Intervention de Dominique Baert

Séance en hémicycle du 1er juin 2016 à 15h00
Réforme du système de répression des abus de marché — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Baert, rapporteur de la commission mixte paritaire :

De surcroît, il est également satisfait que les délais aient été tenus. En effet, il fallait que le droit français de la répression des abus de marché soit rénové avant le 1erseptembre prochain, je m’y étais engagé, et il est dorénavant plus que vraisemblable que ce sera chose faite dans quelques minutes après le vote de notre Assemblée !

Engagement donc tenu, nous pouvons nous en réjouir car ce qui était en jeu, c’était la capacité de continuer à pouvoir, administrativement et pénalement, réprimer et punir ceux qui fautent, et faussent ainsi par leur comportement et pour leur profit, le bon fonctionnement des marchés boursiers, où seuls l’efficacité et l’intérêt économiques devraient pourtant guider les placements.

L’adoption de cette proposition de loi va tirer toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, qui a censuré notre système actuel permettant un cumul des poursuites et des sanctions pénales et administratives en matière de délit boursier. Nous évitons ainsi un risque de vide juridique et nous procédons également à la transposition de la directive du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché ainsi qu’à une partie du règlement associé qui devait intervenir avant le 3 juillet 2016. Il y avait donc double urgence à moderniser notre droit en la matière.

Son adoption à une large majorité, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, témoigne du consensus au sein des deux assemblées autour de la nécessité de légiférer d’une part, et, d’autre part, quant à l’architecture générale de la réforme proposée.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le l7 mai dernier à l’Assemblée nationale, s’est donc soldée sur un compromis consensuel qui va donner au texte toute sa force et faire avancer rapidement la réorganisation de notre système répressif.

Un consensus, disais-je, mais après bien sûr un compromis pour le finaliser : c’est la logique d’une CMP. Il faut des efforts partagés pour faire converger les textes de l’Assemblée et du Sénat. Nous l’avons fait dans un très bon climat avec Albéric de Montgolfier, qui avait été rapporteur du texte au nom de la commission des finances au Sénat, et François Pillet, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois de cette même assemblée. Je remercie ces derniers de leur écoute, de leur compréhension ainsi que de leur volonté d’aboutir à un résultat commun.

Je puis donc aujourd’hui vous présenter un texte équilibré, qui reprend les dispositions auxquelles chaque assemblée était la plus attachée. Tout en saluant d’entrée le travail accompli par le Sénat, tant en termes de cohérence que de rédaction – j’ai d’ailleurs validé douze amendements votés par le Sénat –, j’ai précisé avec mon collègue Dominique Lefebvre que nous ne partagions pas l’analyse du Sénat sur trois de ses ajouts.

Il s’agit d’abord de l’article 1er bis A, visant à sécuriser le droit de communication de l’Autorité des marchés financiers vis-à-vis des opérateurs de télécommunication, suite à une décision du Conseil constitutionnel d’août dernier ayant censuré la même procédure pour l’Autorité de la concurrence. Si la volonté de remédier à cette fragilité juridique est louable, l’adoption d’une procédure applicable uniquement à l’AMF et faisant intervenir le juge des libertés était à notre sens prématurée. En effet, le Conseil d’État réfléchit actuellement à une solution valable pour toutes les autorités concernées, et qui soit la moins lourde possible. Il convient donc d’attendre ses conclusions.

Autre ajout du Sénat que nous contestions : le nouvel article 2 ter. Celui-ci instaurait un mécanisme de coopération renforcée entre l’Autorité des marchés financiers et le parquet national financier au stade des enquêtes et des contrôles, et contraignait les deux acteurs à un échange réciproque d’informations et de documents même très en amont de la procédure de répression des abus de marché que porte notre proposition de loi. Une telle disposition se serait révélée préjudiciable à l’AMF car, en pratique, elle est à l’origine de la très grande majorité des enquêtes et souhaite garder à ce stade des procédures l’entière maîtrise et la confidentialité de ses expertises. Cette disposition a été perçue comme une remise en cause de l’équilibre général assuré par la réforme entre l’autorité judiciaire et l’AMF, au détriment de cette dernière. Du point de vue de l’Assemblée, la suppression de cet article était une condition sine qua non à la réussite de la commission mixte paritaire.

Enfin, troisième ajout du Sénat que nous contestions : le nouvel article 4 bis A, introduit sur l’initiative de sa commission des lois. En effet, il procédait à l’unification devant le juge judiciaire de l’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, que ces sanctions concernent un professionnel régulé par celle-ci ou une personne agissant à titre personnel. Notre critique était de forme et de fond : sur le plan formel, car une modification touchant aux blocs de compétences au profit de l’un ou de l’autre ordre de juridiction ne peut s’exempter d’une consultation préalable, ce qui d’évidence n’a pas été fait en l’espèce auprès du Conseil d’État, ni d’une étude d’impact approfondie ; sur le fond, il aurait été curieux de vouloir dessaisir la juridiction administrative d’un contentieux lui revenant de droit puisqu’en lien avec les décisions d’une autorité administrative. Si unification il devait y avoir, nous aurions pensé spontanément au Conseil d’État. S’agissant d’un tel débat, il nous paraissait très prématuré et aventureux de le régler ainsi par voie d’amendement, et que mieux valait y surseoir !

Je sais gré à nos collègues d’avoir, après une discussion riche et franche, renoncé à ces trois points saillants qui cristallisaient notre désaccord. Dès lors, notre commission mixte paritaire, outre le retour au texte voté par l’Assemblée nationale le 7 avril dernier, a pu valider certaines évolutions significatives apportées par nos collègues.

Le Sénat a en effet procédé à une réécriture intégrale de l’article 1er de la proposition de loi, le coeur même du texte, qui détaille la procédure d’aiguillage des dossiers entre la voie administrative et la voie pénale. Cette nouvelle rédaction ne modifie pas sur le fond le mécanisme de la concertation obligatoire préalable entre le parquet national financier et l’AMF, ni le principe de l’arbitrage par le procureur général près la Cour d’appel de Paris. En revanche, le Sénat a transféré l’ensemble du dispositif au sein d’un seul et même article du code monétaire et financier, l’assortissant de délais extrêmement précis, tout en prévoyant que le silence gardé par une autorité autorise l’autre à engager des poursuites. Je me dois de dire qu’à titre personnel, ce principe du silence vaut accord ne me convainc pas, notamment s’agissant de son application à des procédures judiciaires ; si je le comprends plus aisément en mode administratif, je redoute qu’il puisse en l’occurrence être source de contentieux. Pour autant, alchimie des commissions paritaires, le choix a été fait de conserver cette rédaction, en ayant à l’esprit qu’il s’agissait de notre part d’un pas important en direction des sénateurs.

Nous avons également conservé le nouvel article 2 bis, qui constitue une avancée majeure et attendue : il s’agit de l’ouverture du champ de la composition administrative aux abus de marché. Avec l’ouverture de cette procédure aux infrastructures de marché au sein du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique actuellement en discussion, l’extension du champ de la composition administrative est cohérente et permettra à l’AMF d’accélérer le traitement des affaires lorsque celles-ci donnent lieu à une jurisprudence bien établie de la part de la commission des sanctions.

En outre, alors que le Sénat avait prévu l’obligation de présence de l’AMF au procès pénal – lorsque celle-ci choisit de ne pas exercer les droits de la partie civile –, nous nous sommes mis d’accord pour que cette présence soit possible mais non obligatoire, une telle obligation étant difficilement justifiable tant sur le plan technique que juridique.

En dernière analyse, le texte issu des débats de nos assemblées est cohérent, équilibré et efficace ; il répond à la fois aux exigences constitutionnelles et aux exigences européennes qui s’imposaient au système répressif français en matière d’abus de marché. Mais pour que son écriture soit parfaitement épurée de ses dernières scories, je vais vous proposer un amendement rédactionnel visant à insérer, au sein de l’article 5, les mesures de coordinations nécessaires avec les modifications actées par la commission mixte paritaire.

En travaillant rapidement – j’en remercie nos collègues, sur tous les bancs et dans les deux assemblées – et en votant ce texte selon un calendrier serré, parce qu’exigeant juridiquement, le Parlement aura évité que la France n’affaiblisse sa garde devant la délinquance financière. Et puisque ce texte, ne l’oublions pas, alourdit considérablement les sanctions pécuniaires pour ceux qui fautent, le Parlement aura voté une loi utile pour combattre les comportements frauduleux, délictueux et criminels. Ce texte, mes chers collègues, est à n’en pas douter un texte de justice, d’efficacité et d’équité.

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