Intervention de David Lestoux

Réunion du 18 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

David Lestoux, consultant du cabinet Cibles & stratégies :

Je codirige le cabinet Cibles & stratégies, basé dans l'Ouest de la France. Nous avons deux ports d'attache, à Saint-Brieuc et à Nantes, mais nous travaillons depuis une vingtaine d'années sur la question de l'urbanisme commercial dans les petites villes et les villes moyennes, partout en France.

Au-delà de l'urbanisme commercial, nous nous sommes davantage intéressés, depuis quelques années, à l'avenir des centres-villes, en travaillant sur des villes comme Aubenas, Montbéliard, La Rochelle, La Roche-sur-Yon, mais aussi sur de plus petites villes puisque nous sommes aussi engagés auprès de douze des cinquante-quatre communes lauréates de l'appel à manifestation d'intérêt sur la question de la revitalisation.

Vous avez introduit cette séance en rappelant le taux de vacance commerciale. En effet, le taux de vacance moyen du commerce dans les centres-villes se situe aux alentours de 8 % ou 9 %, et atteint 12 % à 14 % dans les villes de plus petite taille. Ce taux de vacance commerciale est-il le symptôme d'un commerce qui souffre économiquement, ou bien la conséquence d'un centre-ville qui ne joue plus son rôle de centralité ? La réponse est dans la question.

Depuis une dizaine, voire une quinzaine d'années, les coeurs de ville voient partir les professions médicales, les services au public et les habitants. On se retrouve aujourd'hui avec des coeurs de ville qu'on aimerait voir fonctionner commercialement, mais qui n'ont plus de clientèle de proximité.

Selon les derniers chiffres de l'INSEE, le taux de vacance de l'habitat dans les coeurs de ville franchit allègrement la barre des 20 % dans les villes moyennes. On constate, de surcroît, une paupérisation des habitants de proximité dans les coeurs de ville, où l'on a fait beaucoup de ventes de logements « à la découpe », ce qui fait qu'on n'y accueille plus que des débuts et des fins de parcours résidentiel.

Les coeurs de ville souffrent, selon nous, d'une insuffisance de la clientèle de proximité. Dans des villes de 25 000 habitants, on s'étonne de ne trouver que deux boulangeries dans le coeur de ville. Or sur les 25 000 habitants, seuls 2 500 habitent le coeur de ville. Cette organisation commerciale est assez logique, puisque l'habitat se périphérise.

Un autre facteur expliquant les difficultés des commerces de coeur de ville est la périphérisation des services médicaux.

J'étais, hier soir, dans une commune de la Drôme, pour une réunion sur la revitalisation du coeur de ville. J'ai constaté que la maison médicale allait se retrouver à l'extérieur. Quelques groupes de distribution nous ont expliqué que le commerce de demain se ferait là où il y aurait des médecins et que les galeries marchandes seraient peut-être progressivement remplacées par des cabinets médicaux – cela a d'ailleurs déjà commencé – ou des laboratoires d'analyses. Si l'on veut que le commerce de coeur de ville fonctionne, il va falloir conserver en coeur de ville les équipements qui créent du flux.

La périphérisation du commerce est le troisième phénomène expliquant cette vacance. Je ne placerai pas le débat sur l'opposition entre le commerce de détail et la grande distribution. Selon les études que nous avons menées entre 2014 et 2015 sur une trentaine de villes, le commerce de petite taille, de moins de 300 mètres carrés, n'a pas baissé en nombre. Il y en a même toujours plus. Mais ce commerce de proximité se spatialise différemment. On crée des petits môles commerciaux sur les ronds-points, qui sont devenus les emplacements commerciaux numéro un. La vacance commerciale est souvent liée à une recomposition territoriale du commerce, plus qu'à une baisse notable du nombre de commerces.

Nous invitons les collectivités avec lesquelles nous travaillons à s'interroger sur la maîtrise des implantations commerciales diffuses à l'échelle d'un territoire.

Si on tire le fil, on pourrait retrouver, sans que cela pose de problèmes en termes de consommation, le commerce de demain le long des axes de flux, les trajets domicile-travail étant de plus en plus étirés. Nous sommes vraiment à la croisée des chemins, entre un modèle de commerce centralisé, qui tourne autour du centre-ville, des quartiers et des centres-bourgs, et un modèle de commerce qui pourrait suivre les flux. C'est un vrai choix en termes d'aménagement du territoire, qui renvoie à la question des plans locaux d'urbanisme (PLU) et au rôle du schéma de cohérence territoriale (SCoT) dans la planification du commerce.

Pour moi, le problème de la vacance commerciale, c'est un centre qui n'assure plus ses fonctions de centralité, c'est la périphérisation de petites activités de proximité et c'est une clientèle de proximité insuffisante, le tout amplifié par un changement considérable du modèle commercial.

Depuis la fin des années 2000, les mètres carrés commerciaux en France, hors Île-de-France, ont globalement augmenté cinq à six fois plus vite que la population. Sur l'ensemble des études que l'on peut traiter, lorsqu'on a 5 % de croissance de population sur un territoire, on a, en général, 30 à 40 % de croissance du nombre de mètres carrés.

Nous sommes passés à un vrai changement de modèle. En économie, il y a deux notions : l'offre et la demande. En dix ans, nous sommes passés, sans nous en rendre compte, d'un modèle où la demande progressait plus vite que l'offre à un modèle où l'offre est devenue supérieure à la demande. Il y a le commerce physique, mais il ne faut pas oublier l'émergence du commerce en ligne. La question de savoir comment organiser, demain, l'urbanisme commercial tourne autour du rôle de la centralité.

À travers un ouvrage que j'ai produit récemment, je propose, en termes de méthode, de remettre la main sur le coeur de ville. Pour commencer, il faut avoir un projet.

Depuis que je fais ce métier, c'est-à-dire depuis une vingtaine d'années, la première chose que l'on me dit, dès que j'arrive sur un territoire, c'est que l'important, c'est le centre. Mais lorsque j'observe l'aménagement réel du territoire – pas seulement commercial, d'ailleurs –, je constate qu'on fait à peu près le contraire de ce qu'il faudrait faire pour revitaliser le centre.

Si l'on veut revitaliser un centre, il faut avoir une vision à 360 degrés, c'est-à-dire agir sur quatre fonctions.

J'ai déjà parlé de la fonction « habitat ».

En ce qui concerne la fonction économique, le tertiaire, qui peut trouver sa place en coeur de ville, part, depuis dix ans, en périphérie. On pourrait créer des pépinières d'entreprises tertiaires en coeur de ville, mais on les crée plutôt en périphérie.

Il y a également la question de l'emploi. Les villes moyennes de 30 000 à 40 000 habitants ont, en général, toutes perdu à peu près 1 500 à 2 000 emplois dans le coeur de ville, non pas du fait de fermetures, de restructurations, ou d'emplois qui seraient partis vers d'autres territoires, mais simplement par des déplacements d'activités vers la périphérie. En ce qui concerne les services, j'insiste à nouveau sur la nécessaire présence des services non marchands, comme les services médicaux et les services publics.

J'en arrive à la question de la fonction « identité ». C'est une question que je pose souvent aux élus : « Êtes-vous fiers de votre coeur de ville ? Est-ce que votre coeur de ville enchante ? » Je crois que le commerce de demain ne sera plus là pour vendre, mais pour enchanter, pour donner envie. Si l'on enchante, on consommera et le commerce fonctionnera. Si l'on enchante pas, il y a toutes les chances que le commerce connaisse des difficultés et que le taux de vacance augmente.

Donc, oui, il faut travailler sur le commerce et les coeurs de ville. Mais j'estime qu'on a trop travaillé sur le commerce, ces dix dernières années. On a voulu lancer des opérations, comme celles du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), en centrant les problématiques sur la seule question du commerce et en faisant pas mal de « désaménagements » autour.

Si vous deviez réfléchir à nouveau à la question du FISAC, il conviendrait de mettre en perspective le projet commercial, en prenant en compte les différentes fonctions que je viens d'évoquer.

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