Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 31 mai 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Thierry Repentin, président de la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier, CNAUF :

Merci d'avoir rappelé, Monsieur Daniel Goldberg, l'évolution du bilan de la CNAUF. Je n'oublie pas que l'Assemblée nationale avait jugé pertinent, à l'époque, que cette politique soit incarnée en une personne qui aurait la responsabilité de son application. En effet, ce type de politique, y compris dans une collectivité locale, nécessite qu'un portage se fasse au quotidien, qu'une même personne rappelle sur le terrain ce qui doit être fait, voire soit une instance d'arbitrage. Dans le cas contraire, ce type de politique publique peut rapidement se perdre, les préfets faisant face à des circulaires et à des priorités qui se succèdent. Cela signifie aussi qu'il doit y avoir, dans le temps, une pérennité de la fonction, car les injonctions contradictoires ne se règlent pas naturellement : des arbitrages peuvent encore avoir à être rendus, parce qu'un ministère, par exemple, estimerait qu'il serait plus judicieux de ne pas vendre avec une décote que de vendre avec une décote. Cela nécessite un travail permanent de mobilisation et d'explication.

J'ai aussi entendu, en ce qui concerne les cessions de l'État, la remarque objectée à Madame Sophie Rohfritsch selon laquelle des communes pouvaient, en fin de mandat, vendre à vil prix pour remplir leurs caisses. Pourtant, d'une façon générale, lorsqu'une collectivité territoriale ou l'État cède un bien, il fait le bilan de ce que cette cession peut lui rapporter mais aussi de ce que cela apporte en termes de politique d'intérêt général. C'est un constat qui vaut aussi bien pour les collectivités territoriales que pour l'État.

Peut-il y avoir un repérage systématique des biens cessibles ? C'est ce que nous essayons de faire avec les directions d'administration centrale du ministère du logement. Ce n'est pas simple, parce qu'il n'y a pas de tradition, au niveau central, d'une gestion parcellaire très fine. Nous la réclamons. C'est aussi pour cela que, dans le projet de loi Égalité et citoyenneté, nous demandons qu'il y ait un volet foncier dans le programme local de l'habitat (PLH). Cela incitera les collectivités territoriales à se demander à quel niveau mettre en oeuvre, dans la commune ou dans l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), les objectifs du PLH. Cela rendra nécessaire un travail de repérage des propriétaires, ou de réflexion sur les types d'urbanisation qu'il faudra réaliser dans les années à venir. C'est aussi pour cela que nous demandons la création d'observatoires du foncier, qui puissent contraindre tous les intervenants à se mettre autour d'une même table. Il en existe aujourd'hui, par exemple, dans le département de la Haute-Savoie, qui permettent une identification à l'échelle de la parcelle des disponibilités foncières. Ceci est très pratique pour la conduite des politiques publiques, qu'il s'agisse de propriétés publiques ou privées. Je pense donc qu'il faut systématiser les identifications de foncier disponible, qu'il soit public ou privé.

Quelle sera la traduction, en termes de moyens juridiques, de la société foncière publique à créer ? Sera-t-elle une société de droit privé, comme la SOVAFIM, ou une société de droit public ? La feuille est blanche. Je note avec intérêt que la SOVAFIM, créée par le Parlement, dispose de moyens exorbitants du droit commun : elle peut acheter des terrains, propriétés de l'État, sans que les communes puissent utiliser leur droit de priorité, ce qui est très intéressant. J'imagine que si une société foncière publique était créée, elle aurait, a minima, cette prérogative-là. Nous n'avons évidemment pas, au moment où je vous parle, défini le contenu juridique, mais je peux vous indiquer que j'auditionnerai les parlementaires qui ont travaillé sur cette question, notamment vous, Monsieur Daniel Goldberg, qui pourront m'apporter quelques pistes. De façon très claire, tout outil qui se veut l'instrument efficace d'une politique foncière dans notre pays devra bénéficier de mécanismes dérogatoires en termes d'urbanisme, voire fiscal – aujourd'hui, par exemple, lorsqu'un terrain est vendu à un organisme HLM, celui qui le cède ne paye pas d'impôt sur la plus-value. La société foncière publique doit être intéressante pour celui qui cèdera du foncier, public ou privé. Dans le cas contraire, elle n'apportera pas d'avantages supplémentaires par rapport à la palette des outils qui existent déjà sur le territoire. Nous travaillons donc pour apporter quelque chose de plus à ce qui existe aujourd'hui, et non pour faire quelque chose de superfétatoire.

L'État a la volonté de répondre aux propositions qui ont été faites dans le rapport, notamment sur le repérage de foncier dans les communes carencées, la publication du calcul du coût économique de la décote ou la parution des listes des terrains vendus. Je pense qu'il est important que l'on puisse connaître l'effort de la Nation au bénéfice de la politique publique du logement. Le système instauré par la loi du 18 janvier 2013 rend cela relativement simple : à partir d'un prix affiché par France Domaine, l'on retranche tous les coûts liés au fait que ce terrain doit être rendu utilisable pour du logement social, en tenant compte du programme. Aujourd'hui, cependant, je suis parfois confronté à des négociations dans lesquelles on aboutit à un prix qui semble acceptable pour l'un et l'autre des intervenants, sans jamais parler du prix de départ. Mon souhait est que l'on n'oublie pas que l'on part souvent d'un prix bien plus élevé. Il est utile, notamment dans l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), de connaître les efforts faits par l'État ou ses établissements publics pour favoriser la construction de logements sociaux. En effet, au-delà de la seule subvention pour construire des logements sociaux, vendre un terrain moins cher constitue aussi un effort de la Nation en faveur de cette politique.

La parution de la liste des terrains vendus est aussi importante en termes de transparence, notamment vis-à-vis de la SNCF, Monsieur Hervé Pellois. Ce n'était pas dans la tradition de la SNCF ou de RFF de jouer à livre ouvert sur cette question. Étant moi-même élu local, je sais combien il est parfois difficile d'identifier dans le temps un interlocuteur restant en poste suffisamment longtemps dans ces grandes sociétés pour mener à terme une négociation foncière. Je le dis avec le recul qui sied à ma fonction aujourd'hui, mais je serais plus brutal si j'étais à votre place. Depuis un an et demi, nous avons un interlocuteur unique à la tête de la SNCF Immo – qui réunit la SNCF et RFF – qui est comptable auprès de sa direction des négociations, et qui, tous les mois, participe à une réunion que je préside à Matignon, où nous faisons le point sur chacun des dossiers dont je suis saisi ou sur lequel SNCF Immo me dit être en négociation. Il peut arriver que je ne sois pas informé d'une négociation en cours, mais, ainsi que je le répète à chaque fois que je vois des élus, le président de la CNAUF peut être saisi par un préfet de département sur une négociation qui tarde, ou pour laquelle les termes ont du mal à se conclure. Mme Audrey Linkenheld vous dirait que la négociation sur la gare de Saint-Sauveur, située en plein centre-ville de Lille, et dont nous allons signer cette année la cession, a débuté en 2004 ! Il a fallu, à un moment, qu'il y ait un arbitrage, quand les deux parties n'arrivaient pas à se mettre d'accord, et l'on connaît toutes les subtilités de ce grand opérateur sur la reconstitution des réseaux... Je ne dis pas que tout va bien, mais nous allons dans le bon sens. Il y a eu un changement à la tête de la SNCF Immo il y a quelques semaines. Le nouveau directeur, M. Benoit Quignon, était auparavant directeur des services d'une grande agglomération en France : il a l'approche des collectivités territoriales dans son « logiciel ».

Dans toutes ces négociations, il est essentiel que le préfet soit légitimé comme le négociateur sur le terrain, et qu'il ne soit pas le représentant d'un seul ministère : il doit être en charge de l'interministérialité, de la mise en oeuvre d'une politique publique. En effet, un ministère est parfois soucieux de son propre intérêt sectoriel. C'est pourquoi nous avons réaffirmé la prédominance des préfets dans les négociations, et je les accompagne dans leur travail au quotidien.

Vous avez également relevé, Monsieur Hervé Pellois, que les ventes se faisaient dans des régions assez concentrées. Cela provient d'un constat simple : c'est dans les zones tendues que la négociation est la plus difficile. Dans les zones « détendues », nous avons peu de difficultés à trouver un accord sur le programme ou sur le prix. Il n'y a parfois même pas d'acquéreur. Les difficultés résident essentiellement dans les zones tendues. Sur les 71 cessions signées en 2015, 95 % se sont faites sur les zones A et B, c'est-à-dire, respectivement, les grandes agglomérations et les agglomérations moyennes, parce qu'il y a une vraie tension sur le marché. La loi prend, dès lors, toute son importance dans les zones tendues. Par ailleurs, sur les 71 cessions, 26 sont issues du pôle SNCF Immo, ce qui montre qu'il s'agit d'un opérateur qui, aujourd'hui, pèse dans le bilan annuel. Dans la centaine de cessions que nous espérons faire d'ici le 31 décembre prochain, le rapport entre la SNCF et les autres propriétaires vendeurs devrait être à peu près du même niveau.

Au sujet de votre souci, Madame Sophie Rohfritsch, de faire en sorte que ces cessions se fassent dans la plus grande transparence et en bonne intelligence avec les collectivités territoriales, je veux redire ici que la fonction qui est la mienne ne me met en relation qu'avec des collectivités territoriales. Au titre de la loi du 18 janvier 2013, nous ne vendons qu'à des collectivités territoriales – communes ou EPCI – ou à un organisme choisi par la collectivité territoriale – société d'aménagement public, organisme de logement social – qui devient alors notre interlocuteur désigné. En tout état de cause, le débat sur le programme qui sera construit et sur son prix, se fait en lien direct avec la collectivité territoriale, et pas une vente ne se fait sans que la collectivité territoriale n'en soit informée. Mais il arrive qu'une collectivité locale manifeste son absence d'intérêt et s'abstienne de faire jouer son droit de priorité sur un terrain, alors que l'État estime que ce terrain est important pour construire des logements. Dans ce cas, il peut y avoir une vente directe de l'État à un organisme de logement social, avec lequel l'État contracte. Mais le maire reste toujours dans la boucle.

Il peut même arriver, bien que ce ne soit pas le cas le plus courant, que des maires préfèrent que l'acquisition soit effectuée directement par un organisme de logement social, sans que cela passe par une délibération en conseil municipal. Cela peut être plus facile à gérer vis-à-vis d'un conseil municipal ou d'une population. En tout état de cause, le maire, ou le président d'EPCI si l'acquisition est faite à l'échelle intercommunale, est toujours consulté.

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