Intervention de Michel Piron

Séance en hémicycle du 24 mai 2016 à 15h00
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Corinne Erhel d’avoir bien voulu rappeler que nous avons travaillé ensemble de manière très constructive sur le thème qui nous réunit aujourd’hui.

La conversion numérique de l’action publique est au coeur d’une mutation profonde qui interroge le rôle même de l’État. Si la transition numérique affecte nécessairement des conceptions anciennes de l’exercice du pouvoir, elle peut également être porteuse de transformations permettant d’améliorer le service rendu aux citoyennes et aux citoyens. Dès lors quelques questions se posent : quels objectifs poursuit la modernisation numérique de l’État ? Á qui doit-elle prioritairement s’adresser ? Jusqu’où ce processus doit-il être mené ? Comment gérer humainement et financièrement la transformation numérique de nos administrations ?

Telles sont, en définitive, les questions centrales soulevées par le rapport d’information du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques portant sur l’évaluation de la modernisation numérique de l’État, dont l’Assemblée nationale est aujourd’hui saisie. Naturellement, ce rapport ne pouvait couvrir la totalité du vaste champ concerné par cette mutation. Aussi bien, s’est-il concentré sur les services publics numériques mis en oeuvre par les ministères économiques et financiers, le ministère de l’intérieur et les services du Premier ministre.

Rappelons d’abord que la modernisation numérique de l’État n’est qu’un moyen : il n’est, en aucun cas, une fin. Ce moyen doit répondre à deux questions : au service de qui et pour quoi ?

Au service de qui, tout d’abord ? Nous pensons naturellement à l’usager et aux citoyens de manière plus générale. Toutefois, comment s’assurer que cette transformation numérique de l’État est bien pensée pour eux ? Comment être certain qu’elle correspond véritablement à leurs besoins comme à leurs attentes ?

Pour quoi, ensuite ? Pour un meilleur service public, plus efficace ? Certes. Mais cela ne va pas de soi puisque, si la modernisation numérique de l’État implique sans doute des standards plus efficients et moins coûteux, elle n’est gage ni de proximité ni, encore moins, de personnalisation du service.

Ces deux questions – Au service de qui ? Pour quoi ? – en soulèvent une autre : celle, délicate, du pilotage de la transformation numérique et, plus largement, de la conception et de la mise en oeuvre opérationnelle d’une politique publique. Si la nécessité de faire disparaître des tâches itératives n’est pas contestable, elle ne dispense pas d’anticiper suffisamment ce changement, voire ce bouleversement, à travers une politique concomitante de gestion des ressources humaines. Il s’agit même d’un préalable qui conditionne l’acceptation du changement.

Quant à l’aval, il faut s’assurer que les usagers bénéficient effectivement d’un meilleur service public. Les sondages y suffisent-ils ? Rien n’est moins sûr. Il convient de s’assurer en permanence que la transformation numérique, qui évolue elle-même, est vraiment conduite avec le souci d’améliorer efficacement le service public rendu à l’usager.

Je voudrais ici insister sur deux points de méthode qui me semblent particulièrement importants. D’une part, l’élargissement du champ des services publics numériques nécessite une évolution profonde des mentalités afin d’admettre plus largement le droit à l’erreur – cela a déjà été souligné – à certains stades de la conception et du lancement des projets numériques. D’autre part, pour être certains que ces nouveaux services publics sont pensés pour les usagers, mettons à profit le rôle, trop souvent négligé, d’interface entre l’État et l’usager que jouent souvent les collectivités territoriales.

À cet égard, les auditions qui ont été menées par le comité ont fait ressortir un manque, voire une absence totale de dialogue entre l’État central et ses services déconcentrés. Pourrait-on en finir avec cette vision descendante, voire condescendante, où tout procède de l’État central ? Si, à Paris, on pense, il nous arrive également de penser en province. La numérisation des services publics conçue dans des cercles trop étroits, fussent-ils spécialisés, et à des coûts parfois considérables, a montré ses limites. C’est déjà vrai s’agissant d’approches où manque l’interministérialité – vaste sujet ! C’est encore vrai s’agissant des attentes locales, car il y aurait beaucoup à gagner à mobiliser les intelligences territoriales et à laisser des marges de manoeuvre plus importantes aux services déconcentrés pour prendre des initiatives et expérimenter de nouvelles procédures et de nouveaux modes d’action dans un cadre évidemment national.

Les outils numériques constituent des leviers formidables pour améliorer des services publics pensés au service de l’usager. Agissons en la matière non seulement de manière réfléchie mais aussi avec le pragmatisme auquel nous invitent les conclusions du rapport.

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