Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 24 mai 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

S'agissant, Madame Marie-Hélène Fabre, du déploiement des réseaux fixes dans le département de l'Aude, vous savez probablement que le Gouvernement, au mois de décembre dernier, a apporté son soutien formel à un projet de couverture internet à très haut débit, avec un apport de 37,5 millions d'euros. Il est prévu l'installation de 91 000 lignes arrivant jusqu'aux domiciles, ce qui inclut 68 sites considérés comme prioritaires, qu'il s'agisse d'administrations ou d'entreprises. L'augmentation du débit sera par ailleurs facilitée par l'installation de 3 000 lignes, ce qui garantira une meilleure qualité du réseau existant. Enfin 5 000 kit hertziens satellitaires seront distribués dans les zones particulièrement difficiles d'accès.

Vous m'avez par ailleurs interrogée sur la réalité de l'exécution des engagements pris par les opérateurs en matière de couverture mobile par le programme 2G. Sur 3 500 communes à couvrir, 2 200 n'étaient pas couvertes lorsque nous avons décidé d'introduire ces engagements dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ; en moins d'un an, 600 l'ont été, et les 1 600 restantes le seront d'ici la mi-2017. Il y a donc bien exécution des engagements pris, et leur non-respect éventuel fera l'objet de sanctions.

La rétraction du réseau téléphonique constitue effectivement une réalité dans certaines zones ; il faut avoir à l'esprit que les réseaux évoluent comme des organismes vivants et que leur qualité peut se dégrader. C'est pourquoi nous avons lancé des « appels à problème », gérés à l'échelon local par les centres de ressources d'animation numérique territoriale (CRANT), à travers un guichet de couverture mobile ; les opérateurs de téléphonie mobile sont ainsi mis face à leurs responsabilités. Ce dispositif correspond mieux aux besoins concrets qu'un programme de couverture en téléphonie mobile lancé une fois tous les quinze ans – le dernier programme « zones blanches » remonte à 2003 ! Ces programmes deviennent très vite obsolètes, et leurs critères sont difficiles à réactualiser ; nous privilégions donc une politique de réactualisation au fil de l'eau, conduisant les opérateurs à résoudre les problèmes par eux-mêmes.

J'insiste sur le fait que les solutions que j'ai présentées vont bien au-delà de la question des zones grises, qui se caractérisent par la présence d'un seul opérateur. Il sera proposé aux quatre opérateurs de mutualiser leurs équipements, dans le cadre du guichet de couverture mobile qui concernera 1 300 sites.

S'agissant de la contribution de solidarité numérique, la question est de savoir s'il est souhaitable de créer une nouvelle taxe, alors que les Français se plaignent de voir leur pouvoir d'achat diminuer : nous pourrions avoir ce débat, mais une telle mesure ne me paraît pas opportune. Le plan « France très haut débit » ainsi que la couverture numérique sont financés, et nous nous situons davantage aujourd'hui dans une phase d'exécution que de recherche de financements. Nous avons à coeur de faire venir les opérateurs vers les RIP et les pylônes, et la question du financement, particulièrement pour les réseaux fixes, se pose avec moins d'acuité que par le passé, en partie grâce aux engagements de l'État qui sont sans précédent.

Nous répondons très précisément au problème de la dégradation des réseaux de lignes téléphoniques fixes par des dispositions spécifiques introduites dans le projet de loi pour une République numérique, et issues d'une proposition de loi de M. André Chassaigne. Il ne faut évidemment pas attendre 2022 pour garantir que les services relevant du service universel soient correctement rendus. À cette fin, des enquêtes administratives ont été diligentées, et le régulateur a rendu un premier rapport le mois dernier.

À la fin de l'année, l'État lancera un nouvel appel à projets afin de désigner le prestataire du service universel. À cette date, la loi sera entrée en vigueur ; nous serons alors susceptibles de mieux identifier les responsabilités et de nous assurer que l'entretien du réseau fixe est effectué. Il sera aussi possible d'élever le niveau d'obligation du prestataire de service universel s'il est constaté que la loi n'est pas convenablement appliquée.

Mme Jeanine Dubié a évoqué les territoires collaboratifs expérimentaux, annoncés par le Premier ministre lors du troisième comité interministériel aux ruralités ; cela peut sembler quelque peu technocratique, mais un CIR représente le moment où l'ensemble des acteurs publics, privés et associatifs se réunissent pour évoquer les difficultés propres aux zones rurales. Toutes les questions sont ainsi passées en revue, qu'elles concernent l'école, la jeunesse ou l'accès aux services publics, et nous considérons que les zones rurales peuvent faire l'objet d'expérimentations très riches en matière d'économie et de société numériques.

Il s'agit de développer l'économie collaborative, et 30 millions d'euros, prélevés sur la troisième phase du programme des investissements d'avenir (PIA), y seront consacrés. Aussi, l'appel à projets collaboratifs ne sera lancé que l'année prochaine ; il permettra de financer des projets de construction de lieux de travail partagé. Nous savons qu'aujourd'hui le télétravail constitue l'une des réponses à la saturation des transports publics ainsi qu'au manque d'engouement pour certaines zones rurales ; il contribue en outre à la réduction du coût du foncier pour les entreprises. À cette fin, il convient de sortir de l'isolement : un créateur de startup a besoin d'un écosystème, et ces lieux de co-working sont un outil que l'État doit soutenir. Les critères d'attribution doivent être définis avec l'ensemble des acteurs de l'écosystème, et ce travail est en cours ; il n'est pas douteux que ces dispositifs soient source de croissance ainsi que de création de valeur économique et sociale.

S'agissant de la validation du plan « France très haut débit » par la Commission européenne au regard du droit européen, nous avons dû nous livrer à un travail de conviction et de pédagogie au cours d'échanges très denses. Nous avons été conduits à expliquer les subtilités du plan, ainsi que celles du marché français, très concurrentiel. La Commission a été très attentive à cette validation, car ce plan, premier du genre dans l'Union européenne, ne manquera pas de servir de mètre-étalon pour des opérations similaires réalisées dans d'autres pays. Cela explique peut-être la durée, que je considère comme longue, qui a été nécessaire à ces discussions ; les dernières interrogations de la Commission ont fait l'objet de réponses très précises de la part de nos services, et j'espère que nous obtiendrons un accord dans les deux prochains mois.

Les mesures de la couverture mobile effectuées dans le cadre des programmes que nous avons lancés relèvent des compétences de la mission « Très haut débit » et de l'Agence du numérique, qui sont en relation avec les représentants de l'État dans les territoires ; elles sont financées par les opérateurs. En revanche, nous souhaitons doter l'ARCEP de nouvelles capacités afin qu'elle réalise des mesures supplémentaires en recourant à des experts indépendants, des ingénieurs, voire – pourquoi pas ? – à des particuliers, dès lors que les instruments de mesure sont rendus facilement accessibles. C'est une demande de l'ARCEP que de pouvoir « puiser dans la foule » les données de couverture en s'appuyant sur des mesures réalisées en externe par la communauté citoyenne, afin de confronter la réalité de la couverture avec les chiffres annoncés par les opérateurs.

Au sujet du réseau filaire, je précise à M. Jean-Claude Bouchet que ce n'est pas parce que nous demandons aux opérateurs d'investir à long terme, dans la fibre optique par exemple, qu'il y a lieu d'abandonner l'ambition d'un service universel de téléphonie fixe. Nous connaissons une phase de transition et, tant qu'elle durera, il est essentiel que le service soit garanti aux habitants des zones rurales les plus reculées – qui sont parfois des personnes âgées – n'ayant accès qu'à la téléphonie fixe.

Que faire lorsque les collectivités locales ou les opérateurs refusent de se plier à l'ambitieux programme du Gouvernement, et comment expliquer les retards constatés çà et là ? Il faut avoir à l'esprit que le maillage relève d'une motivation politique au sein des territoires, et les usagers mécontents doivent se tourner vers les départements et les régions pour demander son accélération. Par ailleurs, nous incitons financièrement les départements à s'entendre entre eux : à partir de deux départements minimum, nous pouvons réaliser des économies d'échelle sur la commercialisation et sur l'harmonisation des standards et des systèmes d'information. Plus les regroupements sont vastes, plus l'incitation est élevée.

Ces coopérations interdépartementales ne sont pas toujours aisées à réaliser, mais elles sont possibles : à l'occasion du CIR, je me suis récemment rendue en Ardèche, qui a passé un accord avec la Drôme, accord qui perdure malgré le changement de majorité dans ce dernier département.

Aujourd'hui, 99 départements sont engagés. Parmi ceux dont on pourrait penser qu'ils sont de « mauvais élèves », figure le département des Bouches-du-Rhône, pour lequel le projet est en réalité de peu d'intérêt immédiat puisque 95 % de son territoire est classé en zone d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII), relevant donc de l'initiative privée. Sa démographie très dense dispense ce département de constituer un réseau d'initiative publique.

En d'autres endroits, des difficultés techniques et juridiques ont été rencontrées lors du passage des zones « RIP 1 » aux nouvelles zones « RIP 2 ». Ceux qui s'étaient investis dans le numérique dès les années 2000 ont pu avoir le sentiment d'être pénalisés, car il a fallu négocier la transition entre les générations de réseaux. Nous avons pour mission d'aider ces territoires à maintenir les schémas qu'ils avaient mis en place et à garantir la fluidité du dépôt des dossiers présentés dans le cadre du plan « France très haut débit ».

À ceux d'entre vous qui ont considéré que l'unanimité était chose facile à obtenir, je répondrai que celle-ci se mérite : il a fallu deux ans de consultations – y compris via internet – pour co-construire un projet de loi avec des communautés citoyennes, et d'aucuns ont manifesté une certaine impatience ! L'unanimité n'est pas advenue par hasard ni, comme j'ai pu le lire çà et là sous la plume de journalistes quelque peu paresseux, parce que les parlementaires ne comprenaient rien au sujet. J'estime au contraire que les débats ont été d'une grande qualité au sein des deux assemblées, démontrant à quel point les parlementaires sont désormais au fait des enjeux du numérique, lesquels ne sont d'ailleurs pas seulement des enjeux de couverture. Ce sont peut-être les journalistes qui n'ont pas su en apprécier la mesure…

M. Jean-Claude Mathis m'a demandé quels peuvent être les moyens de pression sur les opérateurs lorsqu'un fort décalage est constaté entre la qualité de service qu'ils annoncent et la réalité. Le guichet de couverture mobile constitue à cet égard un excellent outil : il est possible d'imaginer qu'on demande aux opérateurs d'offrir une solution, et que, s'ils font défaut, ce soient l'État et les collectivités qui assurent le financement, mais ce ne serait guère incitatif. Le guichet, au contraire, est une contrainte opposable aux opérateurs, et les 1 300 sites qu'il regroupe sont vérifiables par l'ARCEP ; les opérateurs n'aimant pas que leurs investissements soient contrôlés et régulés par cette administration, ils s'efforcent de l'éviter.

L'existence du guichet prive les opérateurs de leur pouvoir de choisir les lieux de déploiement de leurs antennes ; or, la plus-value procède de la diversité des infrastructures ainsi que de la qualité des réseaux. Cette démarche de parfaite homogénéisation entre tous les opérateurs, tenus d'être présents sur un même pylône, n'est guère prisée des intéressés : leur intérêt bien compris est donc de proposer une solution plutôt que de devoir intégrer le guichet de couverture mobile.

Nous sommes en droit de considérer que le nombre de 1 300 sites couverts sera largement dépassé, car notre démarche se veut très incitative. Ainsi, dans une zone grise, qui n'est couverte que par une seule antenne du fait la présence d'un unique opérateur – vous avez évoqué, Monsieur Jean-Pierre Le Roch, le cas d'antennes réorientées en direction des axes routiers au détriment des zones d'habitation –, cet opérateur souhaitera conserver son exclusivité. Il aura tout intérêt, s'il veut éviter la venue de concurrents et l'obligation de mutualiser ses équipements, à réorienter l'antenne ou à présenter une nouvelle offre garantissant la couverture des résidents : nous développons ainsi une nouvelle logique, jamais mise en oeuvre à ce jour.

Les zones qui n'auront pas été couvertes feront l'objet de réattributions de fréquences, car la bande des 900 mégahertz sera réattribuée dans quelques années, et les zones demeurées non couvertes feront l'objet d'une obligation de couverture opposable aux opérateurs qui souscriront à l'utilisation des prochaines fréquences.

J'ai bien entendu la remarque de Mme Béatrice Santais sur la charge financière pour les budgets des collectivités, et singulièrement ceux des petites communes. C'est pourquoi la totalité du financement public par l'État vise les territoires ruraux. Nous aurions pu faire le choix de concurrencer les opérateurs dans les zones où règne l'initiative privée, mais nous avons choisi de rationaliser le financement public en l'orientant vers les zones où il est le plus nécessaire. Il n'en demeure pas moins que le coût de l'investissement est lourd pour les petites communes ; l'État les aide donc à hauteur de 50 %, et les départements et régions apportent également leur contribution. Encore une fois, c'est dans cet esprit que nous avons privilégié une logique de concentration de la totalité du financement public sur ces zones rurales ; car ce sont elles qui en ont le plus besoin.

M. Philippe Naillet a évoqué l'accès de La Réunion aux transferts de données. De fait, l'accord européen sur la suppression des frais d'itinérance mobile ne porte pas, à ce jour, sur les données. Je tiens toutefois à rappeler que cet accord, qui prendra effet l'année prochaine, a été rendu possible par l'impulsion très active du Gouvernement français, qui a permis d'aboutir en quelques mois à un compromis, alors que certains pays défendaient des positions radicalement opposées. Les prix de transmission des données ont baissé de 80 %, et cela concerne aussi les territoires ultramarins ; cette diminution sera continue jusqu'en 2017. Dans ce domaine, nous comptons beaucoup sur le jeu de la concurrence, car les opérateurs ont compris leur intérêt à proposer des offres attractives, particulièrement outre-mer.

À Mme Nathalie Chabanne, qui ne constate pas d'accélération du maillage numérique, je rappelle que nous sommes dans une phase de transition. J'ai toutefois tenté de démontrer de façon objective, neutre et impartiale que tout est mis en oeuvre pour que les usagers constatent les progrès réalisés dans les meilleurs délais possibles. Il est vrai que cette réalité n'est pas encore pleinement perceptible, alors que toutes les mesures réglementaires, fiscales et budgétaires, comme le suramortissement, le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ou le droit à la fibre – l'autorisation du conseil syndical de l'immeuble n'est désormais plus requis – ont été incluses dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques et dans le projet de loi pour une République numérique.

Par ailleurs, dans le cadre du plan « France très haut débit », le nombre des dossiers traités a été doublé en l'espace de six mois, car nous avons augmenté le nombre des équipes qui en ont la charge. S'agissant de la perception par le public de la qualité du réseau, j'ai évoqué la possibilité désormais donnée à l'ARCEP de faire pratiquer des mesures par des particuliers indépendants des opérateurs, plutôt que de se fonder sur les seules déclarations de ces derniers.

J'espère avoir répondu à M. Frédéric Barbier sur la dégradation du service de téléphonie fixe. Le Gouvernement est très ferme sur ce point : il n'est pas question que l'accès soit de qualité variable selon que l'on demande de la téléphonie mobile ou de la téléphonie fixe.

Un fait mal connu est cependant que, plus nos téléphones sont « intelligents » et donnent accès à de l'information, moins ils sont performants en tant que téléphones : il y a dix ans, nos bons vieux Nokia offraient une qualité sonore bien supérieure à ce que nous connaissons aujourd'hui. Il faudra compter sur l'offre commerciale des opérateurs pour pallier cette dégradation.

Vous n'êtes pas sans savoir, Monsieur Frédéric Barbier, qu'il y a un an et demi, devant l'exaspération des usagers, j'ai posé la question de la mise à disposition du wi-fi dans les TGV ; cela a permis d'accélérer la prise en considération de ce sujet. Par ailleurs, le président de la SNCF est pleinement conscient de la demande de ses clients en la matière, et souhaite y répondre rapidement.

Il me semble que la solution réside plus dans la technologie 4G que dans le wi-fi, qui suppose le déploiement d'antennes, et cela vaut pour toutes les catégories de trains. Lors des attributions de nouvelles fréquences effectuées l'année dernière, nous avons inscrit l'obligation de couvrir tous les trains du quotidien ; en ce qui concerne les TGV, la SNCF a annoncé la généralisation de la mise à disposition du réseau dans les rames, et c'est devenu une priorité commerciale de l'établissement. Un accord reste toutefois à trouver avec les opérateurs sur le partage des coûts, notamment pour la modernisation des équipements à l'intérieur des trains. Le dialogue est difficile, et l'État et le Gouvernement sont en position d'arbitres et de facilitateurs afin qu'une solution soit trouvée.

J'avoue être moi-même parfois exaspérée par la lenteur avec laquelle certains dossiers sont traités ; s'il le faut, je rappellerai les intéressés à leurs engagements, car aucun retard ne saurait être pris dans cette affaire.

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