Intervention de Jean-Yves Caullet

Réunion du 8 juin 2016 à 16h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Caullet, rapporteur :

Je commencerai par évoquer ce que vous avez appelé l'occultation, incontestable puisque la présente commission d'enquête a été constituée à la suite de la révélation de faits insupportables. Celle-ci a été suivie d'une série de contrôles systématiques, de la part du ministère, de l'observation de la réglementation sur le bien-être animal dans des abattoirs qui ont révélé un certain nombre de manquements. Il apparaît assez vite que la mise à l'écart de cette activité sociale et économique est de nature à favoriser l'affranchissement de la règle, d'où la nécessité d'un renforcement des contrôles.

Au-delà du contrôle, il semble que la transparence doit être envisagée. Or, selon vous, une transparence organisée – tant il est vrai que faire entrer n'importe qui n'importe quand dans un abattoir n'est pas forcément constructif – ne passe-t-elle pas par la création d'un échelon intermédiaire, à l'exemple des commissions locales d'information et de surveillance déjà mises en place pour le nucléaire et pour les stations de traitement des déchets ? En effet, j'y insiste, l'isolement dont il a été question ne va pas dans le sens du progrès global. Il paraît par ailleurs important, concernant le fait de vouloir consommer de la viande ou non, de préserver la liberté d'un choix responsable qui suppose une bonne connaissance des conditions de l'élevage et de mise à disposition des produits carnés. Ici aussi, une meilleure information ne permettrait-elle pas un choix plus éclairé étant entendu que nous ne pouvons prétendre conduire l'évolution en cours ?

Ensuite, la mort d'un animal n'est jamais un événement banal, qu'elle ait lieu dans un abattoir ou à la chasse… Cette mort est toujours accompagnée d'une image forte. À cet égard, nous avons auditionné des universitaires à propos des rites notamment juifs et musulmans. Ici, la mise à mort doit être institutionnalisée, ritualisée pour honorer un Dieu, ce qui montre bien qu'on ne saurait la réduire à un acte exclusivement économique. La réglementation est-elle capable de se substituer au rite ? Serait-elle une sorte de rite moderne nous donnant toute assurance ?

Ma question suivante concerne plutôt l'exposé de Mme Burgat. Je suis interloqué par l'opposition entre plaisir et nécessité. Ma formation et mon expérience de biologiste montre que, bien souvent, la nature a fait en sorte que le plaisir et la nécessité s'associent pour que la nécessité puisse se résoudre. Opposer nécessité et plaisir, dans l'affaire qui nous occupe, peut se révéler pertinent pour l'individu, mais pas pour une société ou pour une espèce. La notion de nécessité collective et de plaisir individuel est souvent mêlée, l'un construisant l'autre. Le plaisir se construit, il est social également et permet que ce qui est nécessaire au groupe se fasse. Ainsi pourquoi aime-t-on danser, quel plaisir intrinsèque peut-on trouver à s'agiter ? C'est qu'il y a une nécessité sociale dans ce geste.

Je suis frappé que l'homme déploie en général une énergie considérable à s'abstraire de la chaîne trophique : il ne considère pas son retour dans la chaîne du carbone et de l'azote de manière banale. Il se met dans des boîtes, il essaie, la plupart du temps, de s'extraire du retour à la nature de la manière la plus prosaïque, il part en fumée… Je ne connais qu'un rite, abondamment décrit, où le corps des défunts est réintégré à la chaîne trophique par l'intermédiaire d'oiseaux charognards, aux confins de l'Inde. Reste que nous n'aimons pas nous considérer à notre place dans la chaîne trophique, et c'est vrai aussi pour notre consommation. Nous sommes omnivores, nous mangeons un peu de tout, par opportunisme, parfois, par nécessité, souvent – peut-être pas aujourd'hui pour ce qui est de la consommation de viande de boeuf d'élevage, j'en conviens –, mais nous n'avons jamais mangé tous les animaux. Nous ne mangeons pas les carnivores, sauf les poissons – mais, parmi les mammifères, il est très rare que nous consommions des carnivores. Nous ne mangeons pas les charognards, nous ne mangeons pas les corbeaux : ceux qui font de la soupe de corbeaux sont déconsidérés dans la société. Les animaux que nous consommons sont la plupart du temps herbivores, à savoir plus capable que nous de valoriser certains produits de la photosynthèse, et d'une durée de vie bien inférieure à la nôtre ; autrement dit, si nous ne les consommions pas, nous les verrions mourir sans même en avoir tiré aucun « profit » ; a contrario, nous sommes choqués à l'idée de manger de l'éléphant par exemple.

Vous avez opposé ceux qui mettent l'homme au-dessus de tout et qui considèrent que l'on fait ce qu'on veut avec les animaux et ceux qui estiment que l'homme n'a pas à influer sur la vie des animaux et qu'il doit donc s'abstenir de tout acte à leur égard. Il me semble qu'existe une autre voie consistant à considérer, tout simplement, que nous faisons partie de la chaîne et que la consommation des surplus, la valorisation de l'ensemble de cette chaîne peut se faire de façon appropriée. Cette piste est-elle prise en compte par la philosophie, matière que je maîtrise encore moins bien que toutes les autres ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion