Intervention de Laurent Lasne

Réunion du 19 mai 2016 à 9h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV :

Le ministère a dû réagir à l'actualité : les inspections spécifiques à la protection animale sont une bonne chose. Elles ont été menées en terrain favorable : les abattoirs étaient réceptifs en raison de l'écho médiatique du scandale. Autrement dit, le terreau est fertile et l'on peut espérer que ces inspections seront suivies d'effets et que les abatteurs intégreront les remarques auxquelles elles ont donné lieu, y compris celles qui leur avaient été notifiées depuis longtemps, mais dans des cadres moins formels et médiatiques, et mèneront les actions correctrices nécessaires. Cela fera progresser la situation.

Rappelons que le rôle des services vétérinaires dans les abattoirs ne se limite pas à la protection animale. L'inspection permanente en abattoir a trois objectifs. L'un consiste à repérer les maladies contagieuses qui ne l'auraient pas été en élevage, notamment grâce à l'inspection ante mortem. C'est en bouverie d'abattoir que le Royaume-Uni a détecté la fièvre aphteuse sur son territoire. Un autre objectif consiste à protéger la santé publique : ces services garantissent que la viande mise sur le marché est propre à la consommation humaine. Les abattoirs, par le fait qu'ils constituent des goulots d'étranglement, ont énormément fait progresser la filière viande sur ce plan. Je rappelle que des milliers d'élevages apportent leurs animaux en abattoir, et que la viande en ressort, pour alimenter des milliers de boucheries ou d'établissements de découpe. L'abattoir a été déterminant pour faire reculer des maladies contagieuses pour l'homme, comme la tuberculose. Un dernier objectif consiste, pour les services, à veiller à la protection des animaux en abattoirs. Les actions des services en abattoir sont très codifiées : une inspection ante mortem obligatoire – chaque animal doit être vu vivant – est suivie d'une inspection post mortem, également obligatoire, qui est une sorte de mini-autopsie de l'animal mort. Chaque carcasse est inspectée avec les abats correspondants : elle fait l'objet d'un certain nombre d'observations, de palpations, d'incisions, et de prélèvements très codifiés. Ces deux étapes sont des passages obligés, on n'y coupe pas, et l'engagement des services publics est matérialisé par l'apposition d'une estampille sur la carcasse, un sceau de l'État, qui atteste que celle-ci est propre à la consommation. Ces deux inspections sont particulièrement consommatrices d'effectifs, et leur volume est fonction de l'activité de l'abattoir, sur laquelle nous n'avons pas la main.

De ce fait, lorsque les effectifs ont diminué, le nombre des personnels affectés à l'inspection ante et post mortem n'a pas décru. Les réductions d'effectifs ont en revanche eu un impact sur les autres catégories de personnels effectuant des tâches moins codifiées, comme la supervision du tri des sous-produits, l'inspection d'hygiène des ateliers de découpe en aval de l'abattoir, mais aussi les inspections aux postes d'étourdissement et de saignée.

Il est donc possible que la réduction des effectifs de 20 % ait eu comme conséquence un allégement de la fréquence des contrôles en protection animale. Nous espérons que, derrière l'action ponctuelle menée actuellement, un objectif sera fixé en termes de régularité pour des inspections sur ce sujet.

Je ne connais pas M. Albar. J'ai plutôt tendance à faire confiance aux organismes scientifiques qui sont venus témoigner devant vous plutôt qu'à un article de quotidien. Les chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), que vous avez reçus, estiment que l'électronarcose fait perdre conscience à l'animal. En tant que vétérinaire, j'ai l'impression que c'est bien le cas. Je ne veux pas commenter davantage des propos parus dans la presse.

Il n'existe pas un signe unique qui attesterait à coup sûr de la perte de conscience de l'animal. Nous sommes sur du vivant. C'est ce qui fait la complexité de notre métier, mais aussi sa richesse. Il y a d'ailleurs du vivant des deux côtés : au-delà de l'aspect biologique de l'animal, les interventions manuelles humaines restent nombreuses, malgré la mécanisation. Les collègues de l'INRA et de l'ANSES ont évoqué devant vous quelques signes que nous utilisons. Certains doivent être interprétés avec prudence, comme le réflexe oculo-palpébral. On touche l'oeil de l'animal ; s'il ne cligne pas de l'oeil, on peut considérer il n'est pas conscient ; s'il cligne de l'oeil, il peut être conscient, mais il peut ne pas l'être… Autrement dit, certaines interprétations peuvent n'être que conservatoires. Il faut donc savoir croiser les signes : le réflexe oculo-palpébral, le maintien d'une respiration rythmique, le positionnement de la tête, la réaction à la menace… Il est indispensable d'être présent au poste d'abattage pour évaluer ces signes et pour pouvoir réaliser des stimuli sur l'animal.

Cela nous amène à la question de la vidéosurveillance. Pourquoi pas ? Mais attention aux formules magiques : il n'y en a pas. La vidéosurveillance pourrait être une aide pour l'inspection au poste de saignée, mais elle ne remplacera pas l'inspection à ce poste, effectuée à une fréquence régulière à déterminer. Cela peut être un complément.

Pour ce qui est des images enregistrées, c'est au responsable de l'abattoir en premier lieu qu'il revient de les exploiter pour superviser ses équipes, mais aussi pour l'empêcher de se dédouaner de sa responsabilité. Reste à voir si les services d'inspection pourront utiliser ces images par sondages ; encore faudrait-il savoir quelle charge de travail cela représente : il serait absurde de retirer des inspecteurs des postes physiques pour les installer derrière un écran. Les images pourront-elles être utilisées comme preuve pour prendre des mesures de police administrative ou des mesures pénales ? Cela aussi mérite d'être creusé.

Faisons cependant attention aux images. Certaines de celles qui ont été diffusées par l'association L124 sont totalement impossibles à interpréter. Lorsque l'on voit, de dos, un animal suspendu en train de « pédaler », on ne sait pas s'il s'agit de mouvements conscients, parce qu'il souffre, ou de mouvements réflexes – dans ce cas l'animal ne souffre pas. Pour s'en assurer, il faut voir tout l'animal et pratiquer des stimuli. Certaines réactions très spectaculaires pour le grand public ne traduisent pas nécessairement une souffrance animale : ce ne sont que des mouvements réflexes.

L'ouvrier d'abattoir est le premier responsable pénal des actes qu'il commet. En même temps, la direction de l'abattoir ne peut pas s'exonérer totalement de ses responsabilités dans un certain nombre de situations. C'est elle qui a les leviers sur la formation de son personnel, sur la cadence de la chaîne, sur le format des animaux traités, sur le choix du matériel. Si l'abattoir a acheté un matériel destiné aux gros animaux et qu'il en commande des petits, l'opérateur ne pourra pas travailler correctement. Peut-être faudrait-il réfléchir, en cas de maltraitance récurrente, à impliquer pénalement le responsable de l'établissement au-delà du seul opérateur.

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