Intervention de Christophe Sirugue

Réunion du 8 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Sirugue :

Les travaux que j'ai conduits conformément à la lettre de mission du Premier ministre s'inscrivent dans la volonté du Gouvernement de lutter contre la pauvreté et l'exclusion, volonté qui s'est traduite par la mise en place d'un plan pluriannuel. Ce plan de lutte contre la pauvreté a déjà connu plusieurs phases. La première a consisté à augmenter le montant du revenu de solidarité active (RSA) sur plusieurs années, la seconde à remplacer le RSA « activité » et la prime pour l'emploi (PPE) par la prime d'activité.

Dans les conclusions du suivi annuel du plan de lutte contre la pauvreté, les partenaires de ce plan avaient souhaité qu'une réflexion sur l'ensemble des minima sociaux soit menée, puisqu'ils participent en grande partie au système de solidarité existant aujourd'hui dans notre pays. L'idée de fusionner le RSA et l'allocation de solidarité spécifique (ASS) a cours depuis longtemps ; elle avait d'ailleurs été évoquée lors des précédentes mandatures. Il nous est très vite apparu que la simple fusion entre ces deux prestations posait des difficultés et, surtout, qu'elle empêchait d'analyser tous les autres minima sociaux qui participent de notre système de solidarité.

Aujourd'hui, dix minima sociaux existent dans notre pays, qui concernent 4 millions de personnes.

Tout d'abord, le RSA, qui a remplacé en 2008 le revenu minimum d'insertion (RMI) créé en 1988, concerne 2,35 millions de personnes, pour un montant mensuel moyen de 524,68 euros et un budget total de 10,5 milliards d'euros.

L'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui a succédé au minimum vieillesse créé en 1956, concerne 557 800 bénéficiaires. Son montant s'élève à 801 euros par mois, pour un budget de 2,37 milliards d'euros.

L'allocation de solidarité spécifique (ASS), autrefois appelée allocation de fin de droits, a été créée en 1975. Elle concerne 475 472 personnes, son montant mensuel est de 487,50 euros pour un budget de 2,57 milliards d'euros.

La prime transitoire de solidarité (PTS) a été créée en 2015. Elle s'éteindra rapidement, puisque sa vocation est d'accompagner les personnes qui n'ont pas atteint l'âge légal de départ en retraite, mais qui ont cotisé le nombre de trimestres suffisant. Elle concerne 28 000 personnes, son montant mensuel est de 300 euros et elle peut venir en complément du RSA et de l'ASS. Son budget est de 100,1 millions d'euros.

L'allocation temporaire d'activité (ATA) bénéficie aux personnes en attente de réinsertion, notamment aux détenus sortis de prison. Créée en 2006, elle concerne 10 246 personnes pour un montant mensuel de 343,50 euros, et représente un budget de 41,9 millions d'euros.

L'allocation veuvage, créée en 1980, concerne 7 500 personnes. Son montant mensuel s'élève à 602,73 euros et son budget est de 62 millions d'euros.

Le revenu de solidarité outre-mer (RSO) a été créé en 2000. Il est perçu par 9 842 personnes, sont montant est de 511,71 euros par mois et son budget est de 65 millions d'euros.

L'allocation pour les demandeurs d'asile (ADA) a été créée en 2015. Elle concerne 85 299 personnes, son montant est de 204 euros par mois, et le budget qui lui est consacré est de 20 millions d'euros.

Les deux dernières allocations ont trait au handicap. L'allocation aux adultes handicapés (AAH), créée en 1975, concerne 1,2 million de personnes, pour un montant mensuel de 808,46 euros et un budget annuel de 8,2 milliards d'euros. Quant à l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), crée en 1957, elle concerne 81 100 personnes, pour un montant mensuel de 404,17 euros et un budget annuel de 239 millions d'euros.

Cette énumération permet de constater la juxtaposition de ces dispositifs, que l'État a créés pour répondre à des situations spécifiques, et qui fonctionnent selon un principe de statut : c'est le fait d'avoir un statut donné qui ouvre droit à telle ou telle prestation.

Le développement de ces outils ne s'est pas fait de manière cohérente, puisqu'ils ont été instaurés au fil du temps. Ils sont donc facteurs d'inéquités extrêmement importantes, tenant aux ressources de référence, à la nature forfaitaire ou différentielle des allocations, aux critères d'âge retenus, aux exonérations fiscales éventuelles et, surtout, aux droits connexes attachés à certains d'entre eux, parfois à l'initiative des collectivités locales.

Nous avons également constaté qu'il existait des difficultés d'accès à ces prestations, parfois en raison de la complexité des dispositifs, mais aussi du fait de la connotation attachée à certains d'entre eux. Personne ne vous reprochera jamais de toucher l'AAH ou l'ASPA, mais on entend parfois dans le débat public des remarques plus critiques à l'égard des bénéficiaires d'autres dispositifs – je pense notamment au RSA. Or tous ces dispositifs ont la même vocation de solidarité.

La commande du Gouvernement avait trois objectifs et était assortie de deux recommandations. Le premier objectif était d'améliorer le recours aux droits. Le deuxième était de simplification, afin que les allocataires comme les travailleurs sociaux puissent comprendre ces dispositifs et leur mécanique. Le troisième objectif était de rétablir une forme d'équité, puisque de nombreuses injustices existent.

Quant aux recommandations, la première était d'évaluer l'impact des mesures proposées sur les opérateurs. Je rappelle que, lorsque nous avons mis en place la prime d'activité, nous l'avons confiée aux caisses d'allocations familiales (CAF). Réfléchir à la manière de mettre ces dispositifs en place dans un délai donné sans perturber le fonctionnement des opérateurs est extrêmement important. La deuxième recommandation était de procéder à l'évaluation financière des dispositifs proposés.

Le groupe de travail que j'ai animé était composé de représentants du monde associatif, des partenaires sociaux, des opérateurs, des administrations concernées et des collectivités territoriales. Il a conclu que trois pistes pouvaient être explorées.

La première piste ne remet pas en cause les statuts sur lesquels ont été fondés les minima sociaux et maintient les dix prestations existantes, mais elle tend à faire évoluer les paramètres.

La deuxième piste, qui était suggérée par la Cour des comptes, consiste à regrouper les minima sociaux par pôles.

Enfin, la troisième piste explorée par le groupe de travail conduit à abandonner la logique de statut pour créer un dispositif de droit commun, ce qui impose de réviser l'ensemble du système.

Pour comprendre les enjeux du premier scénario, dit « paramétrique », il faut garder à l'esprit la disparité des critères d'attribution des différentes prestations.

Tout d'abord, les « bases ressources » ne sont pas les mêmes : parfois on retient les ressources de l'année « n – 2 », parfois celles des trois mois précédents, parfois celles du mois précédent. Selon la prestation que vous percevez, la base ressources retenue est donc extrêmement fluctuante.

Autre paramètre : l'âge. On comprend aisément que le minimum vieillesse soit attribué sous condition d'âge, mais d'autres sont ouverts à 25 ou 18 ans sans que l'on puisse justifier cette différence autrement que par une appréciation politique ou morale.

La prise en compte de la situation familiale varie aussi selon les différents cas. Certains minima sociaux ne prennent pas en compte la présence de personnes vivant avec vous, d'autres sont réduits si vous vivez en couple ou que plusieurs personnes composent le ménage.

Si l'on souhaite faciliter le recours aux droits, simplifier le système et le rendre plus juste sans supprimer aucun de ces dix minima sociaux, il faut jouer sur ces paramètres.

Nous avons tout d'abord préconisé de renforcer l'« effet figé » des prestations, à l'instar de ce que nous avons déjà fait pour la prime d'activité. Sur une période donnée – le trimestre –, les allocations versées doivent être définitives. Peu importe qu'il y ait des trop-perçus au cours de ces trois mois : si nous voulons que les personnes qui bénéficient de ces dispositifs, qui ont, par définition, des ressources extrêmement précaires, aient une vision claire de ce qu'elles vont percevoir, il ne faut pas que l'on puisse leur demander de reverser des sommes le trimestre suivant. L'effet figé est un élément essentiel, impératif, de notre approche.

Nous estimons également que la période de référence doit être la même pour tout le monde. Dès lors que nous préconisons un effet figé sur trois mois, cette période de référence doit être le trimestre précédent. Nous préconisons donc d'abandonner la référence à l'année « n – 2 », qui pose de vrais problèmes aux personnes en situation précaire.

Nous avons aussi travaillé sur la simplification, notamment en matière de handicap. La secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion en a d'ailleurs parlé la semaine dernière, lors des questions au Gouvernement. Nous proposons ainsi que les personnes souffrant d'un handicap de naissance, ou irréversible, ne soient pas obligées de revenir devant une commission tous les cinq ou dix ans, alors qu'aucune évolution favorable n'est à attendre. Cette complication administrative est en effet une source d'angoisse pour les personnes qui y sont soumises.

De telles mesures répondent à l'objectif de simplification et en partie à celui d'équité, mais elles n'améliorent pas, à elles seules, le recours aux droits. Si les simulateurs en ligne, qui permettent à chacun de savoir s'il a droit à telle ou telle allocation, doivent être développés, il ne faut pas oublier qu'une partie de la population n'a pas accès à internet. Les simulateurs en ligne ne sauraient donc se substituer totalement à la relation humaine que les CAF assurent excellemment aujourd'hui, notamment en prévoyant des modalités d'accueil délocalisées lorsque des coopérations s'établissent avec les collectivités locales.

Le deuxième scénario que j'ai mentionné consiste à créer cinq pôles en remplacement des dix minima sociaux actuellement existants. Dans ce deuxième scénario, les simplifications proposées dans le premier scénario peuvent également trouver à s'appliquer.

Le pôle « vieillesse » est assez simple à définir. On y trouverait l'ASPA, ancien minimum vieillesse, qui fonctionne aujourd'hui de manière satisfaisante.

Un deuxième pôle rassemblerait les prestations qui concernent le handicap, c'est-à-dire l'AAH et l'ASI. Ce rapprochement prendrait un peu de temps, car il est préalablement nécessaire d'harmoniser ces deux prestations, qui ne sont pas définies dans les mêmes conditions : l'une requiert l'avis d'un médecin, l'autre celui d'une équipe pluridisciplinaire ; certains aspects relèvent de la Sécurité sociale, d'autres des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). C'est donc une piste intéressante, mais qui n'est pas simple à suivre.

L'ADA constituerait à elle seule un troisième pôle.

Il existe une demande assez forte, déjà émise lorsque Martin Hirsch était haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, pour fusionner le RSA et l'ASS. Notre rapport souligne le risque extrêmement grave que cette mesure ferait courir aux bénéficiaires de ces dispositifs. Le nombre de perdants serait en effet considérable, notamment parmi les bénéficiaires de l'ASS. Qui plus est, cette prestation correspond à des droits acquis par ses bénéficiaires au cours de leur parcours professionnel et emporte validation de trimestres de retraite, ce qui n'est pas le cas du RSA ni des autres minima sociaux, non contributifs.

Je plaide pour une réforme de l'ASS qui ne fusionnerait ni ne supprimerait celle-ci, mais ferait d'elle le quatrième pôle. Il existe toutefois de nombreuses difficultés : un nombre non négligeable de personnes perçoit l'ASS depuis plus de dix ans, et nous n'osons pas dire qu'il s'agit en fait d'un outil permettant d'atteindre l'âge de la retraite. Je plaide pour que la durée de l'ASS soit limitée à deux ans, mais que les moyens du service public de l'emploi pour accompagner les bénéficiaires de cette allocation soient puissamment renforcés. Une telle mesure soulève cependant des questions : l'ASS est un droit que ses bénéficiaires ont acquis au cours de leur parcours professionnel.

Le cinquième et dernier pôle serait constitué d'un RSA renforcé, puisque tous les autres minima sociaux que je n'ai pas mentionnés en décrivant les quatre premiers pôles y seraient intégrés : ils participent en effet des mêmes logiques et le nombre de leurs bénéficiaires n'est pas considérable.

Nous aurions ainsi cinq pôles, qui ne seraient toutefois pas découpés exactement comme le préconise la Cour des comptes.

C'est toutefois le troisième scénario, dit « systémique », qui a ma préférence. Je plaide pour que nous traitions la question des bénéficiaires des minima sociaux non plus en se fondant sur leur statut, mais par un dispositif de droit commun.

L'évolution de notre société est telle que personne, aujourd'hui, n'est assuré qu'il ne sera pas confronté à un accident de la vie, même s'il a une bonne situation à un instant donné. Ces accidents peuvent être de nature professionnelle, comme la perte d'un emploi ; familiale, comme un divorce aux incidences potentiellement très lourdes sur le niveau de vie de personnes dont le conjoint avait des ressources importantes ; ou encore liés à des phénomènes personnels – burn-out ou autres. Nous ne pouvons ignorer ces ruptures, et c'est pourquoi je plaide pour que nous cessions d'aborder la question sous l'angle du statut des personnes. Une société moderne doit prévoir un outil et un système de solidarité de droit commun pour tous.

Je propose donc un socle universel, accessible dès 18 ans, d'un montant de 400 euros mensuels, et que deux « compléments de parcours » viendraient abonder. Le premier bénéficierait aux personnes qui ne peuvent pas travailler – je pense aux personnes âgées et aux handicapés inaptes au travail. Ce complément, dit « de soutien » serait d'un montant légèrement supérieur à 400 euros, ce qui porterait le total au niveau de l'AAH ou de l'ASPA, de sorte que les bénéficiaires de ces deux allocations ne subiraient pas de pertes. Le second complément, dit « d'insertion », serait d'un montant de 100 euros, ce qui ferait passer le montant total de l'allocation à 500 euros par mois, soit plus que le montant actuel du RSA, aujourd'hui ramené dans les faits à 470 euros par la déduction du forfait logement.

Je plaide par ailleurs pour que les systèmes ne soient pas familialisés, mais individualisés. Actuellement, un couple dont les deux membres sont au RSA ne touche pas deux fois le montant de celui-ci, mais un forfait. Dans le dispositif que je suggère, c'est la personne qui est prise en compte, et il n'y a donc pas de raison de réduire les montants.

J'ai aussi souhaité que soit soulevée, dans le cadre de ce dispositif, la question des 18-25 ans, et qu'elle le soit en faisant abstraction des aspects idéologiques. Depuis la mise en place du RMI, en 1988, ce débat est en effet récurrent. Au nom d'une logique selon laquelle on ne peut pas faire démarrer les jeunes dans la vie active avec un minimum social, le bénéfice du RMI ne leur a pas été ouvert à l'époque. Lors de la mise en place du RSA, j'étais déjà député et porte-parole de mon groupe sur ce sujet. Nous avions débattu de l'opportunité d'un RSA pour les jeunes, et il avait été tranché par l'arbitrage le plus indécent qui soit : il a été décidé qu'il fallait aider les jeunes, mais selon des critères si restrictifs que seuls 8 000 d'entre eux bénéficient du RSA-jeunes. Ces critères ont été choisis à dessein, les débats de l'époque en témoignent.

La logique qui prévaut aujourd'hui suppose que le jeune doit se débrouiller tout seul ou bénéficier de la solidarité familiale, mais cette solidarité familiale est devenue beaucoup plus problématique qu'elle ne l'a jamais été. Elle est déjà sollicitée par les ascendants, touchés par la dépendance, et par les enfants lorsqu'ils sont en situation de précarité et qu'ils n'ont pas de ressources. Je rappelle en effet qu'avant l'âge de 25 ans aucune prestation n'est offerte hors des processus d'insertion, et que ces places ne sont pas ouvertes à tous. Nous devons donc nous interroger sérieusement sur l'éventualité d'ouvrir ces dispositifs aux 18-25 ans.

Certains affirment que cela ne les inciterait pas à entrer dans la vie active. Si c'était vrai, si le RSA incitait vraiment les jeunes à ne pas travailler, on le constaterait au moment où ils atteignent 25 ans. Or toutes les études – elles sont adjointes à mon rapport – montrent qu'il n'en est rien. Aucune rupture n'apparaît à l'âge de 25 ans. Il faut être conscient de ce que signifie vivre avec 500 euros par mois : je ne pense pas que ce soit un modèle ni une ambition pour qui que ce soit.

Je plaide donc pour que nous considérions qu'attribuer ces minima sociaux à la tranche d'âge des 18-25 ans est un investissement. Si ces jeunes sont accompagnés – je reviendrai sur la question des politiques d'insertion –, ils seront dans de meilleures conditions pour entrer dans la vie active. C'est l'ambition que nous devons avoir.

Je n'ai pas souhaité limiter mon rapport aux trois scénarios que je viens de vous exposer, et mon propos n'est pas non plus de banaliser les minima sociaux. Hormis en ce qui concerne l'ASPA et l'AAH, notre objectif doit être de faire sortir les gens de ces dispositifs. Et, pour ce faire, nous devons nous interroger sur l'efficacité des politiques d'insertion dans notre pays.

Mon rapport est très clair sur ce point : les politiques d'insertion sont aujourd'hui sinistrées. On peut en comprendre la raison : elles sont essentiellement menées par les conseils départementaux, qui sont confrontés à des difficultés financières réelles. Mais je ne suis pas sûr que cet aspect suffise à expliquer l'effondrement des politiques d'insertion. J'ai été président de conseil général, j'ai présidé la commission « insertion » de l'Assemblée des départements de France (ADF) de 2004 à 2008, au moment du transfert du RMI aux départements, et je le dis clairement : il n'y a plus d'innovation sociale dans les politiques d'insertion. Dans le meilleur des cas, les départements soutiennent ce qui existe, mais les subventions attribuées diminuent de manière substantielle. L'innovation sociale est aujourd'hui en panne : il n'y a ni ingénierie, ni dimension collective.

Deux chiffres intéressants illustrent mon propos. Avant que la loi ne supprime cette obligation, 20 %, puis 17 %, des ressources totales consacrées par les départements aux politiques d'insertion – allocations et outils d'insertion – devaient l'être au financement d'outils et d'acteurs d'insertion. Contre l'avis de beaucoup, Martin Hirsch a proposé de supprimer cette référence, si bien que la proportion est tombée à 8 %. Il ne faut donc pas s'étonner que nous ayons aussi peu de moyens. Les ressources sont certes limitées, mais le choix a été fait de réduire de manière drastique les moyens consacrés aux politiques d'insertion. On dit aux gens qu'ils doivent s'insérer, mais les crédits d'insertion se sont effondrés, les chiffres le prouvent de manière très précise.

Je plaide pour que, à l'issue du dialogue entre l'ADF, que j'ai auditionnée, et le Gouvernement, le RSA soit recentralisé, sans quoi nous allons voir se multiplier des dispositifs absurdes, à l'image de celui suggéré par le Haut-Rhin, où l'on souhaite obliger les bénéficiaires du RSA à participer à des actions de bénévolat dont on sait très bien qu'on ne pourra pas les mettre en place, ou de ce que j'ai pu voir dans les Alpes-Maritimes, ou encore de ces propositions tendant à vérifier les comptes bancaires des allocataires – toutes initiatives particulièrement accusatoires ou discriminantes, alors que ce dont nous avons besoin, c'est d'accompagnement.

Il est vrai que la charge financière est lourde pour les départements, et nous devons en tenir compte. C'est pourquoi je plaide pour une recentralisation non à 100 %, mais à 80 %, laissant aux départements le financement du complément d'insertion. Ainsi, un dialogue incitatif pourra exister entre les départements et l'État sur ces politiques.

Au sein de l'ADF, trois positions se font jour. Certains disent qu'il ne faut surtout pas recentraliser, car cela affaiblirait les départements et donnerait à penser qu'ils sont voués à disparaître. D'autres disent qu'il ne faut surtout rien reprendre aux départements, car ils veulent gérer eux-mêmes les politiques d'insertion en imposant leurs options. Certains, enfin, pensent qu'il faut en effet trouver une voie intermédiaire et avancer sur ces questions.

S'agissant des politiques d'insertion, je ne voudrais toutefois pas limiter mon propos aux conseils départementaux. Il faut également parler du service public de l'emploi, dont le pilotage au niveau territorial est actuellement défaillant. Ce n'est pas forcément un problème de moyens : si l'on fait la somme, sur un territoire donné, des moyens dont disposent les maisons de l'emploi, Pôle emploi, les missions locales, Cap emploi et tous les dispositifs locaux, il apparaît que le problème est surtout celui du pilotage. Pendant longtemps, celui-ci a été mené par les sous-préfets. Or, à la suite de la révision générale des politiques publiques (RGPP), les ressources à la disposition des services de l'État ont été fortement réduites : soit il y a un sous-préfet motivé, et les choses avancent ; soit la motivation est moindre, et les avancées sont plus timides.

La question se pose donc de savoir si l'État doit encore être pilote du service public de l'emploi au niveau territorial ou si ce sont les collectivités qui doivent s'en charger – mais lesquelles ? Ce pourrait être les régions, auxquelles nous avons déjà transféré les compétences économiques, mais les départements font valoir qu'il s'agit d'insertion et qu'il ne saurait en être dessaisis. Le législateur ne fera pas l'économie d'une réflexion et d'une décision en la matière, car on ne peut pas traiter la question de l'insertion sans la relier à celle de l'emploi et des formations.

Je conclurai en évoquant les incidences financières de mes propositions. Les deux premiers scénarios ont un impact financier limité. Le troisième scénario, dès lors que l'on étendrait le bénéfice des prestations aux 18-25 ans et que l'on revaloriserait les minima sociaux, aurait un coût que j'ai estimé aux alentours de 3,5 milliards d'euros. Il faut cependant rapporter cette somme à l'ensemble de l'enveloppe, qui est aujourd'hui de 25 milliards d'euros. L'effort demandé est donc d'à peu près 13 %. Je considère, pour ma part, qu'il s'agit d'un investissement et qu'il faut cesser d'avoir une vision misérabiliste des minima sociaux, au profit d'une double ambition de protection à l'égard de ceux qui ne peuvent pas travailler – les handicapés et les personnes âgées – et de solidarité dynamique à l'égard de ceux qui sont aujourd'hui en situation d'exclusion. Ces 3,5 milliards d'euros, par ailleurs, ne représenteraient pas une perte sèche, car verser une allocation aux 18-25 ans aura une incidence sur les ressources des parents lorsqu'ils sont encore rattachés à leur foyer fiscal. Et quand bien même le coût net pour les finances publiques s'établirait à 3,5 milliards d'euros, je pense que cette dépense peut être assumée.

Le calendrier dépend maintenant du Gouvernement. Le Premier ministre a exprimé le souhait de s'engager vers le troisième scénario et de le réaliser dans un délai de deux ans, tout en mettant en place dès le 1er janvier 2017 des éléments de simplification inspirés du premier scénario.

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