Intervention de Christophe Robert

Réunion du 1er juin 2016 à 10h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté

Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre :

La Fondation Abbé Pierre fonctionne grâce à la générosité publique ; son objet premier est l'aide aux mal-logés qui constitue l'essentiel de son activité à l'échelle nationale comme à celle des territoires. Elle développe sa connaissance des phénomènes de mal-logement, afin d'être à la fois force d'interpellation et de proposition. Les rapports annuels que nous publions couvrent les échelons national et régional afin de mieux qualifier les phénomènes du mal-logement dans notre pays.

La partie du projet de loi consacrée au logement se présente dans un contexte de crise très tendue : si l'on ajoute aux 3,8 millions de mal-logés ceux qui éprouvent des difficultés de logement, qui peinent à assumer un taux d'effort trop élevé, à être mobiles dans leur parcours résidentiel ou qui connaissent des fragilités pénalisant leur quotidien, ce sont 12 millions de personnes qui souffrent du logement. Cela fait beaucoup ! Les principales sources d'inquiétude sont le manque de logements et la cherté des coûts qui s'y rattachent, tant dans le domaine de l'accession à la propriété que du logement locatif.

S'ajoutent à cela la ségrégation territoriale et la spécialisation spatiale qui font qu'une partie de la population ne peut pas choisir son lieu de résidence à proximité de son lieu de travail. C'est une difficulté que l'on rencontre surtout en France, qui est liée aux pratiques urbanistiques dans notre pays : l'implantation du logement le moins cher en périphérie a pour effet de concentrer les populations exclues du marché du logement dans certains quartiers ou, pour l'Île-de-France, dans certains départements. En zone urbaine sensible, un enfant sur deux est pauvre, les taux de chômage peuvent atteindre 40 %. Il s'agit donc d'un enjeu majeur pour la cohésion sociale et l'équilibre d'ensemble de la nation.

Ce projet de loi post-attentats, parti d'une bonne intention, a su évoluer de façon satisfaisante. Au moment de sa présentation, le Premier ministre avait considéré qu'il fallait interdire de reloger les ménages modestes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). La proposition pouvait sembler séduisante, sauf qu'elle risquait de conduire à allonger la file d'attente des mal-logés en fermant le parc le plus accessible aux catégories modestes, donc d'opposer mixité sociale et droit au logement.

Le recadrage opéré, en visant plutôt la capacité à accueillir des populations modestes dans des territoires autres que populaires, va dans le bon sens. De même, les évolutions de la gouvernance territoriale en matière d'attribution des logements sociaux, telle la récupération du contingent communal par le préfet lorsqu'il y a carence dans l'application de la loi SRU, seront utiles pour mettre un terme aux dérives observées. Faire évoluer les loyers afin de mieux prendre en compte les besoins des ménages défavorisés constitue aussi une action positive, et renforcer la loi SRU, seize ans après son entrée en vigueur au mois de décembre 2000, constituait une impérieuse nécessité.

Si nous soutenons dans l'esprit l'objectif, parfois critiqué, de produire des logements plus adaptés aux catégories modestes hors des quartiers populaires, nous considérons que le texte procède plutôt d'améliorations techniques des dispositifs existants. Son ambition est relativement limitée : il n'agit que sur les flux et ne se préoccupe pas assez de la situation des quartiers populaires au regard de l'école, des transports ou de la santé pour en faire des lieux de promotion sociale.

Quand bien même il ne s'agit que d'un projet de loi, le texte reste muet sur les moyens à déployer pour atteindre les objectifs. Il permet ainsi de faire évoluer les loyers au sein du grand ensemble que constitue le logement social, tout en le laissant se débrouiller pour maintenir l'équilibre : une baisse dans les quartiers où ils sont trop élevés sera contrebalancée par une hausse ailleurs. Cela est bien beau, mais les bailleurs sociaux se demandent où et comment augmenter ces loyers. Il faudra aussi simultanément penser l'injection de moyens pour faire baisser les loyers concernés – outre le rachat de logements de type PLS à transformer en logements de type PLAI, bien d'autres formes de mise à niveau des loyers pourraient être proposées pour lutter contre les phénomènes de spécialisation spatiale. Dans la mesure où l'on fonctionne avec des outils et des moyens constants, les ambitions demeurent nécessairement limitées.

Pour entrer dans le détail, le texte encourage la cotation pour l'attribution des logements. C'est une très bonne chose, mais pourquoi ne pas imposer une obligation assortie d'un délai de cinq ans, par exemple ?

Pourquoi rester au milieu du gué et ne pas rendre obligatoires les conférences intercommunales du logement ? Sans presser les choses à l'excès, car il convient de rester pragmatique, pourquoi attendre pour privilégier une logique d'intervention dans le domaine de l'habitat à l'échelon des intercommunalités et des métropoles ?

Jusqu'à un passé récent, Action Logement devait consacrer 25 % de ses attributions au relogement des ménages relevant du droit au logement opposable (DALO). La négociation récente avec le Gouvernement a revu cet objectif à la baisse ; nous souhaitons qu'il soit rétabli à son niveau initial.

La loi SRU fait l'objet de nombreux ajustements positifs, mais la catégorisation des logements produits pour les communes n'ayant pas encore atteint leurs objectifs nous pose problème. Il faut davantage limiter le nombre de logements de type PLS, par exemple en n'en autorisant pas plus que le taux constaté de logement social dans la commune concernée. En cas de carence, nous penchons pour pas de PLS du tout. Ce type de logements ne peut pas constituer une réponse aux demandeurs de logements sociaux, encore moins à ceux des plus modestes. Les ménages visés par le PLS représentent 5 % de la liste de 1,8 million de demandeurs. Tant mieux pour ceux qui ont pu recourir au PLS pour appliquer la loi, mais ce ne peut être qu'une troisième lame du rasoir.

Je partage pleinement l'analyse de l'ANIL : on ne s'en sortira pas en recourant uniquement au logement locatif social ; il faut donc mobiliser beaucoup plus le parc privé à des fins sociales. À titre d'encouragement, dans le cadre de l'intermédiation locative, le mandat de gestion pourrait être comptabilisé dans la réduction des pénalités ; le conventionnement ANAH social et très social pourrait être intégré dans la déduction des prélèvements. On pourrait aussi appliquer la substitution du préfet prévue par la loi ALUR au parc privé en location et sous location, mais aussi au mandat de gestion, qui constitue une offre de logement durable. On pourrait peut-être même aller plus loin en prévoyant que les plans départementaux d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées fixent aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) des objectifs de mobilisation du parc privé, qu'ils auraient à répartir en fonction du taux de logement social constaté.

Une des difficultés d'application de la loi SRU est que les préfets, parce qu'ils entretiennent des relations étroites avec les maires, ont du mal à établir des constats de carence et à imposer des taux de majoration allant jusqu'à cinq. Pourquoi ne pas confier la substitution et l'établissement des contrats de carence aux préfets de région ? Cela mettrait un peu plus de distance vis-à-vis de certains mauvais élèves qu'il faut impérativement faire rentrer dans le rang.

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