Intervention de Philippe Hayez

Réunion du 19 mai 2016 à 9h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Philippe Hayez, magistrat à la Cour des comptes, responsable de la spécialité « renseignement » de l'école des affaires internationales de l'Institut d'études politiques de Paris :

Je ne suis pas certain que cela suffise. J'ai visité à plusieurs reprises, aux États-Unis, le National Counterterrorism Center (NCTC), rattaché au Director of National Intelligence (DNI), le coordonnateur américain. C'est la fonction de strategic planning, ou pilotage stratégique, du NCTC qui est intéressante : il entraîne l'ensemble de la communauté nationale américaine pour avancer dans la résolution des difficultés, y compris en impliquant les acteurs diplomatiques – un rôle que le ministère de l'intérieur en France n'est pas en mesure de jouer.

En ce qui concerne le renseignement intérieur, au moment où la France faisait face à des violences urbaines, il existait un outil formidable de remontée d'informations, « l'échelle de Lucienne », du nom d'une commissaire divisionnaire des RG, normalienne, Mme Lucienne Bui Trong. Il s'agit d'une échelle des menaces de violences, signaux faibles. J'espère que le service central du renseignement territorial (SCRT) montera en puissance. Je ne suis pas certain que l'échelon départemental soit le plus pertinent. Il faudra s'assurer que des liaisons s'établissent avec les magistrats et les gestionnaires des collectivités.

Le système britannique en matière de coordination territoriale repose sur un organe de planification stratégique, le Joint Terrorism Analysis Centre (JTAC). Les responsables britanniques que je rencontre me disent que nous étions meilleurs qu'eux il y a dix ans mais qu'ils nous ont rattrapés depuis lors.

J'ai des doutes sur la DGSI car nous sommes parvenus, par tâtonnement, à un modèle hybride. Le service a été sorti de la direction générale de la police nationale, mais le décret dit malgré tout que c'est un service de la police nationale, car il est dirigé par des policiers. Il a par ailleurs conservé une compétence judiciaire. Le Security Service britannique, quant à lui, n'est pas rattaché à la police, n'a pas de compétence judiciaire, n'est pas dirigé par des policiers et a donc développé une culture plus spécifiquement « renseignement », par rapport à une culture policière plus intuitive. Chez nous, certaines fiches S servent à la judiciarisation, alors que le renseignement consiste surtout, par nature, à projeter des sources.

Le Livre blanc est devenu caduc en matière de technologie. Notre législation de 1978, révisée en 2005, nous interdit, au nom de la protection de la vie privée, d'interconnecter des fichiers alors que nous avons besoin de travailler sur du big data pour déceler certains comportements. Il faut avoir le courage de revoir cet équilibre entre la protection de la vie privée et les capacités de nos services, mais c'est une question taboue dans notre pays.

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