Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du 15 juin 2016 à 15h00
Exercice par la croix-rouge française de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de loi relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, d’une de ses nombreuses missions, qui n’est du reste sans doute pas la plus connue du grand public, celle qu’elle exerce dans le rétablissement des liens familiaux.

Avant de revenir sur cette mission importante, je voudrais profiter de cette occasion pour rendre hommage au travail accompli par la Croix-Rouge française, un maillage extraordinaire de plus de 54 000 bénévoles, 18 000 salariés et d’un millier de délégations locales en France au service des plus vulnérables, dans un idéal de solidarité et de générosité : une belle dame âgée de 150 ans, mais toujours jeune !

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, c’est aussi la plus grande et la plus ancienne organisation humanitaire mondiale, un mouvement qui réunit les sociétés nationales de 189 pays, qui dispose d’un réseau extraordinaire de plus de 100 millions de bénévoles dans le monde et qui a été récompensé par quatre prix Nobel.

La Croix-Rouge, c’est donc un grand motif de fierté internationale et française, mais c’est aussi un éternel défi, depuis ses origines en 1864. Elle a en effet été créée dans un contexte particulier, le Franco-suisse Henri Dunant, ayant su, avant l’heure, défendre l’idée humanitaire, laquelle a brillamment prospéré aujourd’hui, trouvant, hélas, à s’exercer de plus en plus souvent.

La Croix-Rouge, c’est une philosophie. C’est une organisation. C’est un droit.

La gravité, la complexité et l’ampleur des crises actuelles nous démontrent qu’aujourd’hui, ces valeurs, ces principes, ce droit ont besoin d’être appliqués, bien sûr, renforcés, à n’en pas douter, mais aussi soutenus. La proposition de loi qui nous est présentée participe utilement au renforcement des moyens et, d’une certaine façon, des pouvoirs de la Croix-Rouge. Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, je dis dès maintenant que c’est très volontiers que le groupe Les Républicains participera à l’unanimité réclamée par Mme la rapporteure. Il n’y a aucune difficulté à cela – non seulement il n’y a pas de difficulté, mais nous nous devons de nous retrouver, dans un même élan général, sur ce texte.

Revenons-y, d’ailleurs, à ce texte. Comme je le disais en introduction, il porte plus particulièrement sur une mission méconnue de la Croix-Rouge, celle qui concerne le rétablissement des liens familiaux. Cette mission répond à des règles strictes.

En premier lieu, qui peut saisir ? Ce sont les particuliers qui peuvent introduire des demandes de recherche, concernant un ou plusieurs membres de leur famille, et cela quels que soient la nationalité et le statut administratif de ces personnes : résidents, réfugiés, demandeurs d’asile, migrants, étrangers, mineurs, détenus… Cela veut dire que l’on exclut du processus les disparitions considérées comme inquiétantes, lesquelles sont du ressort des autorités nationales, ainsi que les recherches à caractère généalogique ou historique et les recherches de personnes n’ayant pas de lien de parenté avec le demandeur.

De plus, la cause de la rupture de contact doit être liée à une situation particulière : conflit, violence armée, catastrophe naturelle ou d’origine humaine, ou autre situation humanitaire.

Ces conditions sont donc assez strictes, ce qui conduit la Croix-Rouge à exercer sa mission sous la forme de quatre activités : la stricte recherche de personnes ; la réunification des familles ; la transmission de nouvelles familiales : lorsque tous les moyens de communication sont bloqués ou inaccessibles, l’échange de messages par l’intermédiaire de la Croix-Rouge permet de rétablir ou de maintenir le contact ; enfin, la transmission et l’obtention de documents émanant du Comité international de la Croix-Rouge, comme les attestations de privation de liberté, ou les documents délivrés par les États, comme les documents d’état civil, les certificats ou les attestations.

Pour mener à bien ses tâches, la Croix-Rouge française doit nécessairement collecter les données personnelles des individus recherchés. On touche là, bien évidemment, à un sujet sensible : la collecte et l’éventuelle utilisation de données personnelles par des personnes, fussent-elles morales, de droit privé. Or, comme vous le savez, le droit est – à juste titre – très limitatif sur ce plan.

Cette collecte puis le traitement des données personnelles sont assurés de manière confidentielle et conformément aux règles nationales. En France, ils ont, comme il se doit, été autorisés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, conformément à la loi de 1978 modifiée. Il n’est toutefois pas aisé pour la Croix-Rouge de remplir cette mission, dans la mesure où elle est confrontée au refus régulier des administrations des services de l’État de transmettre ces informations. Certaines recherches restent de ce fait infructueuses.

Pourtant, cette activité de la Croix-Rouge a pris une importance croissante, du fait de la suppression récente, en 2013, par le précédent ministre de l’intérieur, de la mission de recherche dans l’intérêt des familles, vieille mission dont l’origine remontait à la guerre de 1914-1918. Le service qui accomplissait cette mission, qu’on appelait le « RIF », a été dissous sans qu’une offre de substitution ait été créée. Du coup, les demandeurs potentiels sont un peu démunis, même si la circulaire du 26 avril 2013 mettant fin au RIF les renvoie aux réseaux internet, au motif que ceux-ci « offrent d’intéressantes possibilités ». Effectivement ! Sans vouloir être polémique, les réseaux internet offrent à coup sûr des possibilités insoupçonnées, et à plus forte raison au moment de la guerre de 1914-1918 ! Pour autant, tous les cas ne peuvent être résolus par internet, même si les cas les plus simples le sont sans doute.

Dans ces conditions, les associations – et pas seulement la Croix-Rouge – ont eu raison de contester le caractère quelque peu abrupt de la suppression du RIF et de la solution proposée en 2013. Pour être honnête, et ne pas faire de procès à charge, il faut aussi convenir que, comme le signalait à l’instant M. le ministre, le nombre de demandes avait fortement baissé et qu’un certain nombre de recherches étaient plutôt orientées vers la recherche de pensions alimentaires – ce qui, du reste, est un vrai problème : les missions des caisses d’allocations familiales ont elles aussi évolué et la réglementation et des circulaires de la Caisse nationale des allocations familiales sont venues préciser certains points. Quoi qu’il en soit, il ne revient pas à la Croix-Rouge de rechercher des débiteurs de pensions alimentaires, quand bien même ce serait dans l’intérêt des familles.

On comprend en tout cas la demande pressante de la Croix-Rouge de se voir faciliter l’accès aux données personnelles contenues dans les documents de nature administrative, lorsqu’elles sont strictement et proportionnellement – pour paraphraser la jurisprudence – nécessaires à la détermination du sort de la personne recherchée sur le territoire national. Tel est le sens de la présente proposition de loi, qui va vraiment faciliter l’accomplissement de cette mission d’intérêt public. Je rappellerai comment en deux mots – la présentation du contenu du texte ayant déjà été faite.

L’article 1er affirme clairement la possibilité pour la Croix-Rouge d’avoir accès aux informations et documents administratifs détenus par les services centraux ou déconcentrés – la France n’étant pas que jacobine –, les administrations décentralisées ou les organismes de sécurité sociale.

L’article 2 prévoit qu’elle puisse disposer des copies d’actes d’état civil détenus par les officiers d’état civil dans chacune de nos mairies.

L’article 3 permet à la Croix-Rouge française de faire vérifier une inscription sur les listes électorales. Il appartiendra à M. Warsmann, qui travaille activement à une proposition de réforme des listes électorales – j’en profite pour saluer son engagement –, de veiller à la bonne coordination avec le texte.

L’article 3 bis, ajouté en commission des lois, permettra à la Croix-Rouge française de saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, en cas de refus implicite ou explicite de la part des administrations françaises de lui communiquer les documents demandés.

Je veux souligner l’équilibre de la proposition de loi : le dispositif permet le respect de la vie privée et aussi le droit à l’oubli – droit important qui a besoin d’être réaffirmé aujourd’hui. En effet, lorsque la Croix-Rouge française parvient à retrouver la personne recherchée, cette dernière peut choisir de rentrer, ou pas, en contact avec sa famille. La personne peut aussi demander expressément à ce que les autres composantes du mouvement Croix-Rouge ne soient pas informées du résultat positif des recherches.

L’article 4 précise que tant qu’une personne est recherchée, aucune information ne peut être communiquée par la Croix-Rouge française à des tiers. Si elle est retrouvée, ces informations peuvent être transmises aux tiers uniquement avec le consentement de l’intéressé. En revanche, en cas de décès de la personne, la Croix-Rouge a l’obligation de l’indiquer aux tiers demandeurs, ainsi que le lieu de sépulture.

En conclusion, il s’agit, mes chers collègues, d’une oeuvre utile. Une petite interrogation, toutefois. Le Président de la République avait évoqué « un véritable auxiliaire de l’État ». Si la proposition de loi va dans le bon sens, ce terme n’y figure pas. Peut-être aurait-il été bon de l’inscrire, de manière à éviter toute ambiguïté ?

Au-delà de cette remarque, et après avoir rendu, une fois encore, un hommage appuyé aux bénévoles et à l’action de la Croix-Rouge, je répète que c’est avec sérénité, enthousiasme et conviction que le groupe Les Républicains vous apportera, madame la rapporteure, son soutien, en votant ce texte important.

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