Intervention de Christian Noyer

Réunion du 30 janvier 2013 à 11h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, président de l'Autorité de contrôle prudentiel :

Monsieur Caresche, s'agissant du bail in, le projet de loi ne propose d'attraire que les instruments hybrides, car le Gouvernement préfère attendre qu'il existe des règles européennes pour traiter des obligations « senior », les plus exposées, afin de ne pas avoir à modifier ultérieurement le dispositif pour le mettre en conformité avec les règles européennes. Ce choix est assez raisonnable.

L'idée avancée par le rapport Liikanen d'une rémunération variable des responsables en obligations admissibles mérite une réflexion collective. Les idées nouvelles gagnent toujours, pour avoir une stabilité financière, à être appliquées dans plusieurs pays. Cette question devrait donc être intégrée dans les discussions européennes, mais je n'y ai pas encore assez réfléchi pour vous livrer une position définitive à ce propos.

Madame Dalloz, pour ce qui est du besoin de liquidité, je rappelle que la France se trouve dans une position atypique, avec un ratio créditsdépôts très élevé – et inversement, un ratio dépôtscrédits très faible –, du fait de l'importance des flux drainés par les fonds gérés, comme les SICAV et SICAV monétaires, et, plus encore, par l'épargne réglementée et l'assurance-vie, ces deux dernières étant en outre assorties d'une fiscalité de plus en plus attirante par rapport à l'épargne classique.

Il convient de préciser que, si les banques françaises ont un problème de ratio de liquidité, elles n'ont pas de problème avec la liquidité elle-même, car leur bonne signature leur permet de se refinancer sur le marché, notamment auprès des compagnies d'assurance ou de la Caisse des dépôts. La situation n'en est pas moins fragile, de telle sorte que les banques ont pu craindre que les ratios internationaux ne les obligent à restreindre leur activité de crédit.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles nous avons besoin que les banques françaises restent actives dans la commercialisation et la tenue de marché des obligations d'entreprises car, avec les nouveaux ratios de Bâle en matière tant de solvabilité que de liquidité, les établissements vont inciter les grandes entreprises, voire les entreprises moyennes, à rechercher de plus en plus sur le marché une partie des financements à long terme dont elles ont besoin, selon le modèle anglo-saxon. Il est donc indispensable que les banques puissent accompagner ces entreprises sur les marchés, sous peine de les livrer elles aussi pieds et poings liés à quatre grandes maisons de Wall Street qui ne s'intéresseront qu'au CAC 40, et certainement pas aux entreprises de taille intermédiaire. Les dispositions du projet de loi en matière de tenue de marchés me semblent donc bonnes.

Savoir s'il faut attendre la transposition de la directive relève d'un choix français. Pour ce qui est de la résolution, nous avons besoin d'un texte le plus vite possible, quitte à devoir l'ajuster légèrement, notamment pour ajouter un volet consacré au « bail in », c'est-à-dire à l'implication des créanciers seniors.

Décider si la séparation doit être opérée dès maintenant, ou s'il est préférable d'attendre, est un choix politique, que je ne peux que respecter. Il convient cependant de veiller à ne pas mettre en péril le fonctionnement de l'économie. En mon âme et conscience, je suis persuadé que la définition prévue ne mettra pas l'économie en péril, même si elle provoque de légers effets marginaux.

Les échanges que j'ai eus avec la Bundesbank et avec des représentants du ministère des finances allemand, ainsi qu'avec le ministre lui-même, me confirment que la position allemande est très proche de la proposition formulée par le gouvernement français, ce qui explique que le projet européen évoqué ce matin même par le commissaire Michel Barnier en reprenne les grandes lignes. On constate donc une convergence franco-allemande sur la distinction cardinale entre ce qui est utile au financement de l'économie et ce qui ne l'est pas.

Monsieur de Courson, dès lors que la filiale serait considérée comme une entité tierce ne pouvant ni être refinancée – à moins que la banque ne traite ce refinancement comme un risque pris sur un tiers –, ni recevoir la garantie du groupe, les risques seraient cantonnés et comptabilisés dans les besoins en fonds propres exigés de la banque. Il ne semble pas que la filialisation pose de problèmes particuliers si la filiale fait l'objet d'un contrôle.

Je suis favorable à ce qu'il y ait un seul fonds de garantie et de résolution. Aujourd'hui, le fonds peut intervenir de façon préventive, c'est-à-dire en aidant à financer la résolution ordonnée une banque, comme il lui est déjà arrivé de le faire, par exemple pour le Crédit martiniquais. Il peut être moins coûteux de mener une action d'extinction en douceur que de laisser une banque déposer son bilan et de devoir rembourser les déposants. L'autre formule est cependant elle aussi concevable.

Quant au niveau à prévoir, le fonds doit être assez important, et le législateur pourrait se demander si, dès lors qu'est posé le principe du financement de la résolution par la profession, une partie de la taxe systémique initialement destinée à compenser le risque pris par l'État ne devrait pas l'abonder.

En ce qui concerne Groupama, il faut choisir entre l'éparpillement de petites structures autonomes les unes par rapport aux autres que l'on peut, au besoin, laisser tomber en faillite au prix d'éventuels transferts de portefeuille, et l'organisation en groupe. Dans ce cas, dans le domaine bancaire comme dans celui des assurances, s'agissant d'une structure mutualiste, le législateur doit donner au centre, qui est la filiale capitalistique des entités décentralisées, des pouvoirs particuliers qui, dans le droit capitaliste normal, découlent automatiquement du fait que le centre est l'actionnaire des entités décentralisées. Un organe central est donc une condition nécessaire, mais non suffisante, au bon fonctionnement du groupe. Le problème du Crédit immobilier de France – CIF – est lié à la gestion de la liquidité, dont les conditions ont totalement changé avec la crise, de telle sorte que ce modèle de fonctionnement n'est plus possible aujourd'hui.

Monsieur Launay, le ratio dépôtscrédits est très différent en France et en Allemagne. Les petites banques allemandes, qui ont plus de dépôts que de crédits, sont dans une situation plus confortable que les banques françaises, lesquelles, ayant un besoin structurel de financement, doivent aller chercher de la liquidité sur les marchés, mais celles-ci sont mieux armées pour le faire. Du reste, l'organisation allemande n'a pas empêché des banques de taille diverse, même si elles n'étaient pas systémiques, de connaître de sérieux déboires qui ont obligé l'État allemand à intervenir. Cela a été le cas pour plusieurs Landesbanken assez importantes. Les difficultés de Hypo Real Estate ont été un drame coûteux, bien plus grave, pour la seule Allemagne, que le problème causé par Dexia en France, en Belgique et au Luxembourg. Commerzbank elle-même a dû être recapitalisée durablement, alors qu'en France toutes les banques – sauf Dexia – ont remboursé depuis longtemps les sommes qui leur avaient été apportées au coeur de la crise.

Pour ce qui est du bilan de la Banque de France, je rappelle que cette dernière ne porte en propre que les opérations de liquidité d'urgence accordées aujourd'hui à Dexia et au CIF. Le refinancement des autres banques qui viennent à notre guichet figure bien à notre bilan, mais le risque encouru par nous correspond à 20 % des risques de l'Eurosystème. Ainsi, lors de la faillite de Lehman Brothers, la filiale française ne nous a rien coûté, car les opérations que nous avions avec elle ont pu être couvertes. En revanche, en tant que membre de l'Eurosystème, nous avons dû provisionner 20 % du risque Lehman Brothers Allemagne, dont une grande partie a heureusement été recouvrée depuis lors grâce aux actifs récupérés.

Bien entendu, en contrepartie de nos financements, nous prenons des actifs en garantie, dont nous calculons la valeur avec les abattements appropriés, selon la méthodologie en vigueur au sein de l'Eurosystème. La Banque de France joue un rôle particulier à cet égard. Je considère que nous sommes aujourd'hui bien couverts contre les risques de défaut qui pourraient se présenter.

Les pouvoirs que le projet propose de donner à l'ACPR, plus stricts en matière de séparation des activités afin de pouvoir réduire les risques de crise, me rassurent. En elle-même, la séparation des opérations de marché et de détail ne réduit en rien les risques de crise. Il faudrait plutôt sortir les activités spéculatives, que ce soit pour les interdire ou les cantonner – ce qui permettrait au moins d'éviter, sans faire courir de risque au groupe, de supprimer prématurément des opérations qui pourraient se révéler utiles. Si la séparation évitait le risque de crise, la faillite de Lehman Brothers, pure banque d'investissement, n'aurait eu aucune conséquence pour la finance mondiale, pas plus que les difficultés de Northern Rock en Angleterre, pure banque de détail qui possédait un gros volume de dépôts et ne faisait que du crédit. Celle-ci faisait certes appel au marché, mais, si vous en interdisez l'accès aux banques, préparez-vous à l'idée que le crédit se réduira immédiatement de 20 % ou 25 % en France, car l'activité de crédit y est financée à cette hauteur par le marché. Pour Dexia et le CIF, la séparation entre les opérations de marché et de crédit n'aurait aucune conséquence. Seule la séparation des activités spéculatives contribue à réduire le risque.

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