est le coeur du problème, en particulier pour le bâtiment. Je suis tout à fait favorable à l'amendement de votre rapporteur, qui tend à préciser que le décret sera pris après avoir consulté les professionnels. C'est un point dont il faut, en effet, s'assurer, et il en est de même en matière de VAE.

Ensuite, l'idée est d'assurer les garanties, de définir le périmètre et le modus operandi des activités détachables. Je vais vous en donner la philosophie à travers quelques exemples.

Il est déraisonnable que le lavage de voitures relève des activités régies par le CAP de réparateur automobile et de carrossier. C'est pourtant le cas dans beaucoup de chambres des métiers.

Dans le bâtiment, il est évident qu'il faut maintenir l'ensemble des activités du gros oeuvre – maçonnerie, charpente, couverture – et du second oeuvre – pose de portes, de fenêtres, électricité – dans le champ des métiers régis par des qualifications, car il s'agit d'éléments qui touchent à la sécurité et à la santé.

Pour ce qui relève de la bonne façon, il y a deux catégories. Les pratiques qui relèvent d'une garantie décennale doivent s'inscrire dans le plein champ des métiers de l'artisanat. Il y a ensuite la différenciation par le prix. Pour autant, faut-il qu'il y ait une barrière sur tout à l'entrée ? Nous proposons que les activités de peinture n'ayant pas pour but une modification de la maçonnerie ou de la charpente, par exemple, puissent faire l'objet d'activités détachables, comme toutes les petites tâches qui existent aujourd'hui dans le secteur du bâtiment. Car, là aussi, nous voyons ces activités disparaître de nos territoires.

En Belgique ou en Allemagne, il existe encore beaucoup de petits métiers. S'ils n'existent plus chez nous, c'est parce qu'ils ont été regroupés au sein de métiers plus importants, avec une barrière à l'entrée. Les rigidités que nous avons introduites empêchent certains de créer leur propre activité. On constate d'ailleurs un contournement manifeste de nos propres réglementations. Mais, avant tout, interrogez-vous sur la progression à deux chiffres des magasins de bricolage, des bricoleurs du dimanche et de celles et ceux qui ont choisi le régime de la microentreprise dans ce secteur. C'est le serpent qui se mord la queue ! Pour repeindre deux murs, on n'a pas besoin de faire appel à quelqu'un qui a de multiples CAP ni à une entreprise de gros oeuvre qui offre une garantie décennale. On les repeint soi-même, on demande l'aide de son voisin s'il est plus doué ou on fait appel à quelqu'un qui fait du « tout oeuvre », de manière totalement illégale.

Nous faisons preuve aujourd'hui d'une hypocrisie manifeste face à la réalité de notre économie. Le décret donnera un cadre et un environnement juridique stable à des femmes et à des hommes qui créent légitimement des activités qui ne requièrent pas ces qualifications, qui veulent simplement travailler, avoir des clients et s'améliorer au fil de leur pratique. Est-ce une régression civilisationnelle que d'aller en ce sens ? Je ne le crois pas plus que je ne le croyais pour le nombre de dimanches travaillés. Je vous invite à observer ce qui existe dans la restauration. Il n'y a pas d'autre secteur que celui-ci qui ait davantage valorisé le savoir-faire et la qualité dans notre pays. Demain, vous pouvez ouvrir un restaurant. Vous serez distingué par les étoiles ; les clients ne reviendront pas si vous faites de la mauvaise cuisine ; vous serez contrôlé par les services d'hygiène et les services vétérinaires pour tout ce qui relève du domaine public, mais on parle bien de la même chose. Pourtant, vous ne pouvez pas faire de la peinture à domicile.

Compte tenu des règles d'ordre public qui existent en matière de sécurité, en matière sociale, sanitaire et autres, les règles qui ont été ajoutées pour les seules professions relevant du registre des métiers sont déjà exorbitantes. Penser qu'on ne peut en rien les infléchir relève d'une forme de distance avec la réalité. Je ne saurais vous recommander d'aller dans ce sens.

Les aménagements que nous voulons préciser par décret concernent aussi l'esthétique. En la matière, il s'agit de clarification, car le réel n'attend ni les lois, ni les règlements. Plus de 10 000 salons d'onglerie se sont créés. S'il y avait une stricte interprétation des textes, ils seraient en parfaite illégalité.

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