Intervention de Jean-Pierre Marguénaud

Réunion du 8 juin 2016 à 16h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jean-Pierre Marguénaud, professeur à l'Université de Limoges :

… pour voir exactement ce qui se passe. Il y a, j'y insiste, un vrai problème d'établissement de la preuve d'actes qui sont parfois des actes de cruauté, parfois des mauvais traitements et qui relèvent de la loi pénale. Se sont-ils présentés seulement dans ces trois établissements, où comme par hasard avaient été installées des caméras pour les capter ?

Pour ce type d'infraction, à supposer qu'on puisse en ramener les éléments constitutifs, les associations de protection des animaux ne peuvent pas exercer les droits reconnus à la partie civile par l'article 2-13 du code de procédure pénale qui vise la plupart des infractions prévues par le code pénal, mais aucune de celles qui relèvent du code rural. Ce point mériterait d'être débattu : étendre aux associations de protection des animaux déclarées depuis cinq ans, le droit reconnu aux parties civiles, afin qu'elles puissent poursuivre, devant les juridictions répressives, ce type de mauvais traitements, pour peu qu'il ne s'agisse que de mauvais traitements.

Vous avez par ailleurs posé une question sur l'incidence de l'évolution du statut de l'animal sur le droit des animaux de boucherie. Il y a eu une petite révolution théorique avec la loi du 16 février 2015 qui a fait sortir les animaux de la catégorie des biens : les animaux ne sont plus des meubles ou des immeubles. Cette avancée théorique remarquable permet aux animaux, par fiction juridique et par défaut, d'être soumis au régime des biens sous réserve des lois qui les protègent. On note néanmoins, dans le code civil, une incohérence : le livre contenant ces dispositions s'intitule toujours : « Des biens et des différentes modifications de la propriété », alors qu'il devrait s'intituler, pour être en accord avec les dispositions mentionnées : « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété ». Pour le reste, l'article 515-14 du code civil se trouve dans une situation intermédiaire, avant le chapitre consacré à la distinction des biens, lesquels sont les meubles et les immeubles ; il n'y a plus la moindre trace des animaux dans la catégorie des meubles. On ne peut par conséquent plus dire que, juridiquement, les animaux sont des biens, mais qu'ils sont, je le répète, soumis au régime des biens – ce qui revient à dire qu'ils n'en sont plus ; mais que sont-ils ? On ne le sait pas trop. Vont-ils rester en état de lévitation pendant longtemps ?

Reste que l'avancée théorique évoquée va avoir des conséquences jurisprudentielles – c'est l'interprétation qu'en donne le juge qui fait vivre le texte voté par le législateur. Pour l'heure, nul ne sait ce que le juge va faire des nouvelles dispositions et notamment de l'affirmation, aux termes de l'article 515-14 du code civil, selon laquelle les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. On n'en note pas moins déjà un certain nombre d'amorces comme ce récent jugement du tribunal correctionnel de Brest à propos du broyage des poussins mâles : sans s'appuyer directement sur la nouvelle définition de l'animal par le code civil, le tribunal l'a citée. On peut relever, par ailleurs, d'autres condamnations à un an voire deux ans de prison ferme pour actes de cruauté ; avant la modification du code civil, ce n'était pratiquement jamais le cas. Avant même l'entrée en vigueur de la loi en question, un tribunal correctionnel, de Marseille si je me souviens bien, pour condamner quelqu'un à un an de prison ferme pour actes de cruauté envers un animal domestique, avait expressément décidé que les animaux étaient des êtres vivants doués de sensibilité. Les choses peuvent donc changer, petit à petit, y compris pour les animaux de boucherie qui sont aussi des êtres vivants doués de sensibilité. J'en reviens toutefois à la difficulté majeure : comment faire pour savoir quel sort leur est infligé ?

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