Intervention de Christophe Léonard

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00
Réhabilitation des fusillés pour l'exemple — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Léonard :

Au terme des quatre années de la guerre 1914-1918, la France compte 1,3 million de tués ou disparus, 700 000 orphelins et 600 000 veuves. Mais il existe aussi des victimes oubliées, les « fusillés pour l’exemple », ces soldats passés par les armes à la suite de conseils de guerre expéditifs et sommaires et dont les condamnations précipitées ont été prononcées, dans la quasi-totalité des cas, sans que les droits de la défense aient été respectés.

Le nombre de ces fusillés pour manquement aux actes de guerre, si l’on s’en tient aux chiffres publiés dans le rapport remis par M. Antoine Prost au Gouvernement en octobre 2013, à l’exclusion des exécutions pour crimes et délits de droit commun et des faits d’espionnage, est estimé à 618, sur un total de 2 500 condamnations à mort prononcées sur 140 000 jugements rendus entre 1914 et 1918.

Bien sûr, il n’appartient pas aux parlementaires d’écrire l’histoire, et encore moins de la juger à partir de nos valeurs actuelles. Mais alors que nous commémorons cette année le centenaire de la bataille de Verdun, il est de la responsabilité de la représentation nationale de s’interroger sur la place que la Nation souhaite accorder à ces soldats au sein de la mémoire collective.

Alors même que le conflit durait toujours, certains fusillés ont d’ailleurs été réhabilités. Grâce à la mobilisation des parlementaires de l’époque, des anciens combattants, d’organisations telles que la Ligue des droits de l’homme, la Libre Pensée ou l’Association républicaine des anciens combattants, mais aussi grâce aux actions citoyennes, une cinquantaine de soldats ont été réhabilités durant l’entre-deux-guerres.

Ainsi, l’Union nationale des combattants obtint que le ministre de la justice intervienne et saisisse lui-même la Cour de cassation pour les soldats du 298ème régiment d’infanterie qui, le 27 novembre 1914 à Vingré, dans l’Aisne, surpris par une attaque allemande dans leur tranchée, s’étaient repliés sur ordre avant de reprendre ensuite leur position antérieure. Vingt-quatre hommes avaient alors été désignés pour être jugés pour abandon de poste et six d’entre eux, à l’issue d’un tirage au sort, condamnés à mort par un conseil de guerre spécial. Ils seront réhabilités par la Cour de cassation le 29 janvier 1921.

Combien ont été exécutés pour s’être égarés dans la confusion des combats, pour avoir été faussement accusés de s’être auto-mutilés en vue d’échapper au combat alors même qu’ils y avaient été blessés, pour avoir appliqué un ordre donné par un capitaine mort et incapable de les défendre, pour avoir été tirés au sort après avoir refusé une percée inutile et sanglante ?

En mars 1915, le 336ème régiment d’infanterie se retrouve en première ligne au Moulin de Souain, dans la Marne. Le 7 mars, ordre lui est donné de lancer l’attaque alors que la préparation d’artillerie était insuffisante, comme le souligne le témoignage du député du Finistère Jean Jadé, officier du 336ème à l’époque des faits, à la tribune de la Chambre le 23 avril 1921.

Or, la 21ème compagnie du caporal Maupas reste dans la tranchée. Dix-huit soldats et six caporaux sont alors désignés au hasard pour répondre de la faute collective devant un tribunal militaire le 16 mars 1915. Le 17 mars, en fin d’après-midi, les quatre caporaux Louis Lefoulon, cultivateur, Théophile Maupas, instituteur, Louis Girard, horloger, et Lucien Lechat, garçon de café, sont condamnés à la peine de mort pour l’exemple et exécutés. Ils ont été réhabilités par l’arrêt du 3 mars 1934 de la Cour spéciale de justice militaire, créée par la loi du 9 mars 1932 et composée à parité de magistrats et d’anciens combattants, compétente pour réexaminer tous les jugements rendus par les conseils de guerre. La procédure aura duré près de vingt ans !

Mais alors que la crise économique touche la France de plein fouet dans les années trente et que se profile la Seconde guerre mondiale, le débat autour de la réhabilitation des fusillés perd de l’importance durant une cinquantaine d’années. Il faudra en effet attendre 1998, soit quatre-vingts ans après la fin du premier conflit mondial, pour que Lionel Jospin, Premier ministre, indique souhaiter que les fusillés pour l’exemple réintègrent pleinement notre mémoire collective nationale.

Dix ans plus tard, le 11 novembre 2008, Nicolas Sarkozy rendra également un hommage à tous les soldats de la Grande guerre, sans exception, en incluant les fusillés, lors de la commémoration de l’armistice au mémorial de Douaumont. Enfin, le Président de la République, le 7 novembre 2013, a annoncé la constitution d’un espace consacré aux fusillés au musée de l’Armée des Invalides, ainsi que la numérisation et la mise en ligne sur le site « Mémoire des hommes » des dossiers des conseils de guerre.

Mais comment s’en satisfaire ? Pourquoi la réhabilitation au cas par cas serait-elle la seule solution ? Chacun sait ici que nombre de dossiers de fusillés ont disparu et que les documents restants ne permettraient pas de mener un tel travail.

À trois jours des commémorations de Verdun, en présence de la chancelière allemande et du Président de la République, il est plus que temps de réunir enfin en une seule et même mémoire apaisée tous ceux qui, durant cette guerre, sont morts au nom de la France. Il est aujourd’hui plus que temps que notre Nation rétablisse officiellement et symboliquement dans leur honneur l’ensemble de ces soldats. Ce n’est que de cette façon que la dignité de ces hommes sera pleinement reconnue.

C’est pourquoi, dans la continuité des parlementaires de l’époque, qui pour certains avaient connu le feu et la vie des tranchées, je vous proposerai par voie d’amendement que la Nation rétablisse dans leur honneur les 618 fusillés pour l’exemple de la Première guerre mondiale et reconnaisse officiellement leur dignité, l’inscription de leurs noms sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 leur étant accordée de plein droit.

1 commentaire :

Le 06/06/2016 à 12:21, Maquet a dit :

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Bonjour Monsieur Léonard,

J'apprécie l'attention que vous portez à l'armée et aux diverses commémorations.

J'ai étudié un à un les dossiers des fusillés qu'il est de bon ton de qualifier "pour l'exemple".

Je vous assure que de véritables "crapules" ont été passées par les armes.

La justice militaire et la hiérarchie ont été bien souvent bonnes et patientes envers des personnages plusieurs fois condamnés pour crime et maintenus dans leur régiment afin de se réhabiliter.

Il faut avant tout faire justice à tous les combattants de notre armée qui ont eu peur, très peur, mais qui se sont maintenus dans la voie du devoir par crainte des châtiments encourus en cas de défaillance mais aussi par amour de la patrie.

Que serait aujourd’hui la France si tous ses soldats avaient déserté le front ? Ses plus riches territoires seraient actuellement en territoire allemand ou en Belgique, état vassal de l'Allemagne.

Au nom de la JUSTICE, je vous prie, Monsieur le député, abandonnez l'idée d'une réhabilitation collective.

Au cas par cas mais pas de mesure collective !

Vous pouvez me rencontrer ou me téléphoner pour évoquer ce sujet.

Thierry Maquet

Vireux-Wallerand

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