Intervention de Christophe Sirugue

Réunion du 8 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Sirugue :

Je remercie l'ensemble de mes collègues pour leurs remarques positives sur mon rapport. Je rappelle que j'ai été accompagné dans ce travail : il est essentiel de ne jamais se couper des acteurs qui oeuvrent sur le terrain.

Madame Carrillon-Couvreur, le troisième scénario, qui prévoit un socle et un complément de parcours, et qui maintient donc l'AAH à son niveau actuel, ne remet pas en cause les deux autres prestations que sont le complément de ressources et la majoration pour vie autonome – qui n'entrent pas dans la catégorie des minima sociaux.

La gestion des indus peut être améliorée grâce à la mise en place de l'effet figé sur trois mois, qui apporterait aux allocataires une plus grande stabilité en rendant leurs revenus plus prévisibles. Le calcul mois par mois ne me semble pas adapté, car il supposerait une information immédiate sur la situation des personnes, ce que nous ne sommes pas en mesure d'obtenir pour l'instant, et comporterait un risque d'aléas d'un mois à l'autre, alors qu'une grande partie des personnes dont nous parlons aujourd'hui vit dans des conditions très précaires.

Je confirme par ailleurs que, dès lors que le socle commun sera mis en place dans le cadre du troisième scénario, aucune rupture de droits ne sera possible.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les délais de mise en oeuvre. Comme il me l'a indiqué, le Gouvernement a demandé aux administrations d'intégrer le maximum de propositions de simplification dès le 1er janvier 2017, ce qui signifie qu'un certain nombre d'éléments seront débattus dans le cadre du projet de loi financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2017. Pour ce qui est de l'orientation vers le troisième scénario, j'ai toujours dit qu'il nous faudrait encore une bonne année de travail : entre l'année de réflexion et l'année de mise en place de ce scénario, le délai sera de deux ans.

Madame Le Callennec, les minima sociaux n'ont pas le même objectif que les prestations versées au titre de la politique familiale, qui a ses priorités et ses objectifs propres. Ne mélangeons pas les deux. Certains dispositifs ont vocation à être individualisés, et les faire dépendre de la politique familiale aboutit à créer difficultés extrêmement lourdes.

S'agissant des jeunes de 18 à 25 ans, on nous explique depuis quarante ans qu'il ne faut surtout pas leur proposer un dispositif spécifique, sinon, ils deviendront des assistés. Mais c'est ignorer la réalité des difficultés de ces jeunes aujourd'hui ! La situation des personnes âgées s'est améliorée depuis plusieurs années, ce dont nous nous réjouissons, car nous avons beaucoup travaillé à réduire leur pauvreté. Par contre, les chiffres montrent que la situation des jeunes s'est considérablement dégradée ! Ce serait une erreur de continuer à fermer les yeux sur la situation des jeunes, en se disant « ils vont bien vivre de quelque chose » – sans vouloir offenser personne, ce serait même hypocrite. Le RSA pour les jeunes, ou une prestation pour les jeunes, fait toujours l'objet d'un débat d'opposition idéologique, ce que je regrette profondément, car pendant ce temps, la précarité des jeunes s'aggrave et aucun accompagnement spécifique ne leur est apporté.

M. Richard a rappelé que le système était à bout de souffle ; je le pense aussi.

Les expérimentations sont intéressantes, à condition d'être menées jusqu'au bout et d'en tirer les enseignements. Or elles sont généralement écourtées, ce qui complique leur évaluation, comme on l'a vu pour le RSA.

Certes, le montant de l'allocation ne doit pas décourager l'activité, mais il doit aussi permettre de protéger les personnes. Prétendre qu'un minimum social de 500 euros découragera les gens à chercher du travail me semble tout à fait caricatural.

Mme Bulteau a évoqué l'insertion. Dans mon rapport, je parle de « droit opposable à l'accompagnement », d'un « devoir de respect du projet d'insertion ». Monsieur Vannson, en 2004, les départements se battaient pour afficher le meilleur taux de contractualisation ; or, aujourd'hui, ce taux est tombé à 25 %. Autrement dit, 75 % des allocataires n'ont pas de contrat ! On nous explique que les allocataires ont des droits, mais aussi des devoirs, mais leurs droits ne sont même pas respectés actuellement. Je ne crois pas à l'approche en termes de droits et de devoirs, je crois à un contrat respectueux des uns et des autres.

M. Perrut a déclaré que l'assistanat était un piège. Le piège, c'est l'enlisement, c'est le maintien des personnes dans les minima sociaux à cause de l'absence de politique d'insertion ambitieuse. Je ne parle pas de l'accompagnement des personnes âgées ni des personnes handicapées, qui ne peuvent pas travailler. Je parle des autres personnes, pour lesquelles il faut affirmer qu'elles ont vocation à sortir des minima sociaux.

M. Liebgott a cité Frédéric Lefebvre, qui défend l'idée du revenu universel. Valérie Létard, sénatrice UDI-UC et ancienne secrétaire d'Etat, travaille également sur le sujet, tout comme notre collègue Marc-Philippe Daubresse, du groupe Les Républicains, qui défend comme moi la nécessité d'une réforme des minima sociaux – réforme qu'il avait préconisée sans être suivi par le gouvernement auquel il appartenait à l'époque.

Le processus de décision pose la question des partenaires, des opérateurs. Les caisses d'allocations familiales disposent de quasiment toutes les informations – sur le logement, la composition de la famille, etc. Il faut arrêter de vouloir inventer des opérateurs par principe : sans être pour autant décisionnaires, les CAF pourront continuer à verser la prestation.

Plusieurs d'entre vous se sont posé la question du pilotage des politiques d'insertion. Je plaide pour la recentralisation du RSA, mais je ne propose pas de retirer aux départements la prérogative « insertion ». L'idée est de trouver un lien entre une politique de droit commun, qui relève de l'État, et des politiques d'insertion de proximité, qui incombent aux départements.

J'espérais que personne ne me ferait de « sortie » sur la fraude ! M. Dord l'a fait... Selon les chiffres, corroborés par la Cour des comptes, sur 82 milliards d'euros de prestations versées par le système de solidarité, la fraude représente 1 milliard d'euros, soit moins de 1,3 %. C'est toujours trop, bien sûr, mais il faut arrêter de dire que la fraude est inhérente aux minima sociaux – elle est inhérente à tous les dispositifs fiscaux ou autres –, car une telle affirmation alimente les discours nauséabonds et mensongers.

Je remercie M. Hutin de son propos. Nous partageons tous les deux la même ambition sur ces politiques. Il a raison, la complexité engendre l'opacité. Beaucoup de gens ne comprennent pas les dispositifs dont ils dépendent, ce qui est très problématique : les taux de recours sont particulièrement faibles. L'opacité est également problématique pour les travailleurs sociaux qui voient sans cesse les règles changer : on leur parle de politique d'insertion globalisée, puis quelques années plus tard, on leur demande de distinguer insertion sociale et insertion professionnelle. Comme le disait fort justement notre présidente, la situation des gens – l'humain – est indissociable des parcours d'insertion. Or la logique du RSA a consisté à dissocier les politiques d'insertion sociale et les politiques d'insertion professionnelle, ce qui pour moi est une faute majeure que nous payons encore aujourd'hui.

Notre collègue Barbier a déclaré que le travail doit rester le souhait de tous. Le problème est que notre pays ne va certainement pas renouer de sitôt avec le plein-emploi. À partir du moment où le plein-emploi n'est plus l'élément de référence, il faut s'occuper des personnes privées d'emploi et arrêter de dire « elles n'ont qu'à ». Voilà pourquoi je parle de droit commun, et non de statut. Ce qui renvoie à l'idée du revenu universel.

L'insertion ne passe pas par une augmentation des budgets, ai-je entendu. Elle ne passe surtout pas par une diminution drastique des budgets – qui ont chuté, je l'ai dit, de 17 % à 8,1 %. Or je ne vois pas comment des structures d'insertion sans moyens et confrontées à une incertitude sur leurs financements pourront mettre en place des politiques d'insertion qui, par nature, ne peuvent être déployées que sur la durée.

Mme Pane a évoqué la cohérence des acteurs. Nous avons défini, dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) notamment, les prérogatives des collectivités : les questions économiques relèvent de la région ; la politique d'insertion est restée aux départements, et elle le restera. Or l'insertion est indissociable de la formation, laquelle est une compétence des régions. Comment mettre en place des outils, sans remettre en cause les prérogatives des uns et des autres ? Les communautés d'agglomération ou de communes seront probablement le bon niveau d'intervention. J'évoque dans mon rapport la notion de « référent », notion compliquée car on a vu fleurir des référents partout – référent Pôle Emploi, référent mission locale, référent centre communal d'action sociale (CCAS), etc. Dans le cadre des réflexions sur l'évolution du métier des travailleurs sociaux, Mme Ségolène Neuville a proposé la mise en place d'un référent unique, ce qui éviterait aux allocataires d'avoir à frapper à plusieurs portes. Cela renvoie à la légitimité du pilotage. Les programmes départementaux d'insertion n'ont servi à rien, ils n'ont pas permis d'impulser des dynamiques. Je ne vais pas jusqu'à formuler dans mon rapport une proposition, mais il est clair qu'il faut réaffirmer le rôle de l'accompagnement au niveau territorial.

Notre collègue Lurton est revenu sur les efforts consentis pour les bénéficiaires de l'AAH1. S'il ne convient pas, en effet, de paraître remettre en cause leurs droits, s'agissant en particulier des personnes lourdement handicapées depuis la naissance, il faut néanmoins veiller à ne pas s'estimer quitte vis-à-vis d'eux du seul fait qu'on leur verse une allocation, ce qui pourrait aboutir à une sorte d'abandon. Concernant les personnes handicapées qui vivent en couple, la problématique est celle que j'évoquais tout à l'heure : le mélange des politiques familiales avec des politiques qui devraient être individualisées. Ces confusions ne sont souhaitables ni pour les handicapés, ni pour les autres allocataires. On ne peut pas faire porter à des politiques dédiées aux personnes des éléments de « familialisation » qui viennent diminuer ce à quoi elles auraient droit si elles étaient seules. Il faut continuer à travailler sur ce dossier.

Mme Khirouni m'a interrogé sur la pérennité des financements. Sans réforme du système, on aura plutôt intérêt à être une personne âgée dans un département, une personne handicapée dans un autre, un bénéficiaire du RSA dans un troisième… C'est pourquoi je plaide pour la recentralisation du RSA. Dans la mesure où les conseils départementaux n'ont pas leur mot à dire sur le montant – c'est l'État qui choisit de l'augmenter ou non –, ni sur le nombre d'allocataires, je ne vois pas pourquoi ils supporteraient seuls le coût de l'allocation. Il faut réfléchir, en revanche, à la territorialisation des politiques d'insertion, qui diffèrent selon que l'on est en secteur rural ou en secteur urbain. En particulier, les problèmes de mobilité en milieu rural sont importants : il est faux de croire que les gens pourront aller participer à une demi-journée de formation à trente kilomètres de leur domicile. La mise en place de politiques de proximité est indispensable.

Comme ma collègue, je trouve effarant de raisonner en termes de droits et de devoirs, de considérer que les gens devraient consentir une contrepartie parce qu'on leur verse de l'argent. Parallèlement à une politique nationale de solidarité, il faut développer des politiques publiques visant à sortir les gens de la précarité. C'est ainsi que je conçois une politique d'insertion digne de ce nom. Monsieur Vannson, les politiques d'insertion doivent être acceptées par les uns et les autres, et par conséquent débattues, faute de quoi, elles sont vouées à l'échec.

Vous avez raison, monsieur Issindou, l'élément majeur est le droit commun, et non le statut. À partir du moment où notre société crée trop de motifs de rupture dans la vie personnelle des gens, elle doit leur offrir un socle qui couvre le risque.

Monsieur Viala, je ne vois aucun lien entre les allégements de charges des entreprises que nous avons votés et la hausse des dépenses induite par le scénario 3. Bien évidemment, nous allons poursuivre notre soutien à la création d'emplois et au maintien de l'activité des entreprises.

Certes, le troisième scénario va coûter 3,5 milliards d'euros, mais la précarité induit de lourdes dépenses – en termes de santé, d'accompagnement, etc. – qui seront beaucoup plus élevées si on ne fait rien. J'évoquais tout à l'heure la notion d'« investissement » : oui, il faut envisager ces politiques de solidarité en termes d'investissement.

Je partage votre propos, monsieur Gille, sur l'assurance chômage. Il faut progresser sur ces questions – même si c'est compliqué, car certains éléments correspondent à des droits acquis au cours de parcours professionnels, et d'autres non. En tout cas, le scénario 3 est celui qui va dans le sens de votre proposition.

Je partage mille fois le propos de notre présidente Catherine Lemorton. Un dispositif qui imposerait à une personne en rupture profonde d'aller se présenter à un employeur aboutirait à un échec, non seulement pour la personne – car sa situation ne le lui permet pas –, mais également pour l'employeur et les travailleurs sociaux.

Le « socle » que je défends pour les minima sociaux n'est pas le revenu universel, qui, lui, couvre tous les revenus. L'annexe 2 de mon rapport traite du revenu universel, en détaillant les expérimentations dans différents pays. L'approche finlandaise, avec un dispositif expérimenté sur 8 000 personnes par une majorité désireuse de réduire la dépense publique et de « remettre les gens au travail », ne correspond pas à la logique progressiste. Le revenu universel est en effet porté à la fois par une logique progressiste et une logique ultralibérale. Ainsi, le dispositif soulève plusieurs questions.

La première est celle du montant de ce revenu universel. Doit-il être un complément ou un vrai revenu ? Ce montant va en effet de 100 euros, comme en Alaska, à 1 000 euros dans d'autres pays qui expérimentent le dispositif.

La deuxième question, liée à la première, est de savoir si le revenu universel doit aller jusqu'à la disparition des systèmes de politique familiale et de protection sociale. Dans la logique ultralibérale, les gens bénéficient d'une couverture de 1 000 euros, mais doivent se débrouiller pour bénéficier d'une protection sociale en travaillant s'ils le souhaitent. Je mets en garde contre cette vision individualisée du revenu universel.

La troisième question qui se pose est qu'il n'existe pas actuellement de modèle de revenu universel ; seules des expérimentations sont menées. Or le revenu universel en lui-même change profondément la nature de la relation au travail : vous ne travaillez que si vous avez envie d'améliorer votre situation, ce n'est plus le travail qui vous positionne dans la société.

Bref, les choses ne sont pas aussi simples et il faudra mesurer les incidences du revenu universel, ce qui ne manquera pas d'être fait au travers de multiples colloques et autres publications.

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