Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 18 mai 2016 à 16h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

Depuis que je suis ministre de l'agriculture, le bien-être animal est pour moi une priorité, en même temps que je dois faire face – et vous en êtes tous comptables – à des crises, des enjeux d'emploi, des enjeux économiques, des enjeux de compétitivité, et à des enjeux plus globaux liés à l'agriculture et à l'activité dans tous les territoires de la métropole.

Pour avoir été parlementaire européen, je sais que les règles qui régissent le bien-être animal au niveau européen sont sûrement – et c'est tant mieux – les plus exigeantes qui existent à l'échelle mondiale. J'ai d'ailleurs rappelé hier, au Conseil de l'agriculture à Bruxelles, que lorsque l'on discute d'accords commerciaux, tout le monde doit rester cohérent sur la question du bien-être animal. On ne peut pas prendre des décisions en Europe et considérer que le commerce échappe aux règles et aux normes que nous fixons nous-mêmes pour nos agriculteurs.

Je n'ai pas attendu la diffusion par l'association L214 de ces images qui ont légitimement suscité la réprobation, pour mener une réflexion. Dès 2014, nous avons choisi, avec le directeur de la DGAL, que vous avez auditionné, et les membres de mon cabinet, de doter la France d'une stratégie globale en faveur du bien-être animal. Par ailleurs, s'il est une cause pour laquelle je me bats depuis que je suis ministre de l'agriculture, c'est celle de l'agro-écologie. Parvenir à conjuguer performances économique, sociale et environnementale, tel est l'axe stratégique de la politique que j'ai conduite. Rappelons, mais certains ici s'en souviennent, que la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt l'a inscrit comme objectif national pour l'agriculture française dans un débat qui a rassemblé, et je m'en félicite, une large majorité, bien au-delà de la majorité actuelle.

Reste que la diffusion d'images inacceptables prises dans les abattoirs d'Alès, du Vigan et de Mauléon nous a tous interpellés et nécessite, au-delà de l'émotion, de définir des règles et de mettre en place des outils permettant de garantir dans les abattoirs le respect de la protection du bien-être animal.

Nous avons agi en mettant en oeuvre le plan d'action « abattoir » pour optimiser les inspections. Nous avons mis en place des supervisions par des référents nationaux abattoirs et le principe d'audits annuels avec un appui extérieur au service local – chef de service ou coordinateur abattoir. Ainsi que vous l'avez indiqué, j'ai également demandé que les services de l'État se livrent à l'inspection de tous les abattoirs de boucherie avant le 30 avril.

J'ai également fait plusieurs propositions qui restent à traduire dans les faits. Le droit européen a prévu des référents bien-être animal qui ont la responsabilité de la totalité de la prise en compte du bien-être des animaux dans les abattoirs lorsqu'ils arrivent, mais pas de manière spécifique lors de la mise à mort. Pour ma part, j'ai souhaité aller plus loin en proposant la désignation d'un responsable de la protection animale pour la mise à mort dans tous les abattoirs de France. J'ajoute que la réglementation européenne ne prévoit des référents bien-être animal que dans les abattoirs les plus importants. Notre pays doit faire en sorte qu'il y ait des référents bien-être animal dans tous les abattoirs, grands, moyens et petits.

J'ai été souvent interrogé sur la nécessité de développer des petits abattoirs dans tous les territoires d'élevage. Je le dis de la manière la plus claire qui soit : je n'accepterai pas de rouvrir des petits abattoirs partout, y compris sous la forme d'abattoirs ambulants, comme cela a été proposé, parce qu'il faut être capable d'assurer les contrôles nécessaires exigés par la réglementation sanitaire sur l'ensemble du territoire.

Je propose le renforcement de la formation de tous les opérateurs. Je viens de lire le livre écrit par un salarié d'un abattoir, tueur de son métier. La clarté et la précision de son témoignage permettent de comprendre ce qu'est ce métier. J'ai considéré qu'il était indispensable d'accompagner ces salariés dans leur formation et dans leur métier, très particulier.

Il faut renforcer également le cadre des sanctions pénales en qualifiant désormais de délit les mauvais traitements sur les animaux en abattoir et dans les entreprises de transport.

Ces modifications seront proposées dans le cadre de la loi dite « Sapin 2 » qui sera discutée au Parlement. De fait, la protection de tous les salariés signalant un délit, inscrite dans la loi de décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, pourra alors s'appliquer au cas des mauvais traitements observés à l'abattoir. Nous allons d'ailleurs procéder à un arbitrage le plus rapidement possible pour choisir le véhicule législatif le plus approprié – projet de loi Sapin 2 ou projet de loi sur la justice du XXIe siècle – afin d'éviter tout risque de cavalier législatif et d'adopter des mesures législatives cohérentes avec notre droit et rapidement applicables.

J'ai pris l'engagement de garantir la transparence des résultats des contrôles officiels réalisés au titre de la sécurité sanitaire de l'alimentation. Cet engagement, inscrit dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, entrera en vigueur à compter du 1er juillet prochain. Les résultats de l'ensemble des contrôles officiels mis en oeuvre au titre de la sécurité sanitaire des aliments, tout au long de la chaîne alimentaire, y compris dans les abattoirs, seront donc rendus publics. C'est un choix que nous avons fait dans le cadre de cette loi, et qui sera appliqué. Ces résultats seront directement consultables sur le site Internet des ministères concernés. Le consommateur pourra ainsi connaître, pour chaque abattoir, son niveau de conformité sanitaire, celui-ci prenant en compte le résultat du contrôle du respect des normes en matière de protection animale.

J'ai souvent été interrogé sur la question des postes affectés aux inspections en abattoirs, et sur celle des vétérinaires. Actuellement, ils représentent 2 300 emplois correspondant à 1 200 équivalents temps plein (ETP). Un ministre est évidemment comptable des décisions qu'il prend lorsqu'il exerce ses responsabilités, mais d'autres avaient été prises bien avant mon arrivée. Je rappelle que 440 postes avaient été supprimés entre 2009 et 2012. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il était prévu d'en supprimer encore 120. J'ai décidé de stopper les suppressions de postes – soixante suppressions de postes avaient déjà eu lieu au premier semestre de l'année 2012. Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, j'ai décidé de recréer soixante postes chaque année, avec un objectif de 180 postes sur trois ans jusqu'au budget de 2017. J'espère que tout le monde sera d'accord pour que ce processus se poursuive dans les années à venir. Ces postes dédiés au contrôle sanitaire en abattoirs sont primordiaux, à la fois pour la santé des consommateurs, le respect des règles de protection animale et la sécurisation de la qualité de nos exportations. Lorsque je suis arrivé au ministère, il y a eu à la fois un rapport de la Cour des comptes européenne et de la Cour des comptes française. Avant même qu'ait été pointée du doigt la faiblesse de l'encadrement des vétérinaires dans les abattoirs, qui pouvait d'ailleurs avoir comme conséquence de remettre en cause un certain nombre de certificats à l'exportation, j'avais décidé d'arrêter le processus de suppression de postes et d'engager à nouveau des créations de postes.

J'en viens aux résultats de l'inspection généralisée que j'ai commandée et qui s'est terminée le 30 avril 2016. Suite à ma demande du 30 mars, ces audits ont été conduits pendant tout le mois d'avril dans tous les abattoirs de boucherie. Je rappelle que, conformément à la règle européenne, il est de la responsabilité des exploitants de prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin, en tenant compte notamment des meilleures pratiques en la matière. Les contrôles ont porté sur le respect des obligations du professionnel d'apporter la preuve de sa maîtrise de la protection des animaux tout au long de l'abattage. En particulier, il a été vérifié, pendant la mise à mort, que toute douleur, détresse ou souffrance évitables étaient bien épargnées aux animaux.

Tous les abattoirs de boucherie en fonctionnement en avril 2016 ont été contrôlés en France métropolitaine et en outre-mer, soit 259 établissements – notre pays compte 263 établissements mais certains n'étaient pas en activité au moment des contrôles –, comprenant 460 chaînes d'abattage d'animaux de boucherie, un abattoir pouvant comprendre plusieurs chaînes distinctes.

Dans les deux tiers des établissements, absolument aucun problème n'a été mis en évidence. Dans le tiers restant, n'a été relevé dans la majorité des cas qu'un défaut de conformité mineur – absence de preuves documentaires –, mais aucun problème n'a été observé pendant les opérations pour la protection des animaux : la fiche d'utilisation d'un appareil, par exemple, n'était pas à jour alors que l'opérateur et le responsable bien-être animal en connaissaient parfaitement le fonctionnement. Dans d'autre cas, il pouvait s'agir de défauts de conformité, moyens ou graves.

Des défauts d'étourdissement ont été relevés dans trente-neuf chaînes. Dans la plupart des cas, des mesures correctives immédiates ont été exigées par les services et ont permis de reprendre l'activité d'abattage.

Les non-conformités les plus graves ont donné lieu à des suites immédiates. Elles concernaient moins de 5 % des chaînes inspectées – 19 chaînes sur 460.

Au total, quatre-vingt-dix-neuf avertissements, c'est-à-dire des rappels à la règle, ont été donnés et soixante-dix-sept exploitants ont été mis en demeure d'apporter des corrections à leur système dans un délai fixé par l'administration. Dans deux établissements, des arrêts d'activité – suspension ou retrait d'agrément – ont été ordonnés. Pour tout défaut de fonctionnement, la plus grande fermeté a été appliquée et des procès-verbaux ont été dressés dans huit établissements.

Ce résultat montre la forte mobilisation des services et le respect de la consigne donnée d'accompagner toute non-conformité d'une suite proportionnée et pertinente.

Cette inspection démontre que nous avons encore des progrès à faire. Nous n'y parviendrons pas uniquement par le renforcement des moyens de l'État. Considérer qu'il suffit de mettre dans des abattoirs des vétérinaires pour régler un problème qui est d'abord de la responsabilité de ceux qui ont à gérer des établissements, n'est pas la solution, même si j'ai renforcé le nombre des vétérinaires, sachant que les questions de qualité sanitaire et de protection du consommateur sont très importantes.

C'est pourquoi la désignation de responsables protection animale dans tous les abattoirs, le renforcement de leur formation et de leur protection, et l'aggravation des sanctions pénales sont absolument indispensables.

D'autres questions se posent, dont vous aurez certainement l'occasion de discuter : celle de la mise en place de caméras de vidéosurveillance au poste de mise à mort, par exemple. Je n'y suis pas opposé, mais je veux que vos débats précisent, si vous en faites le choix dans votre rapport, les conditions dans lesquelles cette vidéosurveillance peut s'exercer. Un article de journal en parlait encore hier : tout n'est pas fait pour les salariés et travailler dans un abattoir est extrêmement difficile. Si l'on doit envisager des procédures de contrôle, notamment par la vidéo, encore faut-il qu'elles soient encadrées et correctement gérées. On ne peut pas mettre toute la pression sur les seuls salariés. Votre travail parlementaire devra vous conduire à apporter toutes les précisions qui s'imposent dans votre rapport ; j'en tiendrai évidemment compte pour aller au-delà s'il apparaît nécessaire de modifier la loi.

Voilà ce que je voulais vous dire sur ces sujets extrêmement sensibles qui nécessitent que des décisions soient prises. Comme d'autres, j'ai été touché par les images qui ont été diffusées. Mais les courriers que j'ai reçus et les interpellations dont j'ai été l'objet lors du salon de l'agriculture accusant le ministre d'être pratiquement l'équivalent d'un tueur sans foi et sans morale sont assez insupportables pour toute personne qui exerce une responsabilité. J'assume la responsabilité que j'exerce et je considère que j'ai des comptes à rendre ; mais entre des comptes à rendre et des coups à prendre, il y a une distance que j'aimerais que chacun ait en bien en tête… Et cela vaut pour le ministre de l'agriculture comme pour les représentants de la nation. Si l'on veut des débats qui permettent d'ouvrir toutes les possibilités et de faire progresser les choses, cela suppose aussi un minimum de respect.

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