Intervention de Fanélie Carrey-Conte

Séance en hémicycle du 31 janvier 2013 à 15h00
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et protection des lanceurs d'alerte — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanélie Carrey-Conte :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, je suis heureuse d'intervenir sur cette proposition de loi qui m'apparaît particulièrement importante.

À mon tour, je tiens à saluer le travail de nos collègues sénateurs et celui des deux commissions saisies à l'Assemblée, qui ont modifié et complété ce texte, notamment en choisissant de ne pas étendre les prérogatives des CHSCT en matière de gestion des alertes, ce qui ne semblait pas pertinent pour les raisons déjà évoquées par le rapporteur.

Ces enrichissements, qui témoignent d'un travail collectif et constructif entre les groupes de la majorité, nous conduisent à examiner une loi complète et équilibrée, marchant sur ses deux pieds : le renforcement de la déontologie de l'expertise et la protection des lanceurs d'alerte.

Je souhaite centrer mon intervention sur le second pilier, celui des lanceurs d'alerte. Cette thématique m'intéresse car elle pose non seulement une question sanitaire et environnementale importante, mais plus largement une question démocratique. Il me semble qu'en ces temps où la confiance de nos concitoyens en un certain nombre d'institutions peut être ébranlée, les problématiques démocratiques au sens large – les questions de participation des citoyens – doivent être plus que jamais au coeur de nos réflexions et de nos actions.

Comme l'ont déjà dit certains de mes collègues, combien de problèmes sanitaires, du médiator au Bisphénol A, auraient pu être évités si les lanceurs d'alerte avaient été entendus ? Comme Gérard Bapt, je voudrais rendre hommage à André Cicolella, président du réseau Environnement Santé, chercheur aujourd'hui à l'INERIS, qui s'était trouvé licencié pour insubordination suite à ses recherches sur les risques liés aux éthers de glycol, solvants classés depuis comme toxiques.

Demain, combien de problèmes nous seront encore révélés ? Je pense notamment aux associations mobilisées sur les dangers des ondes électromagnétiques – je fais habilement le lien avec la suite de l'ordre du jour (Sourires.)

Il était donc indispensable d'agir pour reconnaître les lanceurs d'alerte et encadrer leur rôle. Malgré leur utilité avérée, la France, contrairement à d'autres pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis – où on les appelle joliment les whistleblowers, les souffleurs – n'a pas encore institué de dispositif pour les protéger juridiquement. Or ces personnes peuvent subir d'importantes discriminations et voir leur carrière professionnelle freinée. La crainte de représailles, les pressions exercées par les employeurs, la vulnérabilité des individus face à des intérêts souvent puissants sont autant d'éléments qui peuvent conduire certains citoyens à se taire.

Comme je le disais tout à l'heure, cette proposition est à mes yeux importante car elle nous invite à un changement de paradigme sur l'expertise. Il ne s'agit pas ici d'opposer la société civile aux experts scientifiques, mais de sortir d'une vision exclusive de l'expertise, en considérant que celle-ci peut se constituer de manière collective, à travers les contributions des citoyens, des salariés, des militants associatifs, de tous ceux qui s'engagent de manière désintéressée pour la défense de l'intérêt général, et qui sont autant d'importants contre-pouvoirs.

À cet égard, il me semble important de créer un canal permettant de porter une attention aux alertes qui soit indépendante des relais médiatiques dont celles-ci peuvent bénéficier. Il convient aussi de développer ces contre-pouvoirs afin de se prémunir des expertises toutes faites fournies par les lobbies qu'évoquait Catherine Lemorton ce matin, ou du rôle joué par ces personnalités qui usent de leur notoriété ou de leur position d'autorité morale pour relayer des messages de lobbyistes. Gérard Bapt reviendra, je crois, sur ce point.

Mais ce texte est équilibré et il ne s'agit pas d'ouvrir la voie à la diffamation, aux rumeurs infondées, au sensationnalisme. La proposition de loi prévoit au contraire explicitement l'intervention de la justice pénale en cas de mauvaise foi, d'intention de nuire ou de connaissance de l'inexactitude des faits dénoncés. De plus, en sécurisant la phase de lancement des alertes, en assurant un suivi, un meilleur traitement et un retour sur l'analyse des alertes, on contribue à mettre de l'ordre dans une société de la surinformation, tout en ne passant pas à côté de signaux essentiels pour notre avenir collectif.

Ce texte traite aussi des alertes dans le domaine environnemental. À ce titre, je voudrais mentionner la Charte de l'environnement, texte à valeur constitutionnelle, qui a érigé la protection de l'environnement comme devoir incombant à chaque citoyen. C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

Nous devons l'expression « lanceurs d'alerte » à des travaux sociologiques qui se sont intéressés à ce concept il y a quinze ans, sous la plume notamment de Francis Chateauraynaud et de Didier Torny. De ce travail a émergé dans le débat public une problématique ; celle-ci finit par trouver son inscription dans la loi, cette trajectoire doit être également soulignée.

La loi protégera désormais les lanceurs d'alerte contre toute atteinte à leur vie privée et professionnelle, tout en renforçant les processus d'examen et de contrôle des alertes. En ce sens, cette proposition de loi permet de renforcer la démocratie sanitaire et environnementale ; elle apparaît donc comme un progrès social très important. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

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