Intervention de Michel Sapin

Réunion du 24 mai 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics :

Monsieur le rapporteur de la commission des Lois, le Gouvernement est favorable à vos propositions sur le Défenseur des droits. Je lève le gage afin que le débat s'engage dans les meilleures conditions.

Le débat sur la protection des lanceurs d'alerte est important mais difficile. Mes collaborateurs sont prêts à vous apporter tous les éléments techniques. Le problème n'est pas simple : nous sommes tous d'accord sur les principes, mais il faut arrêter les modalités précises. La première voie que nous pourrions emprunter serait la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante spécialisée ; ce qui nous ferait une autorité indépendante de plus, alors que nous essayons par ailleurs d'en diminuer le nombre. La deuxième solution serait celle d'une amélioration de la procédure judiciaire : cette voie, défendue par certains, peut être explorée, mais il paraît difficile de penser qu'elle puisse prendre en charge l'ensemble des lanceurs d'alerte. D'où la troisième solution, défendue par le rapporteur, qui consisterait à élargir les compétences du Défenseur des droits. Le débat nous éclairera. J'insiste seulement sur la nécessité d'attribuer cette compétence à une autorité qui dispose de moyens suffisants, et surtout qui soit parfaitement indépendante.

S'agissant des représentants d'intérêts, beaucoup d'entre vous souhaitent aller plus loin. Beaucoup souhaitent également s'inspirer des règles européennes, ce que nous avons déjà fait ; il est sans doute possible de progresser encore, mais je me permets de rappeler un point de droit constitutionnel. S'il existe un registre unique des représentants d'intérêts, c'est parce que l'Assemblée nationale et le Sénat ont souhaité qu'il en soit ainsi ; la séparation des pouvoirs interdit à l'exécutif de l'imposer au législatif. La mise en place d'un registre unique facilite certes les choses, mais elle résulte d'une décision des bureaux des deux chambres et non à proprement parler d'une volonté d'améliorer le texte.

S'agissant de l'article 45 et de la norme XBRL, je veux vous rassurer, monsieur le rapporteur : son application n'est pas une obligation, mais une simple faculté ; on me souffle, de plus, qu'il est d'ores et déjà tout à fait possible d'utiliser une norme moins complexe, nommée Edifact.

S'agissant de l'article 24, madame Mazetier, je veux à tout prix éviter un malentendu. Je comprends votre inquiétude, exprimée avec fougue : vous craignez qu'il ne s'agisse de protéger des États voyous et des voyous d'États étrangers qui disposeraient chez nous de biens mal acquis, ce qui serait effectivement anormal. Ce n'est absolument pas le but de cet article, qui vise au contraire à permettre au juge de se prononcer a priori plutôt qu'a posteriori sur la saisie d'un bien diplomatique par un privé. Ce juge écartera évidemment les cas manifestes de fraude ou d'abus de droit : autrement dit, il ne suffira pas d'apposer une belle plaque dorée « Ambassade de Je-ne-sais-où » à l'entrée d'un immeuble privé sis avenue Hoche pour le transformer en bien diplomatique.

On pense, à raison, aux biens mal acquis ; on pense également à une affaire récente qui touche à la Russie. Mais je vous demande de ne pas oublier ce qui s'est passé, ou qui pourrait se passer, quand des fonds privés, des « fonds vautours », ont pu saisir, pour des raisons strictement privées, des biens incontestablement diplomatiques dans différents pays dans le but de récupérer des sommes qui leur étaient par ailleurs dues. De tels procédés sont parfaitement tout à fait inadmissibles. Je reste ici, vous le comprenez, très prudent sur ce cas russe, mais il est arrivé qu'un fonds demande la saisie des comptes d'une ambassade, et l'ait obtenue dans certains pays, comme la Belgique. C'est à ce genre de situation que cette disposition vise à répondre. Je suis donc tout prêt à me pencher sur des amendements qui préciseraient ce qu'est un bien diplomatique, par exemple, pour éviter les malentendus. Mais je redis que cet article ne vise qu'à mettre en place en France les règles de protection des biens diplomatiques qui prévalent dans la plupart des grands pays du monde.

D'autres sujets ont été abordés sans figurer dans le texte.

Monsieur Giraud, le débat sur la déclaration préalable des schémas d'optimisation fiscale est récurrent. Le Gouvernement avait donné un avis favorable à plusieurs amendements l'an dernier, mais ils ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Je suis prêt à reprendre ce sujet, mais il serait de meilleure méthode de le faire à l'occasion de la prochaine loi de finances.

De même, nous nous pencherons sur vos propositions qui concernent la transparence de la facturation par les banques afin qu'elles soient techniquement impeccables.

Monsieur Marleix, j'avais moi-même, vous l'avez dit, initialement proposé la création d'une transaction pénale. Le Gouvernement a en effet suivi sur ce point l'avis du Conseil d'État, qui a souhaité la sortir du texte. Les parlementaires sont évidemment libres d'aborder le sujet. À mon sens, il ne faut toutefois pas tenter de transposer sans précaution des modèles étrangers. Nous sommes attachés à la présence dans la procédure, le plus souvent possible, dans les transactions de quelque nature qu'elles soient, du juge du siège. Mais il me semble également nécessaire, même si c'est le procureur de la République qui agit, de ménager des moments de publicité : de telles affaires ne peuvent être traficotées dans un coin sombre du palais de justice, fût-ce sous le regard du procureur. À ces deux conditions, et en prenant garde à l'avis du Conseil d'État qui estime que la transaction pénale ne saurait s'appliquer qu'à la corruption transnationale, nous pourrons mener un travail constructif. Je m'en remets à l'inventivité du Parlement – nous serons bien sûr heureux d'apporter tous les éléments techniques nécessaires.

En ce qui concerne les rémunérations des chefs d'entreprise, des amendements ont été déposés ; le Gouvernement est favorable à l'adoption de dispositions législatives. Je souligne toutefois qu'une limitation par la loi du montant des rémunérations serait contraire à la Constitution, car contraire à la liberté des contrats et à la liberté du commerce et de l'industrie – la jurisprudence du Conseil constitutionnel est à cet égard sans ambiguïté. À mon sens, il faut donc privilégier le renforcement des pouvoirs de l'assemblée générale des actionnaires pour définir les politiques de rémunération. En clair, il s'agit d'éviter ce qui s'est produit chez Renault, qui a été très choquant non seulement par les montants mais aussi par la méthode employée : un conseil d'administration demande son avis à l'assemblée générale, qui répond qu'elle n'est pas d'accord, et une heure après, on repart en conseil d'administration et on passe outre… Tout cela est contraire au bon fonctionnement de nos entreprises.

S'agissant du rapport public pays par pays, puisque telle est la traduction française de l'expression public country-by-country reporting, nous avons déjà eu ce débat à deux occasions l'an dernier, vous vous en souvenez certainement. La première fois, en loi de finances, les choses s'étaient plutôt bien passées ; la seconde fois, en loi de finances rectificative, cela s'est passé dans des conditions plus compliquées…

Rappelons que le reporting pays par pays est pratiqué en France : il permet aux administrations fiscales, notamment européennes, d'échanger les informations nécessaires. Du point de vue fiscal, nous disposons donc des outils nécessaires pour identifier les « trous » et faire régulariser les situations et payer l'impôt. Je comprends très bien la volonté d'étendre cette transparence ; j'ai dit l'an dernier que j'étais favorable à ce que nous progressions.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a été très explicite sur le fait que le rapport pays par pays n'était conforme à la Constitution que parce qu'il ne donnait pas lieu à publicité. Voter à nouveau une disposition rendant ce rapport public nous mettrait donc inévitablement en situation d'inconstitutionnalité.

Mais dès lors qu'une directive européenne prévoira cette règle, sa transposition dans le droit français ne sera pas contraire à l'ordre juridique interne et à la Constitution. Or cette directive est en cours de discussion. C'est la raison pour laquelle je soutiendrai un amendement prévoyant un reporting public pays par pays dès que cette directive sera applicable. Et je vous rassure, ce ne sera pas à la Saint-Glinglin : ce texte est d'ores et déjà sur la table et devrait être définitivement adopté d'ici à la fin de l'année. Je suis favorable au rapport public pays par pays, je soutiens très clairement et très fermement au niveau européen, mais nous devons nous entourer de toutes les garanties juridiques nécessaires.

S'agissant du registre des bénéficiaires effectifs, je rappelle qu'un décret du 11 mai prévoit la transparence sur les bénéficiaires effectifs des trusts en France. Nous avons été l'un des premiers pays au monde à prendre une telle mesure. Nous travaillons également aux modalités d'actualisation du registre du commerce, afin que l'on puisse savoir en temps réel qui sont exactement les propriétaires de telle ou telle société. Je suis donc, vous l'avez compris, favorable à ce que nous avancions. Là aussi, une directive européenne est en préparation.

S'agissant enfin de la liste des États non coopératifs, je suis favorable à votre proposition, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des Finances. Aujourd'hui, c'est moi qui décide de l'inscription ou non sur la liste noire. Je viens d'ailleurs d'y réinscrire Panama, en raison de ce que j'appellerai, pour ne pas créer de soucis à notre ambassadeur, une coopération limitée des autorités panaméennes, qui ne tiennent pas toujours leurs engagements – je n'en dis pas plus. Cette inscription entrera en vigueur au 1er janvier de l'année prochaine.

Vous proposez, monsieur le rapporteur pour avis, qu'il soit possible d'actualiser cette liste en cours d'année : je suis favorable à cet amendement. Je suis également favorable à ce qu'un débat ait lieu en commission des finances.

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