Intervention de Stéphane Touzet

Réunion du 19 mai 2016 à 9h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO :

Le SNTMA est le premier syndicat des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture qui comprennent les inspecteurs sanitaires en abattoirs.

Je commencerai par quelques éléments de contexte.

Vous avez déjà découvert la grande diversité des abattoirs, que ce soit en termes de structure, d'activité ou de gestion. Il est important d'avoir à l'esprit que nous sommes chargés de faire appliquer une réglementation partout de la même manière, alors que les établissements sont tous différents.

Nous souhaitons aussi insister sur les conditions de travail en abattoir qui génèrent une grande pénibilité : des horaires particuliers, des écarts de températures importants, du bruit, de l'agitation, un travail posté avec, la plupart du temps, l'exigence d'un haut rendement ; d'où de la fatigue, des troubles musculosquelettiques, des accidents du travail. Et tout cela dans un contexte de mise à mort massive et de stress.

Certes, ce n'est pas le bagne : les conditions de travail évoluent ; j'espère que des salariés viendront vous parler de leur travail. Reste qu'il faut avoir ces données à l'esprit : lorsque l'on est très fatigué, on ne réagit pas de la même manière que lorsqu'on est serein dans un environnement chatoyant.

Il faut aussi savoir que tous les postes de l'abattoir ne demandent pas le même niveau de qualification. Mais on constate souvent une rotation massive des salariés, qui parfois remet en cause les efforts de formation.

J'insiste enfin sur le fait que l'essentiel aux yeux des opérateurs, c'est la production. Lorsque tout va bien, d'autres paramètres peuvent être pris en compte ; mais si les choses se compliquent, la priorité reste que la production se fasse. C'est un simple constat.

J'en viens aux missions des techniciens à l'abattoir.

Nous réalisons différentes tâches d'inspection et de contrôle officiels sous la responsabilité des vétérinaires. La protection animale en fait partie. Nous sommes donc présents en permanence aux postes d'inspection qui sont matérialisés et dans la plupart des cas adaptés à nos missions. Durant l'abattage, un inspecteur est assigné à ce poste spécifique. Pour le reste, nos missions peuvent s'exercer n'importe où dans l'abattoir, selon les nécessités. Mais si l'inspecteur est seul, il ne pourra le faire qu'après ; l'inspection systématique doit être effectuée coûte que coûte durant l'abattage, en direct.

Quant à nos relations avec les abatteurs, on pourrait les qualifier de complexes : il y a une relation contrôlé-contrôleur, mais également une relation de réelle proximité : nos tâches et nos journées de travail sont étroitement liées ; elles dépendent pratiquement les unes des autres. Nous sommes formés pour gérer cela et travailler dans ces conditions, mais cet élément doit aussi être pris en compte.

J'insiste sur la forte implication de nos collègues, particulièrement dans les petites structures dans lesquelles ils sont souvent amenés à s'adapter aux contraintes et aux problèmes de fonctionnement qui peuvent survenir : les journées de travail peuvent être totalement décalées parce qu'un camion arrive en retard… Les collègues parlent souvent de « leur » abattoir. Il faut aussi garder cela à l'esprit, même si, je le répète, nous sommes formés pour savoir quels sont notre place et notre rôle.

Quels sont nos moyens d'action ? Ils vont de la pédagogie et la persuasion, à la notification des anomalies, voire à la mise en demeure. Nous avons des cahiers de liaison, nous avons la possibilité de rédiger des rapports ainsi que des procès-verbaux. Nous pouvons, si cela est nécessaire, arrêter la chaîne d'abattage, mais il s'agit d'un acte lourd, d'une décision très difficile à prendre dans le contexte d'impératifs de production que je vous ai décrit, avec des gens qui travaillent à l'abattoir, des animaux qui attendent.

L'ultime recours est le déclassement d'un abattoir, qui peut être très lourd de conséquence. Il est également possible de proposer la suspension ou le retrait de l'agrément de l'abattoir.

Quelles difficultés principales peut-on rencontrer lors du contrôle officiel ?

Le problème principal est celui des effectifs de plus en plus tendus en raison des réductions de personnels. Durant des années, ces dernières n'étaient fondées que sur une approche statistique et des objectifs chiffrés, sans tenir compte du travail effectué. Il arrive nécessairement un moment où cela devient compliqué. Au moindre problème du côté des abattoirs ou des inspecteurs qui peuvent par exemple rencontrer des ennuis de santé, il devient très difficile d'avoir toujours la personne qualifiée et en état de travailler au bon endroit.

Autre difficulté, les fortes pressions économiques et politiques dont nous pouvons faire l'objet. Les enjeux financiers, sociaux, et agricoles sont lourds – ne serait-ce qu'en termes d'emplois ; nous en avons conscience. Dès qu'ils veulent agir, les inspecteurs savent qu'ils peuvent très vite devenir des « empêcheurs de tourner en rond ». C'est alors que l'implication, l'investissement de la chaîne hiérarchique deviennent essentiels. Si un inspecteur qui a mis un PV n'est pas soutenu à l'échelon supérieur, et que sa démarche n'aboutit pas, il deviendra la risée de l'abattoir dans lequel il travaille ; il sera même désigné comme celui qui veut nous empêcher de travailler et qui invente des histoires… Si vous êtes décrédibilisé sur votre lieu de travail, il devient très difficile de continuer à travailler au quotidien.

Vous souhaitez évidemment nous entendre sur les images diffusées.

Nous ne contestons pas leur véracité, mais elles ne sont pas du tout représentatives de la généralité des abattoirs. Nous les condamnons de manière nette et incontestable.

Ces images ont toutes été prises au niveau du poste d'abattage, autrement dit à l'endroit le plus sensationnel, le plus spectaculaire, le plus émotionnel de la chaîne. Il y a d'autres endroits où l'on voit des animaux vivants dans l'abattoir : au niveau des quais de déchargement, dans les loges, les couloirs… La question du bien-être animal ne se résume pas à ce qui se passe au poste d'abattage, loin de là. Des problèmes peuvent se poser dans bien d'autres endroits.

Trois problèmes ressortent des films que nous avons visionnés : le défaut d'étourdissement, les animaux échappés, et les maltraitances volontaires.

La question de l'étourdissement, nous ramène à celle du réglage des appareils. Il nous revient de vérifier qu'ils fonctionnent correctement, ce que nous faisons du mieux que nous pouvons. Votre commission d'enquête a beaucoup évoqué les abattages rituels qui constituent une exception à l'étourdissement – avec les abattages familiaux qu'il ne faut pas oublier car ils se pratiquent encore beaucoup dans les campagnes sur les petits animaux.

J'ai participé l'an dernier, au Royaume-Uni, à une conférence sur le bien-être animal : plus de 80 % des animaux abattus selon le rituel halal sont désormais étourdis soit de façon synchronisée, soit après jugulation – en revanche aucune dérogation n'est admise lors de l'abattage casher.

Ces abattages particuliers ne sont pas compris par tout le monde. Ils sont même parfois instrumentalisés pour justifier les dysfonctionnements de postes d'étourdissement. « De toute façon, hier, vous ne nous avez rien dit et, demain, vous ne direz rien lorsque nous abattrons différemment » nous rétorque-t-on ! Tout cela n'est donc pas anodin, même si nous n'avons pas de position claire sur le sujet.

Si les animaux s'échappent, c'est souvent que les équipements ne sont pas adaptés à une espèce ou à leur gabarit. Les abattoirs peuvent changer d'activité ou ne pas disposer de tous les équipements nécessaires. La qualité de la contention compte aussi : les animaux ne réagissent pas de la même manière selon la façon dont on « s'adresse » à eux. La question de la formation des personnels est essentielle en ce domaine. Certains savent très bien faire, d'autres moins.

Ce qui relève de la maltraitance, et les crises de violence des opérateurs dont témoignent les images sont à la fois pour nous complètement inexcusables et, j'allais dire, incompréhensibles. Ou bien nous avons affaire à des malades qu'il faut diagnostiquer, et ils doivent changer de métier, ou bien, et c'est ce que les collègues qui ont été confrontés à ces situations nous disent, il s'agit de gens qui ont « pété les plombs » à cause de l'accumulation des problèmes, des dysfonctionnements, de la fatigue et du stress. Je ne cherche évidemment à excuser personne. Si nous constatons de tels comportements, nous n'avons qu'une seule conduite à tenir : les sanctionner si nous n'avons pas pu prévenir. Nous n'avons malheureusement pas d'autres explications que ces deux-là.

Avant de conclure, permettez-moi de faire un point sur l'actualité des problèmes de bien-être animal.

J'ai parlé de l'étourdissement et des mauvais traitements, mais il faut aussi signaler qu'arrivent parfois à l'abattoir des animaux qui ne sont pas en état d'être abattus. Notre travail consiste aussi à les identifier. Ils n'auraient pas dû faire le trajet : il fallait soit les conserver à l'élevage soit les euthanasier. Ce problème de bien-être animal ne doit pas être imputé à l'opérateur. Certaines images sensationnelles ne sont pas le fait de l'abattoir : l'élevage est un monde vivant, il peut aussi s'y poser des problèmes.

Plusieurs pistes ont été évoquées pour des améliorations.

La solution des caméras nous semble un peu surréaliste. Qui va regarder ce qu'auront filmé plusieurs caméras pendant dix, douze, quatorze ou quinze heures ? Ce sera un travail énorme. Tout dépend aussi de l'endroit où elles seront placées. Nous avons un peu de mal à imaginer comment cette solution s'appliquerait, mais nous sommes évidemment prêts à travailler sur le sujet, sachant qu'il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l'aspect légal de la question.

La création de référents bien-être animal et le statut de lanceur d'alerte peuvent être une solution efficace quand les choses vont bien, et même un « plus » indispensable termes de formation, de progrès, de tout ce qu'on voudra. En revanche, lorsque les choses vont mal, nous savons d'expérience que l'action des référents est limitée, voire totalement illusoire – les opérateurs le confirment eux-mêmes.

La création d'un délit de maltraitance est une autre piste importante. Le passage de la contravention au délit rend toutefois les choses plus compliquées. Il reste essentiel de disposer d'une réglementation opérationnelle : on peut faire toutes les réglementations qu'on veut, encore faut-il être en situation de les faire appliquer.

Pour conclure, nous nous considérons certainement comme le dernier rempart lorsque les choses vont mal – le « nous » désigne les services. Fragiliser ce rempart hypothèque l'avenir en termes de bien-être animal et de sécurité alimentaire.

La révision en cours du règlement européen 8822004, qui est notre base réglementaire, notamment celle de son article 15, nous inquiète beaucoup. Cette révision pourrait donner à la Commission européenne les pleins pouvoirs pour modifier les modalités de réalisation des contrôles officiels, alors que ceux-ci relèvent plutôt du pouvoir législatif. La révision de cet article pourrait modifier les règles en matière de présence des inspecteurs et de délégation des missions. Le « trilogue » ayant lieu en ce moment, nous n'en savons pas davantage, mais les informations dont nous disposons ne sont pas très rassurantes.

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