Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 31 mai 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Thierry Repentin, président de la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier, CNAUF :

Je vous remercie pour votre accueil et pour ce second rendez-vous, après celui du début de l'année 2015 qui portait sur les deux premières années, 2013 et 2014, d'application de la loi du 18 janvier 2013 de mobilisation du foncier public en faveur du logement et de renforcement des obligations de production de logement social. Je vous parlerai aujourd'hui de l'application du dispositif sur l'année 2015. Lors de ma dernière intervention ici, le bilan de la loi était plus modeste que celui dont je peux vous faire part aujourd'hui. Toute nouvelle loi nécessite un temps d'appropriation et un service « après vote » constant pour qu'elle soit bien mise en oeuvre. Dans le cas présent, la loi conduit à changer de paradigme pour les administrations. Alors que précédemment, il s'agissait de vendre au plus offrant en vertu du principe constitutionnel d'égalité devant la loi et les charges publiques, cette loi impose désormais de vendre au juste prix permettant la réalisation de logements à un coût abordable pour nos concitoyens. Par ailleurs, les collectivités locales elles-mêmes n'avaient pas anticipé cette loi. Nombre des terrains appartenant à l'État n'étaient pas constructibles au regard des documents d'urbanisme en vigueur. Certains fonciers se situent en zone non constructible, d'autres en zone réservée à des usages hospitaliers ou militaires. Il est donc nécessaire de faire évoluer ces documents d'urbanisme avant de pouvoir concrétiser les cessions au regard de la contrainte qui impose que le programme soit achevé cinq ans après la vente.

Cependant, aujourd'hui le rythme des cessions s'est nettement accéléré et le bilan que je vous présente est plus en rapport avec l'ambition que portait le projet de loi. En termes quantitatifs, alors que pour les deux années 2013 et 2014, on comptait 13 terrains cédés dans le cadre de la loi du 18 janvier 2013, au cours de l'année 2015, les différents ministères et établissements publics de l'État ont signé 71 cessions, ce qui permettra de programmer sur ces fonciers plus de 7 900 logements, dont 45 % de logements sociaux.

Ces résultats sont le fruit d'une mobilisation renforcée. Tout d'abord, cela est dû à l'action de la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier que je préside depuis l'été 2014. Ensuite, l'objectif clair assigné le 24 juin 2015 par le Président de la République aux ministres « propriétaires » de foncier public – atteindre les chiffres de 60 cessions et de 5 000 logements pour la fin d'année 2015 – a favorisé la mobilisation des ministères. À la suite de cette injonction, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des préfets une circulaire, le 6 juillet 2015. Cette circulaire leur a demandé d'accélérer les cessions et a affirmé leur rôle de pilote unique dans les négociations au niveau local, et ce quel que soit le ministère vendeur. Enfin, je me suis moi-même rendu à plusieurs reprises dans les régions les plus tendues, afin de m'assurer du pilotage de ce sujet et du déblocage des dossiers permettant de mobiliser au mieux les terrains inutilisés. Parfois des négociations s'éternisent depuis 10 ans. La mobilisation des préfets est cruciale. Pour poursuivre cette dynamique, j'ai d'ailleurs souhaité intervenir devant eux le 15 février 2016 à 1'occasion de leur réunion mensuelle au ministère de l'intérieur. Je suis également intervenu devant l'ensemble des directeurs départementaux des territoires (DDT) le 16 mars dernier afin de les mobiliser également. J'ai aussi constitué un comité de suivi réunissant chaque mois à Matignon, l'ensemble des services ministériels concernés et la SNCF pour établir un état d'avancement de nos objectifs, un bilan des cessions, des difficultés à lever et nous assurer du rechargement régulier des listes recensant les propriétés qui seront soumises dans l'avenir à la vente.

Cette dynamique doit se poursuivre dans la durée et ce d'autant plus que le Président de la République a fixé publiquement, le 8 avril dernier à Romainville, un objectif de 100 cessions pour l'année 2016.

Après un an de fonctionnement de la CNAUF, le travail de pédagogie semble avoir été conduit auprès des différents acteurs. La commission est moins saisie qu'à sa création sur des points de blocages liés à l'interprétation et à l'application de la loi. Localement, les services de l'État se sont appropriés la loi en me proposant régulièrement des solutions de mise en oeuvre adaptées aux particularités de chaque opération. C'est le cas à Roquebrune-Cap-Martin, par exemple, où une solution permettant de concilier le calendrier de l'opération et le délai de cinq ans fixé par la loi a pu être trouvée. C'est également le cas concernant la caserne Martin à Caen où des découvertes de vestiges ont conduit à une évolution du programme tout en conservant l'équilibre économique du projet. Je m'attache principalement aujourd'hui à maintenir la mobilisation de l'ensemble des acteurs.

Par ailleurs, au cours de l'année 2015, le dispositif de mobilisation du foncier public a connu plusieurs évolutions législatives et réglementaires. Elles font suite aux évolutions souhaitées par le Président de la République pour accélérer et simplifier le dispositif, aux propositions formulées par vos deux collègues Audrey Linkenheld et Jean-Marie Tétart dans leur rapport parlementaire sur l'application de la loi du 18 janvier 2013 et aux préconisations faites par la CNAUF lors de son précédent rapport.

Ces principales évolutions concernent, tout d'abord, l'ouverture de la décote aux cessions de logements existants devant faire l'objet d'une réhabilitation. La loi ne permettait initialement la décote que pour les opérations de construction neuves ou de restructuration de logements. Elle ne concernait pas les anciens logements de l'État vacants qui pourraient être réhabilités pour être transformés en logements sociaux. Or, les coûts de réhabilitations ne permettent pas d'équilibrer une opération d'acquisition-amélioration de logements sociaux au prix du marché. Ouvrir la décote à de telles opérations est pourtant moins coûteux que d'envisager la démolition et la reconstruction de ces bâtiments. C'est notamment le cas d'anciennes casernes ou bâtiment des douanes, comme à Thonon-les-Bains, Saint-Louis ou Villiers en Alsace. Une dizaine d'opérations a déjà été recensée et pourrait être réalisée rapidement. La loi de finances pour 2016 a ouvert cette possibilité. Le décret permettant sa mise en oeuvre est en cours de signature mais, sur le terrain, les services ont anticipé cette disposition afin que les premières signatures interviennent dès la publication du décret.

Une deuxième évolution a perturbé le travail pendant l'année 2015. Lors des débats parlementaires sur la loi de programmation militaire, un amendement adopté au Sénat a introduit un plafonnement à 30 % du taux de décote pour le foncier appartenant au ministère de la défense. Compte tenu des caractéristiques des terrains militaires, qui nécessitent souvent une dépollution du fait de la présence d'hydrocarbures ou de pyrotechnie, et qui abritent des bâtiments à démolir ou amiantés, les coûts de la remise en état des terrains ne permettaient pas d'équilibrer les opérations si vous n'aviez pas une décote supérieure à 30 %. La loi de programmation militaire adoptée à l'été 2015 a gelé toutes les négociations puisqu'on ne pouvait pas aller au-delà d'une décote de 30 % alors que le taux de moyen des décotes effectuées sur le foncier militaire était de 60 %. Nous étions donc dans une situation de blocage à l'été 2015 alors que des cessions de foncier militaire avaient eu lieu à Nantes, Bordeaux ou Rodez à des niveaux de décote plus élevés. Il a donc fallu plaider en réunion interministérielle pour revenir sur cette disposition et un article de la loi de finances pour 2016 a abrogé cet article de la loi de programmation militaire. La réalité m'oblige à dire que, durant cette période, nous avons continué à travailler dans les négociations avec les collectivités locales comme s'il pouvait y avoir un jour, de nouveau, un retour à une décote de plus de 30 %, pour ne pas perdre six mois de négociations. Cela nous a permis de trouver des solutions en tout début d'année 2016 à Toulon et à Fréjus. Ce sera bientôt le cas aussi à Tours.

Enfin, afin d'accélérer le rythme des cessions, le Président de la République a souhaité que l'État puisse céder un bien de gré à gré à un organisme HLM sans recourir à un appel d'offres lorsque la collectivité refuse d'exercer son droit de priorité. Une telle disposition est cruciale pour l'intervention que je mène en parallèle sur les communes carencées. Le décret est aujourd'hui en cours de finalisation.

Quelles sont les perspectives du rapport ? Les membres de la CNAUF ont souhaité faire quelques nouvelles propositions. Il s'agit notamment de rendre publique la liste des terrains à céder et cédés afin de s'assurer de la transparence et de la fiabilité des données dont nous disposons. Plus ces terrains seront connus, plus les opérateurs se manifesteront. La deuxième recommandation consiste à disposer, pour chaque cession, des informations sur l'effort financier consenti par l'État, car de nombreux efforts faits dans le cadre de prix négociés ne sont pas connus alors même qu'il s'agit d'une « aide à la pierre » indirecte que l'État peut valoriser au titre de son soutien à la politique du logement. En effet, quand l'État ajuste son prix à la baisse, pour tenir compte d'un programme qui comporte une part de logements sociaux légitimant un prix de vente moindre que la valeur vénale, il y a un effort budgétaire qui doit être connu et nous recommandons que France Domaine évalue cet effort qui contribue au succès de la politique du logement. La troisième recommandation consiste à alimenter plus régulièrement la liste des terrains cessibles afin que nous continuions à avoir un rythme de cessions soutenu. La quatrième recommandation appelle à élargir le dispositif de la décote aux établissements publics du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche qui disposent de réserves importantes de fonciers non exploitées. Cet élargissement pourrait aussi concerner la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM). C'est d'ailleurs un sujet que vous aviez vous-mêmes discuté pendant l'élaboration de la loi du 18 janvier 2013. Les parlementaires avaient souhaité que la décote s'applique au patrimoine dont la SOVAFIM a la gestion. Mais le décret n'est, pour le moment, jamais sorti. Enfin, la dernière recommandation consiste à s'assurer que, dans les communes qui sont en retard au sens de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), tout soit bien fait pour que l'État mobilise d'éventuelles disponibilités foncières pour que son action soit cohérente.

Je veux dire un mot de l'annonce du Président de la République, en janvier dernier, portant sur la création d'une grande société foncière publique, qui sera capitalisée à hauteur de 750 millions d'euros, à parité entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations. À la suite de cette annonce, il nous a confiés, par courrier du 21 avril, une mission de préfiguration de cette société. Ce nouvel outil doit être complémentaire des dispositifs législatifs (décote Duflot) et des outils existants (établissements publics fonciers [EPF] d'État, EPF locaux, établissements publics d'aménagement, etc.). Il doit viser à créer une plus-value permettant d'accélérer la création de logements. La réflexion en est aujourd'hui à ses débuts. Mais il me semble que les pistes suivantes doivent être expertisées. La mise à disposition de foncier public ou privé en faveur des organismes HLM via des baux emphytéotiques ou des baux à construction pourrait constituer un réel bénéfice en diminuant la charge foncière pour ces derniers, notamment dans les zones tendues. Il pourrait s'agir d'un équivalent de l'aide à la pierre. Les établissements publics fonciers sont unanimement reconnus comme des acteurs indispensables des politiques foncières qui sont cruciales pour le développement de l'offre de logements. Aujourd'hui, l'ensemble du territoire n'est pas couvert par de tels outils. La mise à disposition de foncier pourrait jouer le rôle d'EPF, quand une société aurait intérêt à faire du portage pour une collectivité territoriale. D'ailleurs, différents travaux de parlementaires recommandaient la mise en place de tels outils. Ainsi, Mme Audrey Linkenheld et M. Jean-Marie Tétart, dans leur rapport d'information sur la loi du 18 janvier 2013, déjà cité, plaidaient pour un recours au bail emphytéotique dans certains cas, pour faciliter la réalisation d'opérations à moindre coût. Ce dispositif permis par la loi du 18 janvier 2013 est méconnu et peu utilisé, même s'il a déjà pu être mis en oeuvre par le ministère de la défense à Toulon ou à Saint-Mandé.

En outre, M. Daniel Goldberg, dans son rapport récent sur la mobilisation du foncier public, recommandait un développement des dispositifs de dissociation de la propriété visant à réduire les coûts du foncier. Enfin, le récent rapport de M. Dominique Figeat sur la mobilisation du foncier privé préconisait que du portage puisse être réalisé à plus long terme que celui réalisé aujourd'hui par les EPF.

Enfin, l'actualité en matière de logement est l'examen à venir par l'Assemblée nationale du projet de loi Égalité et citoyenneté. La commission spéciale m'auditionne d'ailleurs demain. Le projet de loi pose la question foncière, de façon sous-jacente. La maîtrise du foncier est la matière première des actions de programmation. Dans ce cadre, ce projet prévoit de contraindre les orientations du programme local de l'habitat (PLH), et les actions correspondantes, à prévoir et à traduire en actions concrètes une véritable stratégie foncière. Il y aura donc un volet foncier intégré de façon plus précise dans les PLH. Je note, en outre, la création d'un observatoire du foncier à l'échelle du PLH ainsi que les autres actions à mener en matière de politique foncière. Enfin, figure également dans le projet de loi la contribution des EPF d'État et locaux à la mise en place de ces observatoires fonciers à l'échelle des PLH, en appui des collectivités.

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