Intervention de Michel le Goff

Réunion du 26 mai 2016 à 9h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Michel le Goff, membre du comité exécutif fédéral de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière de la Confédération générale du travail, FNAF-CGT :

J'ai surtout parlé tout à l'heure du problème que posait le lien de subordination dans l'entreprise. Comment voulez-vous que votre lanceur d'alerte, appelons-le ainsi, soit en mesure de dénoncer quelque dysfonctionnement que ce soit ? Ce sera très compliqué. Imaginez la pression qu'il peut subir : cela peut entraîner la fermeture de l'abattoir, le licenciement de l'employé fautif. Cela mettra une pression incroyable sur cette personne. Il faut avant tout donner des moyens aux services vétérinaires d'être présents sur le terrain et de surveiller les conditions de travail.

Le problème est d'abord celui de l'organisation du travail dans l'entreprise, autrement dit des moyens que l'on donne au salarié pour qu'il puisse travailler, du matériel adéquat. Il existe encore des abattoirs où il n'y a toujours pas de piège. La bête arrive dans un couloir, elle est plus ou moins bloquée. On assomme une bête en une fraction de seconde, avec un geste très précis ; il suffit qu'elle tourne la tête pour qu'on la rate. Dans le groupe Bigard, les abattoirs se dotent progressivement de pièges équipés d'une mentonnière qui bloque bien la tête : l'opérateur a une grande facilité pour assommer l'animal. Il faut donc un matériel adéquat et régulièrement remis à niveau. C'est sur l'organisation du travail qu'il faut vraiment insister.

Le salarié est conscient de la responsabilité qu'il a quand il fait ce travail. À Bigard Quimperlé, le turn over est une revendication de notre syndicat. Des rotations sur les postes ont été mises en place, ce qui permet une plus grande polyvalence, une qualification, une rémunération et une certaine souplesse dans le travail. Cela économise le salarié en lui évitant les gestes répétitifs. Mais il faut savoir qu'en le rendant plus polyvalent, on peut être tenté de l'exploiter encore plus : au lieu d'avoir un seul coude cassé, il aura les deux coudes, les épaules et le dos cassés… Autrement dit, le système peut avoir des effets pervers ; il faut faire attention à tous ces aspects.

J'ai entendu M. Eve parler d'une cadence de quatre-vingts bêtes à l'heure. Tout dépend comment la chaîne est équipée : certaines chaînes tournent à vingt-sept, d'autres à trente, quarante, soixante ; à Quimperlé, nous en traitons soixante. Après, tout dépend du nombre d'opérateurs qu'il y a sur la chaîne, du matériel et de la conception même de la chaîne. Un chauffeur routier par exemple est obligé de s'arrêter, ce qui n'est pas le cas dans l'agroalimentaire. Il n'y a aucune obligation de rotations en ce qui concerne les tueries. Elles sont fonction de l'organisation du travail appliquée dans l'entreprise ou sur le site. À Quimperlé par exemple, un accord d'entreprise impose une rotation sur ces postes toutes les heures, pour permettre aux salariés de souffler. Mais cela implique des actions dans le domaine de la polyvalence, de la formation, etc.

Le lanceur d'alerte pourrait être désigné parmi les instances représentatives du personnel (IRP) – délégués du personnel (DP), comité d'entreprise (CE). Il y a aussi le CHSCT : c'est déjà en quelque sorte un lanceur d'alerte, il a les compétences pour le faire. Il serait plus intéressant de donner les moyens à ces gens-là plutôt que de faire peser autant de pression sur un lanceur d'alerte.

Chez Bigard, un accord de groupe a été signé sur le parcours professionnel. Mais il est compliqué pour une personne qui a travaillé trente-cinq ou quarante ans au même poste d'en changer, même si on lui en propose un plus facile : comme elle n'a pas été éduquée dans ce sens, elle ne voudra pas. Mais si, dès le début de sa carrière, on met en place un parcours professionnel, si le salarié est habitué à suivre régulièrement des formations avec des remises à niveau et qu'il évolue dans son travail, il aura naturellement envie de changer de poste, d'apprendre des choses, bref d'évoluer tout simplement. Vous avez vous-même remarqué, monsieur le président, qu'il n'y a malheureusement que des jeunes sur la chaîne. C'est que nous sommes des sportifs de haut niveau : il faut travailler à soixante à l'heure et à une température de 40 °C. Et savoir manier le couteau : nous sommes presque aussi performants qu'un chirurgien… L'éviscération exige des gestes extraordinairement précis, bien calculés, une grande dextérité et des couteaux affûtés comme des rasoirs. Le parcours professionnel devrait permettre à une personne qui est embauchée à l'âge de vingt ans dans l'entreprise de travailler jusqu'à cinquante-huit ans sans détériorer sa santé. Maintenir le salarié dans son emploi sans le casser : voilà l'enjeu auquel est désormais confronté le secteur agroalimentaire.

Les formations existent. Mais entre la théorie et la pratique, il y a souvent tout un monde. Pendant les formations on nous dit de faire des choses. Mais ensuite, quand on est sur le terrain, on se rend compte qu'on ne peut pas faire ce que l'on nous a appris. C'est frustrant. Faudrait-il là aussi lancer une alerte, dénoncer ? Il faut pouvoir mettre ce qu'on apprend en application sur le terrain, et avec de bonnes conditions de travail.

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