Intervention de Jean-Jacques Candelier

Séance en hémicycle du 14 juin 2016 à 15h00
Discrimination et précarité sociale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 2014, l’INSEE estimait la proportion de pauvres en France à plus de 14 %, soit 8,5 millions de personnes.

En situation de pauvreté et de précarité, ces dernières subissent une double peine puisqu’à la pauvreté s’ajoute la discrimination dans tous les domaines : santé, logement, emploi, formation, justice, éducation, vie familiale, exercice de la citoyenneté et relations avec les services publics. Cette double peine engendre le cercle vicieux de la pauvreté car les discriminations dont peuvent faire l’objet les personnes pauvres contribuent à aggraver leur situation et à accroître l’exclusion sociale.

De nombreuses études ont mis en exergue le lien entre pauvreté et discrimination ainsi que ses conséquences. Voilà plus de vingt ans, la contribution de l’association ATD Quart Monde à l’ouvrage La lutte contre le racisme et la xénophobie, 1993 : exclusion et droits de l’homme de la commission nationale consultative des droits de l’homme, pointait déjà le phénomène de discrimination sociale et politique, et relevait qu’elle « génère chez ceux qui la subissent des sentiments de honte, de culpabilité et de souffrance de ne pas être considérés à égalité avec les autres êtres humains de leur propre société ».

Dans le même sens, plusieurs travaux menés ces dernières années ont mis en évidence une réalité très présente mais jusqu’à présent largement occultée : lorsque, pour une raison ou pour une autre, on est repéré comme pauvre, on subit des comportements particuliers qui humilient. De nombreux exemples ont été évoqués : refus de location immobilière, refus ou limitation d’accès à la cantine scolaire des enfants de personnes sans emploi, obstacles rencontrés dans l’accès aux soins par les personnes bénéficiant de la CMU ou de l’AME – la couverture maladie universelle et l’aide médicale de l’État –, notamment difficulté à obtenir un rendez-vous auprès des personnels de santé.

Les personnes vivant dans la pauvreté se heurtent ainsi, du seul fait de leur pauvreté, à des comportements discriminatoires et stigmatisants qui entravent leurs diverses démarches administratives. La discrimination est donc à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté.

En dépit de ce constat cinglant, inacceptable, les comportements discriminatoires à l’endroit des personnes pauvres ne sont pas assez encadrés juridiquement et la réalité sociale de la discrimination en raison de la pauvreté n’est pas encore reconnue.

Aussi les députés du Front de gauche soutiennent-ils pleinement cette proposition de loi, réclamée par de nombreux acteurs de défense des droits et libertés fondamentales, qui ajoute un nouveau critère de discrimination dans le code pénal et le code du travail. À côté de l’origine ethnique, de la religion, du sexe ou de l’orientation sexuelle, pour ne citer que les critères les plus connus, on trouvera désormais la vulnérabilité économique.

Le Sénat a écarté l’expression « précarité sociale », excessivement floue, qui figurait dans la rédaction initiale. Cette notion subjective, source d’incertitude et d’insécurité juridique, aurait en effet rendu le dispositif inapplicable. Le Sénat a judicieusement retenu, comme critère prohibé, la « vulnérabilité résultant [d’une] situation économique », déjà connu du droit français. Cette notion, entendue comme la situation dans laquelle des personnes ne sont pas en mesure d’exercer correctement leurs droits et libertés, semble en effet plus précise.

L’ajout de la condition sociale comme critère discriminatoire permettrait utilement de mieux cerner les réalités de la discrimination dans leur ensemble et d’appréhender au plus près les discriminations multiples dont sont victimes les personnes cumulant les désavantages sociaux. Il offrirait au droit français une grille d’analyse plus fine, permettant d’examiner avec précision les traitements inégalitaires dont sont victimes certaines catégories de la société.

Comme le souligne parfaitement le rapporteur, la reconnaissance d’un vingt et unième critère de discrimination dans le code pénal revêtirait une forte portée symbolique, en procurant aux victimes, individus et familles le sentiment d’une reconnaissance par la nation du caractère injuste des vexations subies.

Elle aurait également une triple incidence politique et juridique : elle permettrait la saisine du Défenseur des droits pour connaître les discriminations motivées par la situation sociale des personnes, instruire à leur encontre et concourir à leur répression ; elle confierait aux juridictions répressives le soin de prononcer à l’encontre de l’auteur de la discrimination une sanction administrative ou pénale ; elle inscrirait la lutte contre les discriminations fondées sur la pauvreté dans les politiques publiques de formation, d’information et de sensibilisation déjà engagées auprès des opérateurs de service public et au sein des entreprises de biens et de services.

La reconnaissance de la discrimination à raison de la précarité sociale, au-delà de son caractère symbolique, a pour objet de renforcer l’effectivité des droits économiques, sociaux et culturels, civils et politiques, garants du respect de l’égale dignité de tous les êtres humains.

Or, sur ce point, des doutes sont légitimes. En effet, le Défenseur des droits, en particulier, s’interroge sur les conditions de l’efficacité d’une réponse juridique fondée sur le droit des discriminations. En tant qu’institution ayant vocation à mettre en oeuvre cette protection, il insiste sur la nécessité d’assurer l’efficacité juridique de la protection contre les discriminations. Il préconise également de poursuivre le travail préparatoire à propos de ce nouveau critère, afin d’évaluer, d’une part, l’impact du critère fondé sur le lieu de résidence, ajouté en 2014, qui avait vocation à offrir une réponse aux personnes stigmatisées du fait de leur quartier de résidence, et, d’autre part, la portée de la protection qui sera offerte par ce nouveau critère, fondé sur la pauvreté ou la précarité sociale.

Surtout, il est bien évident que cette évolution ne permettra pas de résoudre le problème de la pauvreté et de l’exclusion sociale. La lutte contre les inégalités doit demeurer la priorité et ne saurait être effacée par la répression de la discrimination.

1 commentaire :

Le 15/06/2016 à 09:38, laïc a dit :

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"Aussi les députés du Front de gauche soutiennent-ils pleinement cette proposition de loi, réclamée par de nombreux acteurs de défense des droits et libertés fondamentales, qui ajoute un nouveau critère de discrimination dans le code pénal et le code du travail. À côté de l’origine ethnique, de la religion, du sexe ou de l’orientation sexuelle, pour ne citer que les critères les plus connus, on trouvera désormais la vulnérabilité économique."

Allez encore une petite pour la route : que pense M. le député de cette compétence demandée aux professeurs, arrêté du 1er juillet 2013 :

" Prendre en compte les préalables et les représentations sociales (genre, origine ethnique, socio-économique et culturelle) pour traiter les difficultés éventuelles dans l'accès aux connaissances."

Ne trouve-t-il pas intolérable que la prise en compte officielle de la race, l'origine, la culture (la religion...), du sexe, soit officiellement demandée aux professeurs lors de leurs fonctions ?

On ne saurait se poser officiellement en opposant officiel de toutes les discriminations si on laisse subsister ce passage hautement discriminatoire.

L'enseignement proposé aux élèves doit être le même pour toutes et tous, sans distinction de race, d'origine, de rang social, de culture ou de religion, c'est l'évidence légale même.

Ne pas réagir contre cet ordre de l’Éducation nationale, c'est faire le lit de toutes les discriminations, de tous les racismes et de tous les sexismes.

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