Intervention de Daniel Delzescaux

Réunion du 25 mai 2016 à 18h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Daniel Delzescaux, directeur de l'interprofession nationale porcine, INAPORC :

Historiquement, le cycle du porc était un phénomène économique enseigné dans les écoles : il se caractérisait par deux sinusoïdes – la production et le prix – qui se croisaient. Lorsque la production monte, les prix baissent, donc les éleveurs arrêtent de produire, donc la production baisse et les prix montent et ainsi de suite.

En 2007 et 2008, nous avons subi un tsunami qui s'appelle le prix des matières premières. Rappelons que l'alimentation représente entre 65 et 70 % du coût du kilo de viande de porc. C'est le produit proposé au consommateur dans lequel l'incidence de l'aliment est la plus forte, plus forte que pour la volaille ou la baguette de pain. Les éleveurs de porcs français et européens ont dû faire face à une crise des matières premières avec, pour conséquence, une dérégulation de l'alimentation qui est devenue compliquée à gérer. Ensuite, ils ont connu des années au cours desquelles ils ont moins perdu, mais si on établit un bilan sur les huit dernières années, les mauvaises périodes ont été plus nombreuses que les périodes correctes – je n'irai pas jusqu'à parler de bonnes périodes. Il en a résulté des endettements successifs des éleveurs, si bien qu'aujourd'hui, la situation de certains d'entre eux, pas de tous, est compliquée.

La situation financière des éleveurs se répartit toujours par tiers : un tiers bon, un tiers moyen, un tiers mauvais. Entre 15 et 20 % des éleveurs sont aujourd'hui dans des situations d'endettement très difficiles. Nous avons débattu de la constitution d'un fonds de solidarité pour essayer de les soutenir. Même si la production française est très performante en moyenne par rapport aux autres pays, la situation économique est tendue. En 2014, la fermeture de la Russie n'a pas amélioré les choses. À l'époque, la France exportait 75 000 tonnes en Russie, l'Europe 750 000 tonnes ; du jour au lendemain, ce marché s'est fermé. 2014 aurait pu être une période un peu meilleure, sans la fermeture de la Russie qui a pesé.

Aujourd'hui, les choses vont un peu mieux, je dis bien un peu mieux. La cotation allemande vient de tomber : elle est montée de six centimes – je ne vais pas dire que c'est le nirvana, mais c'est beaucoup. Pourquoi ? Parce qu'un pays aujourd'hui achète beaucoup : la Chine. Elle est déficitaire en viande de porc, elle en importe donc énormément car elle est très grosse consommatrice. Ceci dit, si l'on peut s'en réjouir, cette situation suscite d'autres inquiétudes car elle nous rappelle le vieux scénario de la Russie. Il ne s'agit pas de dire qu'il ne faut pas aller en Chine mais, et nous essayons d'engager un débat au sein de l'interprofession, il ne s'agit pas faire du tout-Chine après avoir fait du tout-Russie… Il faut peut-être réfléchir aux équilibres de marché et voir quelle est la meilleure stratégie pour ne pas forcément mettre tous les oeufs dans le même panier : si on a un pépin sur un pays, et faut pouvoir débrayer et avoir une solution de repli sur d'autres pays.

Aujourd'hui, les choses vont un peu mieux – l'augmentation de six centimes en Allemagne laisse augurer une hausse du prix français demain. Mais si on fait un bilan, le coût de production du kilo de porc est autour de 1,40 euro et le prix du porc payé au producteur est de 1,35 : il manque 5 centimes pour l'éleveur ; et je ne parle pas des dettes qu'il a accumulées et qu'il n'a pas comblées. Il faudrait une longue période de bon cours pour les résorber.

Quant au modèle économique mono-espèce, historiquement, il y a une séparation entre l'abattage-découpe et la transformation. Les entreprises de charcuterie étaient plutôt des PME ; c'étaient deux mondes. Depuis une quinzaine d'années, des passerelles se construisent entre ces deux métiers. Je prends l'exemple de la COOPERL qui a investi dans la transformation avec Brocéliande, dans un système plus intégré ; mais je ne suis pas sûr que le système intégré soit meilleur que le système de partenariats. Des débats ont eu lieu l'année dernière sur la contractualisation pour essayer de stabiliser un peu plus le marché. Pour un marché qui, culturellement, est « spot », c'est-à-dire au jour le jour, c'est une révolution culturelle, il faut en avoir conscience, cela ne se fait pas d'un claquement de doigt. Aujourd'hui, la réflexion s'intensifie ; les gens demandent un peu plus de stabilité dans un monde devenu très chaotique. Peut-on contractualiser le swap entre certains salaisonniers et des éleveurs des groupements de producteurs ? Il y a quinze ans, il était inimaginable de prendre un engagement de volume au sein de la filière. C'est vraiment une révolution culturelle. Je pense qu'on est train d'essayer de trouver un nouveau modèle pour tenter de stabiliser la filière porcine française.

Oui, nous connaissons des difficultés de recrutement. Ces métiers restent difficiles malgré les efforts, depuis trente ans, en faveur de la sécurité et des conditions de travail. Quand vous discutez avec des responsables d'abattoirs, il en ressort que le recrutement est délicat. L'Allemagne fait une entorse à sa réglementation sociale puisque la filière fait appel à des travailleurs détachés. Des sociétés d'intérim recrutent des gens venant plutôt des pays de l'Est, qui sont payés au tarif de l'Est et c'est la société d'intérim qui gère. Nous dénonçons cette méthode depuis plus de dix ans. Nous sommes montés au créneau à tous les niveaux – ce n'est pas que nous souhaitons bénéficier des mêmes modalités que les Allemands, mais l'absence harmonisation sociale entre pays génère des distorsions de concurrence. Quand le coût du travail est en France de 18 à 20 euros de l'heure, il est de 4 ou 5 euros en Allemagne, quand les employés sont payés – vous avez dû voir des reportages sur leurs conditions de travail. Au final, pour une activité comme l'abattage ou la découpe dans laquelle la main-d'oeuvre représente l'essentiel du coût de production, cela crée un différentiel qui explique que l'Allemagne a augmenté sa production de 25 millions de porcs en quinze ans. On a beau pointer régulièrement cette distorsion de concurrence sur le plan social, la seule réponse qu'on ait obtenue – effectivement un SMIC a été instauré mais loin de celui que nous avons en France – est que cela ne relève pas de la réglementation européenne. Notre demande est donc hors sujet. Cela laisse les professionnels de la filière très dépités.

Quant aux abattoirs de coches, un porc charcutier pèse 120 kg vifs alors qu'une coche peut aller jusqu'à 360 ou 380 kg. Ce sont des animaux beaucoup plus grands, qui exigent des équipements adaptés. On ne peut pas abattre des coches dans des abattoirs de porc charcutier. Il faut un équipement spécifique. Les Allemands, très judicieusement, ont construit un gros abattoir de coches. Ils se sont spécialisés sur ce type d'animaux et ont créé un appel d'air dans toute l'Europe en payant mieux les coches que ne le faisaient les abattoirs français. Des abattoirs ou des groupes français ont essayé de riposter – la viande de coche est assez caractéristique pour certains produits de charcuterie, notamment le saucisson – et de reconquérir le marché de la coche. Des outils se sont spécialisés, mais aujourd'hui on n'est pas à 100 % des coches françaises abattues en France. La situation s'est améliorée ces deux dernières années – plus de coches restent, on s'en félicite. Mais cela reste un marché très spécifique.

Je suis désolé, je n'ai pas le chiffre en tête de la part du coût de l'abattage. Je vais demander à l'IFIP car des études sont réalisées sur ce point. En fourchette, un porc est payé à l'éleveur 1,35 euro. Viennent ensuite l'abattage et la découpe, plus ou moins élaborée : il faut passer par six D : dénerver, dégraisser, etc., pour arriver à la viande en tant que telle. On peut ajouter entre 50 centimes et 1 euro en sortie d'abattoir et pour la découpe, un coût plus ou moins élevé selon l'élaboration. Ensuite, il y a un éclatement des coûts. Vous vendez de la viande : quand vous achetez une rouelle, vous n'achetez pas un filet mignon, un rôti ou une brochette. On est rendu pour le consommateur autour de 7 ou 8 euros pour la côte de porc et entre 12 et 15 euros pour le filet mignon. Il faut aussi tenir compte de l'élaboration : sur une carcasse de porc, 25 % est consommé en viande fraîche au rayon boucherie, 75 % est transformé en produit de charcuterie. Je vous transmettrai les éléments chiffrés.

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