Intervention de Jean Jacques Vlody

Réunion du 10 mai 2016 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Jacques Vlody :

Il fonctionne même bien !

J'en viens à la question des normes et à celle des accords ACP, qui nous renvoie à la problématique des limites de l'exercice de relations directes avec les États voisins dans certains cadres. Nous ne sommes pas prêts à avancer sur certains modèles : il ne s'agit pourtant pas de nous défaire de notre appartenance nationale ou de perdre notre statut de région ultrapériphérique. Nous nous demandons au contraire comment l'État et l'Europe peuvent s'appuyer sur nos territoires pour travailler avec les pays de la zone.

Les crédits du Fonds européen de développement (FED) alloués à la Guadeloupe y sont, à titre expérimental, gérés sur place par la région, et non directement par Bruxelles, comme auparavant. Il en va de même pour les crédits d'INTERREG, qui correspondent à un dispositif complémentaire. Nous travaillons d'ailleurs à leur meilleure coordination. Cet exemple montre que l'Union européenne est prête, elle aussi, à s'appuyer sur les régions ultrapériphériques pour rayonner dans la zone de l'océan Indien ou des Caraïbes.

Quant aux accords ACP ou APE, ou accords de Cotonou, ils devraient être révisés à l'échéance de 2020. La France doit être présente à cette révision des accords, alors qu'elle a peiné jusqu'à présent à se sentir directement concernée par eux. Pourtant, la production des pays ACP est en concurrence directe avec celle de nos territoires ultramarins. Il me semble donc que l'État doit se saisir de ces sujets et questions. Nous pouvons essayer d'avancer à travers la COI.

En ce qui concerne une desserte aérienne qui irait au-delà des possibilités de la réglementation actuelle, on note un projet de compagnie régionale, avec Air Austral, qui, avec sa filiale Ewa Air, opère sur Mayotte et l'Afrique. Nous en sommes aux balbutiements. Le marché des Antilles ne constitue pas quant à lui un enjeu commercial en soi. Il conviendrait de revoir la réglementation pour y permettre l'opération simplifiée de petites sociétés privées capables de transporter, par exemple, des hommes d'affaires.

J'en viens à la question des visas dans les îles Vanille. C'est la sécurité qu'il faut envisager d'abord. Cela fait, je formulerai deux séries de propositions. Premièrement, je crois que, sans aller jusqu'à supprimer l'obligation de visa, il faudra simplifier les conditions de circulation. Les visas de transit ont déjà été supprimés dans certains cas, ce qui permet de passer d'un pays à l'autre de la zone sans autre formalité. Un arrêté du 11 mars 2016 les a par exemple supprimés pour les Brésiliens qui passaient en Guyane pour aller en Martinique. On peut également imaginer de supprimer les visas pour de très courts séjours d'un ou deux jours.

Mais on peut également concevoir des visas de long séjour pour certains acteurs accrédités et identifiés : élus, diplomates, présidents d'assemblée locale, acteurs culturels se rendant à un festival, universitaires allant à un colloque, chefs d'entreprise allant à une réunion… Tous pourraient, sur une base régulière, se déplacer de manière impromptue. Je proposerai donc que les ministères des affaires étrangères des pays concernés établissent une liste de personnalités pour lesquelles la France s'engagerait à délivrer des visas d'une durée de deux ou trois ans.

Deuxièmement, il n'y a plus besoin de visa pour passer de l'île Maurice à La Réunion. Mais les Mauriciens qui se rendent à La Réunion doivent montrer qu'ils détiennent une certaine quantité d'espèces ou un moyen de paiement, tel qu'une carte de crédit. La problématique des « certificats d'hébergement » persiste également. Je connais ainsi l'exemple de deux soeurs habitant à l'île Maurice qui ont perdu une troisième soeur habitant à La Réunion. Pour assister à son enterrement, elles ont eu besoin de certificats d'hébergement à La Réunion, alors qu'il faut deux jours pour les établir et que la cérémonie ne peut être différée… Les conditions actuelles sont prohibitives et constituent en tout état de cause un frein à la circulation. Il ne me semble pas qu'elles méritent d'être conservées en l'état lorsqu'aucune menace particulière ne pèse sur la sécurité – trafic de drogue ou terrorisme – ou qu'un risque migratoire n'apparaît pas, sans aller jusqu'à permettre la circulation libre et totale de tout le monde. Cette révision pourrait porter sur la liaison entre les Seychelles et La Réunion, comme entre La Réunion et l'île Maurice. Pour ce qui est des Comores, c'est différent.

En Amérique du Sud, la révision faciliterait les échanges dans la zone du fleuve Maroni, qui délimite la frontière entre la Guyane française et le Suriname. Je proposerai la délivrance de visas transfrontaliers, car les habitants qui vivent le long du fleuve passent indifféremment de l'une à l'autre rive, pour bénéficier par exemple de l'offre de soins au gré de leurs besoins. Ces visas transfrontaliers permettraient aux habitants de circuler de chaque côté du fleuve.

Nous pourrions de même envisager des hôpitaux transfrontaliers au Suriname. Nous travaillons de même à Mayotte sur la question d'infrastructures transfrontalières. L'idée intéresse aussi l'ARS de la Guadeloupe, qui gère aussi Saint-Martin et Saint-Barthélemy, dans la zone caraïbe, où il s'agirait de regrouper en un seul deux projets de construction d'un hôpital.

Les entreprises qui disposent de la logistique, des ressources organisationnelles, juridiques ou humaines, n'ont pas besoin de nous pour s'internationaliser. Elles le faisaient avant nous et continueront après nous : elles savent s'adapter aux réglementations des divers pays pour y conquérir des parts de marché. Notre rôle est plutôt d'accompagner dans leur conquête de marchés extérieurs celles qui disposent d'un savoir-faire et de compétences, mais qui n'ont pas la pratique de l'export et ont des problèmes de débouchés ou de logistique. Une piste de réflexion s'ouvre à nous, avec l'harmonisation du cadre juridique : ne pourrait-on imaginer, sur le modèle de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et de l'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires dans la Caraïbe (OHADAC), une Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires dans l'océan Indien ? Cette harmonisation offrirait aux entreprises un cadre juridique autre que le cadre juridique international. En matière d'export et de compétitivité économique, il faut parfois qu'interviennent une autorité de régulation et des instances de jugement en cas de litige.

La question de l'harmonisation de la fiscalité des entreprises se pose également. Pour que nos entreprises soient compétitives, je proposerai la réciprocité de l'imposition sur les sociétés et une fiscalité adaptée pour les entreprises exportatrices. Il s'agit d'une demande des acteurs économiques.

Dans tous ces domaines – aérien, réglementation, normes, fiscalité –, il nous faut définir un modèle français et européen qui tienne compte de toutes ces problématiques et soit adapté à nos territoires. Nos collectivités vont désormais pouvoir signer des accords-cadres. Nous devons, de notre côté, commencer à réfléchir à des modèles qui leur permettraient de relever tous leurs défis : leur meilleure insertion et celle de la France dans leur espace géographique.

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