Intervention de Catherine Rémy

Réunion du 8 juin 2016 à 16h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Catherine Rémy, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique, CNRS :

Ce n'est pas ce que j'ai constaté. J'ai observé un abattoir où, par moments, les choses se passaient telles que vous les décrivez et j'ai tâché, dans ma présentation, de mettre l'accent sur les moments où il n'y a pas d'accroc, pas de résistance du vivant, ou tout « coule ». Mais on voit aussi des moments où l'animal résiste – n'étant pas éthologue, je n'ai pas pu me placer du point de vue de l'animal, ce qui serait par ailleurs très intéressant : les bêtes se chevauchent dans le couloir d'amenée, font marche arrière, des animaux très puissants essaient de se débattre alors qu'ils sont sur le point d'être insensibilisés – si bien que même si l'ouvrier veut accomplir son geste le mieux possible, cela lui est difficile. Bref, il y a bien une résistance du vivant.

On a voulu penser l'abattoir comme une usine traditionnelle et, au fond, réduire l'animal à de la matière ; mais l'animal résiste, se rappelle à nous et se rappelle au tueur en résistant. J'ai constaté que ces moments sont très troublants pour les hommes et que c'est alors qu'on voit apparaître une violence.

Vous affirmez ensuite que, grâce au roulement des effectifs, tout le monde est amené à occuper le poste de tueur. La réalité est beaucoup plus complexe, en tout cas dans l'abattoir que j'ai observé. Quelques membres de l'équipe occupaient ces postes, certains s'y refusaient expressément. Du coup, la symbolique que j'ai évoquée s'applique à ceux qui prennent en charge le geste et une distinction se crée entre ceux qui font le geste et ceux qui s'y refusent selon la logique : je suis un vrai tueur ou je ne suis pas un vrai tueur. Ceux qui font le geste ont un ascendant très fort sur le groupe. Du reste, mes rapports avec les « vrais tueurs » et ceux qui ne l'étaient pas étaient très différents. À travers cette expérience, je puis donc témoigner de l'importance du geste de mise à mort dans les abattoirs alors même qu'on en parle très peu dans l'abattoir : ce n'est pas un sujet qu'on aborde.

Pour ce qui est de l'abattage rituel, il ne m'a pas été donné d'en observer. Je ne peux donc pas directement en témoigner. Mais ce qui m'interpelle est que le tueur, dans le contexte d'un abattoir, prend des risques, accomplit parfois mal son geste, soit parce que l'animal résiste, soit pour des raisons plus obscures liées sans doute à la souffrance au travail, aux cadences, etc. Le problème de l'abattage rituel est qu'il met en cause le geste d'insensibilisation qui lui-même a déjà du mal à être appliqué dans les abattoirs. L'abattage rituel impose finalement une autre norme qui va à rebours de celle qu'on essaie d'imposer aux personnels.

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