Intervention de Pierre Morel

Réunion du 27 avril 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Pierre Morel, président du groupe de travail constitué sur les questions politiques pour l'application des accords de Minsk :

Le noeud est en effet très serré, et le défaire est un travail qui demande beaucoup de patience. Ce conflit ne dure pas seulement depuis la crise politique de l'automne 2013 : il a des racines profondes. Il faut notamment se souvenir des conditions rudes dans lesquelles a pris fin la « vie commune » de la Russie et de l'Ukraine dans l'ensemble soviétique. L'Ukraine a une histoire elle-même complexe, ses frontières étant en partie issues de la Deuxième Guerre mondiale. Le passé pèse très lourd : à certains moments, on a l'impression que ce sont plus de 1 000 ans d'histoire russo-ukrainienne qui sont en arrière-fond des discussions. Le groupe de travail se réunit très régulièrement. Je le préside avec toute la détermination possible, convaincu qu'une solution peut être trouvée et que l'OSCE est la seule à pouvoir assurer cette mission majeure. Il me paraît aujourd'hui encore possible de trouver le bon fil pour commencer à dénouer la crise, même si le temps se fait court.

J'aborderai quatre points. Je ferai d'abord un bref rappel historique. Puis je décrirai la manière dont travaille le groupe sur les questions politiques. Je rappellerai ensuite la feuille de route fixée lors du sommet de Paris le 2 octobre dernier, seul moment où les quatre chefs d'État et de gouvernement du format « Normandie » se sont rencontrés depuis la signature des accords de Minsk le 12 février 2015 ; cette feuille de route, qui a complété les accords de Minsk tout en en respectant la logique, a « calibré » le travail que nous menons. Enfin, j'évoquerai la loi électorale, qui constitue le coeur des négociations.

L'accord de Minsk 1 a été signé en septembre 2014. Il était censé mettre fin à un conflit violent, mais il a été suivi d'incidents sérieux et d'un élément de dérapage majeur : alors que des élections devaient se tenir dans le Donbass à la fin du mois d'octobre, en même temps que dans le reste de l'Ukraine, en vue de donner une légitimité à des interlocuteurs issus de cette région pour la suite de la mise en oeuvre de l'accord de Minsk 1, les entités de Donetsk et de Lougansk ont décidé de suspendre ce scrutin et d'organiser leurs propres élections. Ceux qui avaient forcé les portes des bâtiments officiels, MM. Zakhartchenko et Plotnitski, ont ainsi été élus « unilatéralement » responsables des entités de Donetsk et de Lougansk, qu'ils estiment consolidées en tant que Républiques indépendantes. Pour sa part, Kiev les considère comme totalement illégitimes, puisqu'ils ont rompu d'emblée l'accord de Minsk 1 en organisant des élections séparées qui ont conduit à leur « auto-consécration ». D'où une nouvelle montée de la violence.

En janvier 2015, le Président de la République a pris l'initiative de renouer le contact avec la Russie lors d'une escale à l'aéroport de Moscou, au retour d'une visite en Kazakhstan. Jusqu'alors, les contacts dans le format « Normandie » étaient uniquement téléphoniques. Puis, dans la nuit du 12 février, après dix-sept heures de négociations, les quatre chefs d'État et de gouvernement sont parvenus à conclure l'accord de Minsk 2. Cependant, quelques jours après la signature, malgré le cessez-le-feu et les trois premiers articles de l'accord, les unités ukrainiennes encerclées dans la poche de Debaltsevo ont été écrasées. Cet événement tragique a fait plus de 300 morts et entraîné de nouvelles crispations, ainsi qu'une détérioration des conditions politiques et psychologiques du côté ukrainien. Les violations du cessez-le-feu se sont poursuivies.

Néanmoins, un sursaut a eu lieu dans le cadre de l'OSCE : malgré le non-respect du cessez-le-feu, il a été convenu d'entamer sans délai la mise en oeuvre des accords de Minsk. À cette fin, quatre groupes de travail thématiques ont été mis en place le 6 mai 2014 au sein du groupe de contact piloté par Mme Heidi Tagliavini, diplomate suisse. Je tiens à lui rendre hommage : sans le travail qu'elle a accompli seule, envers et contre tout, dans des conditions très dures, il n'y aurait eu ni Minsk 1 ni Minsk 2. Elle a été remplacée depuis lors par l'ambassadeur autrichien Martin Sajdik.

Un tournant s'est produit en décembre au sein du groupe de contact : M. Boris Gryzlov, un des fondateurs du parti présidentiel « Russie Unie », président de la Douma de 2003 à 2011, a pris la tête de la délégation russe à la place de l'ambassadeur Azamat Koulmoukhametov, qui en est devenu le numéro deux.

La première nécessité est de mettre en oeuvre le cessez-le-feu. Telle est la tâche du groupe chargé de la sécurité, qui est animé par l'ambassadeur turc Ertugrul Apakan, également le chef de la mission spéciale d'observation en Ukraine (MSOU). Celle-ci comprend environ 1 000 personnes, dont 600 à 700 observateurs déployés sur le terrain, sans armes, qui prennent des risques quotidiens. L'ambassadeur Apakan a pour adjoint le colonel suisse Alexander Hug.

Le groupe humanitaire est conduit par l'ambassadeur suisse Toni Frisch. La situation humanitaire est dramatique. On compte 1,5 million de réfugiés, et toutes les communications le long de la ligne de contact sont interrompues.

Le groupe économique, mené par M. Per Fischer, ancien banquier allemand, a pour objectif de restaurer les services élémentaires interrompus – approvisionnement en eau et en électricité, transport ferroviaire, etc. – en faisant notamment un travail de raccordement le long des 500 kilomètres de la ligne de contact. Environ 3,5 millions de personnes sont restées dans le Donbass, et 800 000 personnes qui vivent, de part et d'autre, à proximité de la ligne de contact sous la menace directe d'une dégradation du cessez-le-feu.

Le groupe politique, dont j'ai la charge, comprend huit à dix membres : généralement deux représentants de la partie ukrainienne, un de l'entité de Donetsk, un de l'entité de Lougansk, un ou plusieurs représentants de la partie russe, notamment M. Maxime Poliakov, qui relève non pas du ministère des affaires étrangères, mais de l'administration présidentielle – c'est un collaborateur direct de M. Vladislav Sourkov, qui continue à superviser le dossier.

Le groupe s'est réuni chaque semaine entre le 6 mai 2015 et la fin du mois de février dernier. Ses réunions ont désormais lieu tous les quinze jours. – celle qui se tiendra demain sera la trente-septième depuis sa création. Nous approchons les 500 heures de discussion. Celle-ci se déroule en russe ; elle est très directe, polémique, parfois brutale et risque souvent de s'interrompre. La tension est forte de part et d'autre.

Quatre points sont à l'ordre du jour : la réforme constitutionnelle – que vous avez évoquée, madame a présidente –, la loi sur le statut spécial d'autonomie du Donbass, l'amnistie, la loi électorale. Ces quatre points sont directement issus des accords de Minsk, mais ceux-ci sont à la fois complexes et incomplets : il y a de très nombreux liens entre ces différents points, et l'ordre dans lequel les traiter n'apparaît pas clairement. En septembre, nous sommes arrivés à un blocage au sein du groupe politique, chaque partie posant son propre préalable.

D'où l'ordre fixé dans la feuille de route adoptée par les chefs d'État et de gouvernement à Paris le 2 octobre dernier. Je rappelle le contexte de ce sommet : nous avions obtenu un vrai cessez-le-feu le 1er septembre, le nombre de morts par semaine passant de dix en moyenne à un ou deux – souvent des malheureux qui, compte tenu de l'arrêt des combats, reprenaient les chemins habituels et sautaient sur une mine. D'autre part, la réforme constitutionnelle venait d'être adoptée en première lecture, et le président Porochenko considérait alors qu'il était jouable de la faire voter en deuxième lecture d'ici à la fin de l'année. Les chefs d'État et de gouvernement ont donc décidé qu'il fallait aller vers ce deuxième vote, puis organiser les élections, afin que les représentants du Donbass soient reconnus de part et d'autre. La loi sur le statut du Donbass devait entrer en vigueur provisoirement, puis être confirmée à la fin du processus électoral. Les candidats devaient bénéficier d'une immunité avant que l'on entre dans un processus d'amnistie, également après les opérations électorales.

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