Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 17 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Ce serait une erreur. Ces salons doivent faire l'objet d'une reconnaissance. Certaines chambres des métiers acceptent l'immatriculation sans qualification professionnelle, d'autres non, considérant que ces salons relèvent de l'esthétique. Il faut clarifier ce cadre. Lorsqu'il y a manipulation de produits chimiques dangereux, il faut une qualification à l'entrée, car cela relève de l'esthétique ; s'il s'agit de produits non susceptibles de nuire à la santé ou à la sécurité, nous proposons de laisser continuer.

Ce sont ces aménagements que nous proposons de faire de manière transparente, en consultant les professionnels, mais en sachant bien faire prévaloir ce qui relève de la volonté de préserver les savoir-faire, de valoriser les gestes et les métiers. Le meilleur moyen pour y arriver, c'est l'apprentissage. Il faut développer tous les éléments de différenciation, comme le titre de Meilleur ouvrier de France, que chaque profession a su créer. Ce sont des signes de reconnaissance dans un parcours et de qualification accrue, pas des barrières à l'entrée. Bien entendu, il faut conserver ces dernières pour tout ce qui concerne la santé et la sécurité, mais, pour le reste, il faut les refuser. La barrière à l'entrée n'est qu'une forme de malthusianisme puisqu'elle vise à protéger contre l'initiative individuelle. C'est une mauvaise protection, qui détruit des emplois et décourage les individus d'entreprendre sur notre territoire.

Pour ce qui est du stage préalable à l'installation, j'ai entendu vos arguments. Le SPI a été généralisé par des lois récentes, mais il existe depuis 1982-1983 de manière optionnelle. Je rappelle que ce stage ne donne pas les qualifications indispensables à l'exercice de l'activité. De surcroît, il est demandé pour toute activité qui relève du registre des métiers, mais vous pouvez ouvrir un magasin de photocopieuses, un restaurant ou une pizzeria sans l'avoir suivi. Le SPI ne concerne pas les métiers relevant du registre du commerce. Je ne propose pas de le supprimer, mais est-ce un drame absolu si on ne l'a pas suivi ? Je ne le crois pas. Sinon, il faudrait le généraliser à tous les métiers relevant du registre du commerce, ce qui n'irait pas dans le sens d'une simplification de la vie économique.

L'objectif du SPI est d'améliorer les capacités de gestion de celles et de ceux qui vont s'installer dans des activités relevant du registre des métiers. C'est important, mais pas indispensable. Nombre d'activités relevant du registre du commerce marchent très bien, alors qu'elles ne requerraient pas d'avoir suivi ce stage.

Je répète que je ne propose pas de le supprimer, mais je trouve insupportable que des candidats à l'installation doivent aujourd'hui attendre pendant des mois qu'on leur délivre ce SPI, et, de ce fait, ne peuvent pas commencer leur activité. Il conviendrait, dès lors que la demande est faite à la chambre de métiers, que celle-ci prenne trente jours au maximum pour délivrer le stage et les formations. Au-delà de trente jours, on doit rentrer dans le cadre du principe « silence vaut accord ». Il faudrait également assouplir les dispenses en étendant aux organismes autres que les chambres des métiers la possibilité de fournir des formations équivalentes, afin de ne pas se retrouver dans une situation grise, dont je comprends l'inconfort.

Votre rapporteur a exprimé le souhait qu'on puisse s'installer avant d'avoir purgé ce délai d'un mois. Néanmoins, je vous incite à y réfléchir, car nous resterons dans une situation où des individus ayant toutes les qualifications du métier et ayant suivi toutes les procédures devront attendre un mois avant de créer leur activité, ce qui, au regard des règles de compétitivité et d'attractivité, n'est pas bon. Comment expliquer qu'en France, des investisseurs internationaux peuvent créer une entreprise ou une succursale en dix jours, mais que celui qui veut devenir coiffeur a, lui, l'obligation d'attendre un mois ? Je ne trouve pas que ce soit juste, mais si on n'arrive pas à faire mieux avec les chambres des métiers, allons dans ce sens !

D'autres éléments sont à prendre en compte. S'agissant de publics fragiles, qui ont besoin de travailler pour subvenir à leurs besoins, ces préoccupations justes peuvent parfois produire des effets injustes. En tout cas, je suis ouvert aux pistes proposées par votre rapporteur, qui me semblent aller dans le sens de la clarté. Mais il faut faire en sorte que celles et ceux qui veulent s'installer et rentrer dans l'activité économique ne soient pas les premières victimes de délais non justifiés.

En ce qui concerne la commande publique, l'État, Madame Catherine Vautrin, n'est pas un mauvais payeur, contrairement aux établissements de santé et à certaines collectivités locales. Certains ministères sont en situation difficile, celui de la justice et celui des affaires sociales, notamment, selon les chiffres publiés il y a quelques semaines par l'Observatoire des délais de paiement. Pour le reste, y compris pour ce qui relève de la commande publique en masse, les délais ont été réduits. Vous avez raison pour ce qui est du ministère de la justice, mais bien souvent, les artisans attendent les paiements de certains établissements hospitaliers et collectivités locales. J'ai demandé que l'Observatoire rende ces données publiques ; elles figurent dans son premier rapport. J'ai inscrit les entreprises publiques dans le champ de la loi LME, ce qui n'était pas le cas jusqu'à la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Elles font désormais l'objet des mêmes sanctions que les autres entreprises.

Les délais pour l'État ont été renforcés. Il s'agit, à chaque fois, de moyennes, et vous avez raison de dire que certains cas aberrants demeurent. Cela étant, la moyenne aujourd'hui est de 24,7 jours par an, contre 45,7 jours en 2011. La situation s'améliore, alors qu'elle s'est dégradée pour le secteur privé, ce qui a conduit à renforcer les sanctions. Maintenant, il faut pouvoir contracter avec le secteur social et local. C'est ce que j'ai demandé en écrivant aux présidents des associations concernées, et que nous allons finaliser d'ici à l'été.

En ce qui concerne la transparence des comptes et leur publication, les mesures prévues par le texte sont plutôt de simplification puisqu'elles permettent le dépôt dématérialisé, avec une gestion simplifiée pour les PME. Il n'y a pas de mesures transversales concernant la publication des comptes dans ce projet de loi, qui ouvre même la possibilité, pour les PME, de ne pas publier leurs comptes. Nous avions essayé de faire la même chose dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, en combinant souci de compétitivité, en cas de risque de prédation de certains concurrents dans des marchés extrêmement réduits, et souci de transparence.

Une disposition propre au secteur agricole figure à l'article 31, en la possibilité d'une astreinte en cas de non-dépôt des comptes, mais uniquement pour les sociétés de transformation de produits agricoles. Cette disposition répond à une situation très particulière ; elle permet d'avoir la certitude que l'acteur intermédiaire ne capte pas les effets des contraintes imposés à la filière au titre de la LME. C'est un soupçon que nous avons eu à propos des mesures prises l'été dernier. Il s'agit, en l'espèce, d'une filière avec une forte concentration en termes de distribution, une relative concentration au niveau de la transformation et un grand éclatement des producteurs. S'il n'y a pas de transparence au niveau des comptes, il est impossible de savoir si l'effort demandé au distributeur n'a pas été capté par le transformateur, au détriment des producteurs.

Les problèmes du secteur agricole ne se limitent pas aux relations commerciales, même si celles-ci sont structurantes. Ils relèvent aussi de problèmes conjoncturels, et de problèmes structurels dans certains secteurs. Pour autant, nous avons, sur la question des relations commerciales, à travers la loi relative à la consommation, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques et ce texte, largement accru la capacité de sanction vis-à-vis des comportements les plus déviants ou les moins acceptables. Il faut continuer dans ce sens.

S'agissant des relations commerciales, Madame Annick Le Loch, d'abord, nous faisons mieux respecter la loi. Nous avons augmenté les contrôles de près de 80 %, ce qui a provoqué des tensions lors des dernières négociations. J'avais prévenu les acteurs avant l'ouverture de ces négociations. Il fallait le faire, mais cela a, en effet, créé beaucoup de problèmes dans certains secteurs. Nous voulions également mieux orienter ces contrôles pendant les négociations elles-mêmes, ce que nous avons fait. Les sanctions, qui avaient été renforcées dans des textes précédents, ont pu être appliquées. Nous voulons encore accroître les sanctions pour certaines catégories de comportements dysfonctionnels.

Avec M. Stéphane Le Foll, nous voulons favoriser l'esprit de partenariat. Ce qui marche le mieux, ce sont les contrats de filières par lesquels ces dernières s'organisent. Lorsque le producteur, le distributeur et le transformateur parviennent à se mettre autour de la table et à trouver un accord sur la non-volatilité des prix et la juste marge, l'intérêt de toute la filière est pris en compte et tout tient. C'est vers cela que doivent tendre les filières les plus fragiles. C'est pourquoi nous avons besoin d'instruments pour inciter en particulier les transformateurs à aller plus loin.

Nous avons demandé un bilan de la LME. Les premières amodiations seront proposées dans le débat. L'idée n'est pas de revenir aux pratiques antérieures, qui étaient encore plus opaques et brutales, c'est de réussir à articuler les différents enjeux. La principale difficulté aujourd'hui, c'est que plusieurs facteurs se conjuguent : la LME s'applique à plein dans un contexte déflationniste, alors même que des filières comme celles du porc ou du lait sont profondément sinistrées par l'absence d'investissement pendant quinze ou vingt ans et que les dispositifs communautaires qui les protégeaient ont été levés.

Nous ne consacrons pas toute notre énergie à endiguer les effets de la LME en rétablissant des dispositifs protecteurs, nous cherchons plutôt à réduire la volatilité des prix des matières premières ou de certains composants lorsqu'elle n'est répercutée que sur les producteurs. Pour le lait, par exemple, les prix sont fixés en fonction de l'évolution des prix mondiaux, ce qui ne correspond pas à la réalité du marché et place certains producteurs dans des situations intenables. Nous avons demandé une étude sur ce point à FranceAgriMer. Nous ferons, à mi-année, un bilan, avec M. Stéphane Le Foll, pour voir s'il n'est pas possible de changer une partie de ces éléments.

Par ailleurs, la loi relative à la consommation permet de rééquilibrer le rapport entre les distributeurs et les producteurs lorsque la volatilité n'existe qu'aux dépens de l'un d'entre eux. Les prix peuvent être revus en cours d'année pour donner un peu d'oxygène.

Avec le contrat de filière et les dispositions du présent projet de loi, nous avons un ensemble qui doit permettre une amélioration.

La grande distribution, évoquée par M. Charles de Courson, constitue bien un élément structurant. Aujourd'hui, nous n'avons pas de levier à actionner sur les regroupements en centrales d'achat, car, selon l'avis rendu par l'Autorité de la concurrence, ces rapprochements ont des visées, non pas capitalistiques, mais de stratégies d'achat, essentiellement à l'international. Les services de la DGCCRF et l'Autorité de la concurrence surveillent de très près ces situations pour s'assurer qu'elles n'emportent aucune conséquence sur le marché national. Si tel était le cas, des sanctions seraient prises.

Reste que nous avons un problème structurel, avec une situation d'oligopole impliquant des dizaines de milliers de fournisseurs et soixante millions de consommateurs, situation qui joue évidemment à l'avantage de l'oligopole. Les textes permettent-ils, pour autant, de démanteler cet oligopole ? Cela semble très difficile. Dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques nous avions amorcé un début de solution en permettant aux franchisés qui le voudraient de s'autonomiser ou de changer d'enseigne. C'est dans la capacité à s'affranchir du pouvoir d'enseigne qu'on peut redonner de la vitalité. Je crois également beaucoup aux contrats de filières pour faire rempart à la seule logique déflationniste, dont il est clair qu'elle rend très difficile de sortir de la logique oligopolistique. De fait, dans une logique de baisse des prix, donc de baisse de coûts marginaux, le plus grand est systématiquement avantagé. Tant que nous ne parviendrons pas à créer les régulations permettant de revaloriser les productions de qualité et à mettre en place des contrats de filières opérants, nous aurons énormément de mal à laisser à certains acteurs la capacité de survivre hors de l'oligopole.

Je constate, comme vous, que la situation n'est pas pleinement satisfaisante, même si elle présente certains avantages – nous avons de grands groupes puissants qui exportent et embauchent. Je crains cependant qu'il n'existe pas de mesure magique pour supprimer ces oligopoles et qu'il faille en passer par les éléments structurels que j'ai évoqués.

Pour ce qui concerne les mesures relatives aux nouvelles opportunités économiques qui ne figureraient pas dans ce texte et si, à défaut de NOÉ, on voulait chercher un messie, je veux vous rassurer sans même attendre la discussion des amendements parlementaires.

Monsieur Damien Abad, la responsabilité personnelle pour insuffisance d'actifs qui n'est plus engagée en cas de simple négligence, c'est prévu à l'article 48 ; les assemblées générales réunies sous forme dématérialisée, c'est à l'article 46 ; le double compte pour les microentreprises est à l'article 39.

Monsieur Lionel Tardy, ce texte reprend aussi des dispositions sur le financement de l'innovation, en particulier celles qui permettent d'y réorienter 10 à 20 milliards d'euros – on y trouve ce que l'on a appelé les « fonds de pensions à la française » qui consistent, en réalité, à créer un statut ad hoc avec des règles prudentielles relevant de Solvabilité 1. Le projet de loi introduit également les fonds européens d'investissement à long terme – dit ELTIF, pour European long-term investment funds – qui pourront faire du financement en fonds propres, mais également prêter en direct par dérogation au monopole bancaire. On y trouve aussi diverses dispositions techniques destinées à fluidifier le financement en dette des entreprises, qui sont particulièrement structurantes pour l'économie de l'innovation.

Concernant cette dernière, Madame Corinne Erhel, vous avez raison de souligner les nombreuses mesures prises par ailleurs en termes de conduite du changement et de numérisation de notre économie, qui ne relèvent pas uniquement de la loi. Les diverses chambres des métiers se sont engagées à aller en ce sens. Les coiffeurs ont, par exemple, pris des positions extrêmement fortes en la matière. Cela passe par un changement des formations apportées aux artisans et du contenu des stages de préparation à l'installation. La même démarche a été initiée dans le secteur industriel, dans le cadre de « l'industrie du futur » avec l'objectif de 2 000 PME, TPE et ETI accompagnées d'ici à la fin de l'année sur ces sujets.

Une question de M. Éric Alauzet portait sur la concurrence déloyale que constituerait le statut fiscal de la microentreprise. Les microentrepreneurs ne bénéficient en aucun cas d'un statut spécifique : ils sont soumis aux mêmes règles d'installation ou de qualification que les autres entrepreneurs. Seul le régime fiscal qui leur est appliqué est différent : il donne des facilités déclaratives en matière de TVA et de cotisation foncière des entreprises (CFE), et permet d'obtenir des allégements fiscaux, à condition de ne pas avoir de charges à déclarer. C'est un régime hyper simplifié.

Nous proposons, dans le projet de loi, d'augmenter la flexibilité pour la sortie du régime, de façon à éviter le déclenchement trop rapide du couperet que subissent ceux que leur développement dans l'entreprenariat conduit à franchir un seuil. Ceux-là, pour éviter de basculer, optimisent autour du seuil, ce qui favorise plutôt les activités non déclarées et des comportements malthusiens visant à ne pas dépasser le seuil en question.

Il y aurait concurrence déloyale si l'entrepreneur au régime réel ne pouvait pas passer au régime simplifié. C'est pourquoi nous proposons de donner chaque année un droit d'option entre l'un ou l'autre régime, selon qu'il est le plus intéressant. Cela permettra de clore des débats qui sont devenus complètement irrationnels en France, notamment celui qui existe entre taxis et VTC et qui se double d'un débat entre le régime de microentrepreneur et le régime normal. On verra ainsi que les taxis n'ont aucun intérêt à passer au régime de la microentreprise qui ne permet pas de déduire ses charges – je ne connais pas beaucoup de taxis qui facturent l'essence à leurs clients. Ce régime n'a guère d'intérêt pour ceux qui ont des charges minimales ; il est plus intéressant pour les prestataires de services, en particulier intellectuels. Il peut être utilisé dans le secteur du bâtiment – et c'est pourquoi nous renforçons les contrôles –, par des individus qui font acheter le matériel par leurs clients et ne facturent plus que la pose, comme une prestation de service. Une analyse fine montre pourtant que l'application des règles de TVA grève plutôt le coût total. Nous estimons que 10 à 12 % des entrepreneurs qui sont aujourd'hui au régime réel auraient intérêt à opter pour la microentreprise.

Mon collègue Michel Sapin répondra lui-même aux questions portant strictement sur la lutte contre la délinquance financière, car je ne porte pas ces articles qui ne sont pas en discussion aujourd'hui.

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