Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 18 mai 2016 à 16h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

Qu'est-ce qu'un abattoir ? C'est un lieu où les animaux arrivent vivants et en ressortent le plus souvent découpés. C'est une activité économique qui n'a pas d'autre équivalent dans aucun domaine, et dont la rentabilité est extrêmement faible. J'en veux pour preuve le nombre d'abattoirs municipaux qui ont été fermés ces dernières années. Il est difficile de combiner économiquement proximité et rentabilité.

Vous me demandez si l'on ne rogne pas sur le respect des règles au nom de l'économie ; cela peut se produire assez rapidement. Au vu de mon expérience, je considère qu'il faut d'abord consolider ce qui existe, structurer nos lieux d'abattage et les conforter plutôt que de s'obstiner à penser que l'on réglera le problème en installant des petits abattoirs partout.

Car c'est malheureusement le nombre d'abattages qui permet la rentabilité ; et comme il s'agit d'une activité économique à la rentabilité économique extrêmement faible alors qu'elle nécessite beaucoup de main-d'oeuvre, on se heurte à une vraie difficulté. C'est pourquoi toute la réflexion sur l'abattoir du futur, et notamment la partie la plus difficile, c'est-à-dire l'abattage et la découpe, tous les investissements dans la recherche de solutions innovantes pour les années qui viennent sont très importants et utiles, et pourraient même conduire à définir une autre stratégie. Mais pour l'heure, compte tenu de la faiblesse de la rentabilité, je déconseillerai de créer de nouveaux abattoirs. Combien de fois suis-je interrogée par des parlementaires sur la fermeture de leur abattoir, la re-création d'un abattoir, la mise en place d'abattoirs mobiles... Imaginez quelles peuvent être les conséquences en matière sanitaire et de bien-être ! Qui contrôlerait ? Je le répète : commençons par consolider, par aider ce qui existe, par mettre en oeuvre des politiques de bien-être animal et éviter de répondre à des demandes qui finissent par poser un vrai problème d'accompagnement.

Vous me demandez si la cadence a un impact sur le comportement des salariés. Il faut savoir que lorsque la cadence est extrêmement forte, la concentration l'est aussi. Mais si elle devient trop élevée, elle finit par faire disjoncter le système. A contrario, des moments plus calmes peuvent donner lieu à un relâchement général. Je n'ai pas fait d'études scientifiques, je ne suis pas vétérinaire, mais j'ai fait mes propres analyses : il n'y a pas de lien de causalité directe : dans un moment de faible activité, il peut survenir des risques de mauvaises pratiques ou de non-respect du bien-être animal. Mais si les cadences deviennent infernales, le système peut disjoncter. Mais on ne peut pas dire que ce sont les cadences qui entraînent une perte de repères. On peut intuitivement l'estimer, mais ce n'est pas aussi simple que cela.

Mme Alaux se demandait si l'on pouvait sélectionner les candidats. Stéphane Geffroy, dont le livre est d'une grande simplicité et d'une grande fluidité, viendra certainement devant votre commission pour vous raconter son histoire. Dès que ces hommes et ces femmes choisissent ce métier, il faut être là pour les accompagner. Il faut réfléchir, avec le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), à un accompagnement psychologique, mais également à ce qui existe déjà, qu'il faut pouvoir mettre en oeuvre et rendre efficace. Le pire serait de prendre des décisions qui ne pourraient pas être appliquées. Vous avez vu également quelles conséquences peuvent avoir les troubles musculosquelettiques. Il faut qu'il y ait une convergence de travail avec vous en la matière, et que nous réfléchissions à la manière dont on peut faire évoluer la carrière de ces salariés. Je suis certain que l'accompagnement des salariés est important pour la réussite du respect des règles de bien-être. J'examinerai toutes les propositions que vous ferez à cet égard.

S'agissant de l'installation des caméras de vidéosurveillance, il faudra bien mesurer le rapport entre le contrôle et la pression que cela peut induire pour un salarié. Évitons de faire des choix qui pourraient avoir des conséquences non souhaitées. J'ajoute que tous les chiffres que je vous ai donnés à l'instant sur les contrôles que nos services ont effectués seront envoyés à votre commission, afin que vous disposiez des éléments nécessaires. Tel est l'esprit dans lequel nous devons travailler ensemble.

J'en viens à la question de l'abattage rituel. Il y a cinq ans, lorsque je siégeais au Parlement européen, j'ai déjà été saisi de cette question alors que l'Europe discutait de la directive qui applique la convention européenne des droits de l'homme sur la liberté religieuse et l'abattage rituel. Au terme d'un débat, il avait été décidé que l'étourdissement serait la règle et que les dérogations ne seraient plus européennes mais nationales, ce à quoi je m'étais opposé : autrement dit, on renvoyait à chaque État la possibilité de déroger ou pas. Je considérais en effet que la règle, c'était l'étourdissement, et que la dérogation aussi devait être européenne ; il appartenait ensuite aux pays d'appliquer la dérogation ou pas. Mon prédécesseur, Bruno Le Maire, a pris un décret en 2011 sur l'abattage rituel pour que les règles soient fixées après les débats qui avaient eu lieu au niveau européen.

La dérogation à l'obligation d'étourdissement fait l'objet d'un encadrement spécifique en droit français – décret 2011-2006 du 28 décembre 2011 et son arrêté d'application. Les conditions dans lesquelles s'exerce cette dérogation sont les suivantes : une autorisation préalable est délivrée par le préfet sous réserve que l'infrastructure et le fonctionnement le permettent – matériel adapté, personnel dûment formé, procédures garantissant des cadences et un niveau d'hygiène adaptés ; les sacrificateurs sont habilités par des organismes religieux agréés ; les bovins, ovins, et caprins sont immobilisés avant l'abattage par un procédé mécanique dans le but d'épargner à l'animal toute douleur évitable – le problème dans les abattages rituels tient souvent au fait que les animaux sont mal immobilisés. Du coup, ils bougent, ce qui a des effets énormes sur le plan de la souffrance. D'où l'obligation de les immobiliser. Enfin, un système d'enregistrement permet de vérifier que l'usage de la dérogation correspond à des commandes commerciales ou à des ventes qui le nécessitent.

Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai rencontré à nouveau les autorités religieuses. J'ai discuté avec elles pour savoir ce que l'on pouvait faire et si l'on pouvait faire autrement. Le problème, c'est que vous êtes face à des religieux – des rabbins et des imams – qui appliquent les règles de leur propre religion. En tant que ministre et laïque, je n'ai pas à porter de jugement ; j'essaie seulement de trouver un moyen d'améliorer les choses. Je me suis donc tenu à une application stricte de ce décret. Dans le même temps, j'ai confié, au mois de janvier 2013, une mission au conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) pour évaluer la mise en place effective de ces dispositions, et, le cas échéant, de dégager des voies d'amélioration dans l'application du décret pour les abattoirs de boucherie. Ce rapport sera normalement disponible au mois de septembre prochain.

Aujourd'hui, en France, 218 établissements sont autorisés à abattre sans étourdissement, toutes espèces, y compris volailles. En nombre de têtes abattues, l'abattage sans étourdissement représentait, en 2014, 15 % des bovins abattus et 27 % des ovins. À titre de comparaison, en Europe, en 2012, treize États membres ont mis en oeuvre cette dérogation de la pratique de l'abattage sans étourdissement, au premier rang desquels se situe la France en termes de pourcentage de bovins abattus, devant les Pays-Bas et la Hongrie, selon une étude de la Commission européenne.

Peut-on faire de la viande halal sans avoir la validation des autorités religieuses ? Non. Il en est de même pour le casher. Ce n'est pas nous qui pouvons décider des conditions dans lesquelles se délivrent les certificats. Cela dit, les dispositions qui ont été arrêtées en France avec ce décret doivent être scrupuleusement respectées. Nous devons être capables d'évaluer tous ces sujets qui sont très importants et qui risquent de revenir dans le débat, car les conséquences peuvent être lourdes. C'est d'ailleurs la première fois que je fais savoir que j'avais commandé ce rapport.

Je veux enfin répondre à M. Lamblin. Pour 2012, il était prévu de supprimer 120 emplois. Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai décidé de stopper ce processus. Au total, ce sont soixante emplois qui ont été supprimés cette année-là. Nous avons décidé, lors de la loi de finances pour 2013, une stabilisation. La loi de finances pour 2014 a prévu une première création de soixante postes. Puis les lois de finances pour 2015 et 2016 ont prévu chacune la création de soixante postes.

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