Intervention de Thierry Mariani

Séance en hémicycle du 31 mai 2016 à 15h00
Rénovation des modalités d'inscription sur les listes électorales — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les trois propositions de loi que nous examinons aujourd’hui sont issues d’un travail mené conjointement par Jean-Luc Warsmann et Elisabeth Pochon dans le cadre d’une mission d’information créée par la commission des lois en septembre 2014. Aussi, je tiens d’abord à remercier les rapporteurs pour la grande qualité de leur travail et, surtout, le temps qu’ils ont y consacré afin d’arriver à ce résultat.

Aux termes de l’article 3 de la Constitution, « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » Le suffrage universel direct ouvert à tous les citoyens français majeurs est donc un principe fondateur de notre démocratie. Il appartient cependant à la loi de déterminer les conditions dans lesquelles le droit de vote s’exerce, notamment les règles définissant les modalités d’inscription des électeurs sur les listes électorales.

Dans la mesure où près de 9,5 millions d’électeurs sont mal inscrits ou non inscrits sur les listes électorales et où la date de clôture de l’inscription sur les listes électorales est éloignée de la date du scrutin, le système actuel peut apparaître relativement préjudiciable à l’implication des citoyens dans le processus électoral. C’est pourquoi une mission d’information commune aux députés des groupes socialiste, radical et citoyen et aux députés Les Républicains de la commission des lois avait été créée au début de la législature pour assouplir les modalités d’inscription sur les listes. Elle avait formulé vingt-trois propositions en ce sens.

Voici donc l’Assemblée nationale saisie de propositions de loi déposées à la fois par Mme Elisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann, auteurs et rapporteurs des trois propositions de loi, qui en outre ont pu bénéficier de l’avis éclairé du Conseil d’État.

La proposition de loi ordinaire tend à rénover les modalités d’inscription sur les listes électorales s’appliquant à toutes les élections régies par des dispositions ordinaires du code électoral, tandis que les deux propositions de loi organique transposent cette réforme aux listes électorales dont le régime relève d’une loi organique.

La première proposition de loi organique vise à moderniser les modalités d’établissement des listes électorales des Français établis hors de France, fixées par la loi organique du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l’élection du Président de la République, déclinaison de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, ayant elle aussi valeur organique conformément à l’article 6 de notre Constitution.

La seconde proposition de loi organique prévoit la même rénovation des listes électorales des ressortissants communautaires pour les élections municipales, en application de l’article 88-3 de la Constitution.

Les deux propositions de lois organiques et la proposition de loi visent donc avant tout à moderniser la procédure d’inscription sur les listes, en réformant profondément les conditions d’examen et de contrôle de la recevabilité des demandes d’inscription ; à mieux articuler les démarches administratives et les démarches liées au déménagement avec les démarches d’inscription ; à créer un répertoire électoral permanent et unique géré par l’INSEE ; à mettre fin à la révision annuelle des listes et à permettre aux citoyens de s’inscrire jusqu’à trente jours avant la date d’une élection ; à permettre aux personnes atteignant l’âge de dix-huit ans entre les deux tours d’une élection de voter au second tour ; à confier au maire la compétence de l’inscription et de la radiation sur les listes électorales ; à coordonner le droit applicable aux droits des citoyens de l’Union européenne concernant les élections municipales avec le droit commun ; à modifier la loi organique du 31 janvier 1976 relative à l’inscription sur les listes électorales consulaires pour mettre fin à ce qu’on a pu appeler la double inscription – qui peut s’avérer problématique quand les électeurs concernés reviennent en France –, mais pas avant 2018, en tout cas après la présidentielle et les législatives de 2017, pour répondre à la demande du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne le vote des Français de l’étranger, comme beaucoup dans cet hémicycle, en tout cas la totalité de ceux de mes collègues Les Républicains qui les représentent, j’aurais souhaité que le système de double inscription soit maintenu mais, en 2007 et en 2012, le Conseil constitutionnel a appelé le législateur organique à mettre fin aux difficultés récurrentes rencontrées par certains de nos compatriotes expatriés pour accéder au vote dans leur commune française de rattachement.

Ceux qui sont doublement inscrits, qui sont actuellement plus de 475 000, ont en effet la possibilité, lors des élections nationales, soit de voter à l’étranger dans un bureau de vote ouvert dans leur ambassade ou leur poste consulaire, soit de voter en France dans la commune dans laquelle ils sont inscrits. En 2007 comme en 2012, entre 20 000 et 25 000 citoyens inscrits sur les listes électorales consulaires et qui étaient rentrés en France n’ont pas pu voter dans leur commune de rattachement, au motif qu’ils étaient, indûment selon eux, inscrits comme votants à l’étranger sur la liste d’émargement de la commune.

Afin de faire face à ces difficultés, le Conseil constitutionnel avait mis en place, en lien avec le ministère de l’intérieur, un dispositif d’urgence permettant à une partie seulement de ces électeurs, et sous certaines conditions, d’exercer leur droit de vote en France. Dans ses observations sur l’élection de 2012, le Conseil a souligné que la reconduction de ce dispositif ne saurait constituer une solution pérenne et invité les pouvoirs publics à mener une réflexion globale sur le dispositif retenu. L’enjeu est d’autant plus important que les règles encadrant le choix du lieu de vote s’appliquent à d’autres élections, législatives et européennes, se déroulant simultanément à l’étranger et en France.

Il convient de rappeler que voter à l’étranger n’est pas toujours simple. La participation aux élections présidentielle et législatives y est hélas inférieure à ce à quoi ont pourrait s’attendre, en raison des difficultés matérielles entravant l’exercice du vote. Les électeurs établis hors de France sont parfois contraints de parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour aller voter, ce qui, pratiquement, empêche certains d’entre eux de prendre part au scrutin. Pour eux, aller voter représente une sérieuse contrainte de temps, sans parler du coût parfois élevé du déplacement. Je pense à certains électeurs de ma circonscription établis en Australie, en Chine ou en Russie. Un Français résidant à Perth doit parcourir plusieurs milliers de kilomètres pour voter. Les difficultés sont les mêmes pour certains de nos compatriotes établis dans des pays plus petits, comme l’Indonésie, la Thaïlande ou les Philippines, ou les Français habitant à la frontière de deux pays – Frédéric Lefebvre me parlait tout à l’heure des difficultés rencontrées par nos concitoyens habitant Buffalo.

Par ailleurs, j’ai pu constater lors de mes nombreux déplacements combien il était difficile d’établir et de tenir à jour la liste électorale consulaire en raison de notre système de registre domiciliaire.

En outre les Français établis à l’étranger sont attachés à la possibilité de voter en France aux élections municipales, régionales et départementales, qui leur permet de maintenir un lien avec notre pays.

Par ailleurs les moyens de fonctionnement de notre réseau consulaire diminuent depuis de nombreuses années, conduisant parfois à la suppression du volet consulaire. Ainsi nos compatriotes ne pourront plus s’exprimer directement dans les vingt-six pays où le consulat va disparaître. Vous me permettrez de citer l’exemple de pays de ma circonscription, tels que le Népal, Brunei, la Moldavie ou bien encore trois pays d’Asie centrale. Ainsi, notre présence diplomatique dans certains pays ne s’accompagne plus désormais d’un service aux Français, ce que l’on peut regretter.

Même si les Français vont regretter le système actuel, qui leur laissait le choix, nous sommes obligés de tenir compte des arguments du Conseil constitutionnel. Il est donc souhaitable que l’administration du ministère des affaires étrangères soit très attentive à ce que les Français établis à l’étranger ne soient pas pénalisés par une réforme qui va dans le bon sens. J’espère que les élus des Français de l’étranger, quelle que soit les opinions qu’ils défendent dans cet hémicycle, seront associés à la rédaction des décrets d’application. Espérons que cette démarche consensuelle pourra trouver un aboutissement au profit des Français souhaitant participer, par leur vote, à l’activité démocratique.

Notons tout de même que ces mesures supposent, d’un point de vue pratique, une importante modernisation administrative, du fait, d’une part de la dématérialisation des échanges entre l’INSEE, les communes, les consulats et les autres administrations appelées à alimenter le répertoire et, d’autre part, du développement des inscriptions en ligne.

Pour le reste, la réforme renforce le rôle central des communes dans l’établissement des listes électorales tout en allégeant leur travail d’instruction et de gestion de ces listes. Il appartient au Gouvernement de s’engager pleinement dans sa mise en oeuvre concrète, ainsi que dans la mise en place des mesures de publicité adéquates, gage de l’effectivité réelle de la réforme souhaitée par le législateur.

Sous la réserve des regrets que je viens d’exprimer – tout en reconnaissant qu’il faut bien tenir compte des décisions du Conseil constitutionnel –, le groupe les Républicains dans sa majorité votera en faveur de ces propositions de lois.

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