Intervention de Pierre Hinard

Réunion du 8 juin 2016 à 18h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Pierre Hinard :

Pour objectiver les choses, la manière la plus évidente est d'instaurer la transparence dans les abattoirs. La vidéosurveillance des endroits sensibles, notamment du piège et de la saignée, permettra d'éviter d'extraire quelques minutes de toute une journée et d'objectiver ce qui se passe. Même si, comme le disait le ministre, il s'agit d'un cas particulier, lorsque des cas particuliers apparaissent toutes les semaines, cela finit par faire beaucoup et n'explique pas les dérives industrielles et individuelles. Cela veut dire que le sujet est à creuser et à travailler.

La massification et l'industrialisation à outrance ne sont pas une solution à terme pour les abattoirs, même si cela leur permet d'avoir un niveau d'investissements élevé. On pourrait penser que s'ils disposent de plus de moyens économiques, ce sera mieux pour les animaux. Mais comme le rappelait Mme de Loisy, le problème est l'éloignement et les conditions pitoyables de transport des animaux. L'abattoir doit garder une dimension locale. Il est bien dommage que l'État se soit totalement désinvesti des abattoirs municipaux alors qu'il aurait fallu en faire une force pour notre pays et coupler la proximité des abattoirs municipaux avec le développement de filières qualité.

Dans un contexte économique difficile, les éleveurs n'ont fait que grandir, et la taille des troupeaux a doublé ou triplé. Mais ils n'y arrivent pas mieux, il y a toujours autant de suicides. On sait que pour vivre mieux, il faut aller chercher la valeur ajoutée, qui vient de la différenciation par la qualité. Ce ne sera possible qu'avec une traçabilité certaine, c'est-à-dire la transparence offerte par un abattoir local ; et l'adhésion du consommateur, qui devient sensible au sujet de la cause animale alors que ce n'était pas du tout le cas, parce qu'il sait que la qualité de ce qu'il consomme est en jeu. Si l'on consomme des animaux qui ont souffert, on consomme des produits toxiques. On peut le faire par ignorance, mais quand on le sait, cela ne vous donne plus envie de manger.

Il existe une alternative. Pour les bovins, cela se joue dès l'origine, au niveau des conditions d'élevage. M. Daniel disait qu'il faut arriver à ne pas tomber dans la sensiblerie tout en respectant la sensibilité animale. Pour moi, la frontière est de respecter la physiologie des animaux ; on se le doit. La science a tranché : ainsi, la vache est un herbivore. Pourquoi n'a-t-on de cesse, depuis quarante ans, d'en faire un cochon, c'est-à-dire un granivore, en la nourrissant de céréales, de maïs, et de la priver d'herbe ? La vache est un herbivore, remettons-la à l'herbe ! C'est une première souffrance infligée à l'animal, mesurable scientifiquement, parce que l'on ne respecte pas sa physiologie.

Si l'on remet les boeufs à l'herbe, on va aussi leur donner du plaisir à vivre, parce qu'ils vont vivre en plein air. On me répondra que l'on ne pourra pas produire autant. C'est vrai, nous allons réduire la consommation de viande, mais la viande que nous allons consommer sera de bien meilleure qualité. Au lieu de consommer des calories creuses, qui n'amènent aucun nutriment, nous consommerons des viandes qui apportent trois fois plus d'oméga-3. Car naturellement, les oméga-3 sont dans les prairies, mais pas dans le maïs ni dans le soja.

Il faut donc que l'animal soit bien élevé et bien abattu pour que le consommateur lui aussi soit rassuré dans son acte de consommation. Car l'impact est ensuite économique : si le consommateur se détourne des filières animales, cela mettra en difficulté les éleveurs. Mais ce n'est pas le fait que le consommateur soit très sensible à la cause animale qui a mis l'agriculture en crise ; c'est notre modèle économique productiviste qui est en faillite. Il ne faut donc pas avoir peur de le réformer, y compris dans le mode d'abattage. Ce n'est pas juste le problème de l'abattage qui est raté : l'élevage est raté, l'abattage est raté, et au stade de la consommation, on fait n'importe quoi et on se retrouve avec une population obèse et diabétique. Il y a quand même mieux à faire !

Si l'on veut faire des économies globales dans un budget globalisé, plutôt que de s'attaquer aux conséquences du problème, attaquons-nous aux causes. Nous y gagnerons aussi sur le plan des gaz à effet de serre, car les prairies naturelles et les surfaces en herbe sont des puits à carbone. Sur la planète, il y a deux endroits qui fixent naturellement le carbone en très grandes quantités : les prairies naturelles – quand elles ne reçoivent pas d'engrais chimiques – et les océans avec le phytoplancton.

D'ailleurs, la nature est bien faite : le poisson sauvage qui s'est nourri de beaucoup de phytoplanctons est extrêmement riche en acides gras essentiels du type oméga-3 – les bons acides gras qui protègent contre les maladies cardiovasculaires. Et si vous consommez des boeufs d'herbe, l'herbe étant riche en oméga-3, en remontant dans la chaîne alimentaire elle nous permet de consommer des calories pleines au lieu de calories creuses. Non seulement on ne vous pollue pas, mais on vous amène des nutriments. Vous pouvez consommer moins de viande, de meilleure qualité, et toutes les surfaces qui n'ont pas été utilisées pour faire pousser des céréales destinées à faire manger les vaches comme des cochons, tout ce maïs que vous n'avez pas donné aux vaches pourra servir à alimenter des humains. L'efficacité énergétique est bien plus grande. Le sujet doit être appréhendé dans sa globalité.

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