Intervention de Jean-Marc Germain

Réunion du 8 juin 2016 à 17h00
Mission d'information relative au paritarisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Germain, rapporteur :

Je salue à mon tour, monsieur le président, la façon dont nous avons conduit ces travaux, la liberté que nous nous sommes respectivement accordée et l'ampleur du travail accompli. Je remercie votre groupe d'avoir initié cette mission, nécessaire et utile, mais aussi les administrateurs et fonctionnaires de l'Assemblée nationale qui, comme toujours, ont fait un travail extraordinaire, fidèle aux personnes que nous avons auditionnées. C'est ce qui fait sa force, au-delà des propositions que nous pourrons en tirer : ce rapport constitue une somme d'informations et d'expression des acteurs tout à fait importante. Enfin, je voudrais vous remercier, chers collègues, d'avoir pris de votre temps pour participer à ces travaux, malgré un agenda parlementaire chargé.

J'en viens aux propositions du rapport. Celui-ci aura pour première vertu d'offrir un panorama du paritarisme – qui n'existait pas jusqu'alors. Ce panorama, sans être totalement exhaustif, permet d'appréhender de manière à la fois synthétique et complète, avec une profondeur historique, l'originalité de ce modèle. Très peu de pays ont en effet confié à la cogestion des employeurs et des salariés une part aussi importante de la protection sociale. Nous avons aussi fait une tentative de quantification : la somme des moyens gérés par les organismes paritaires s'élève à 150 milliards d'euros, soit un quart de la protection sociale. Ces organismes regroupent environ 100 000 salariés, ce qui représente autant que l'ensemble des effectifs de police et de gendarmerie. Soulignons aussi la diversité des domaines traités : beaucoup d'éléments de la vie quotidienne sont gérés de façon paritaire.

Le président de la mission et moi-même partageons une double conviction, explicitement exprimée en introduction de notre rapport. Nous croyons aux corps intermédiaires. Nous pensons que le paritarisme est un lieu de confrontation des intérêts et des visions des organisations d'employeurs et de salariés. Nous sommes donc des défenseurs de cette gestion paritaire. D'autre part, nous avons constaté qu'au fil du temps, un tri naturel s'était opéré entre ce qui relevait de l'État et de la solidarité nationale et ce qui relevait plutôt de droits liés à des salaires différés – droits gérés dans la plupart des domaines par les partenaires sociaux. L'histoire de la sécurité sociale est à cet égard emblématique puisqu'au terme d'une phase au cours de laquelle les partenaires sociaux ont eu beaucoup de responsabilités – y compris la capacité de fixer le montant des cotisations –, nous sommes revenus à un système où ils sont très présents dans la gouvernance des caisses de sécurité sociale mais où la décision relève essentiellement de l'État. Pour autant, nous ne remettons pas en cause leur présence dans les conseils d'administration des caisses, bien au contraire. Les auditions nous ont montré que les partenaires sociaux y sont tout à fait utiles, même sans réel pouvoir de décision sur les montants des prestations et des cotisations.

Si le paritarisme est plus que jamais nécessaire, il est aussi plus que jamais nécessaire de le réformer. Nous avons rencontré, chez les femmes et les hommes qui gèrent les différents organismes de protection sociale complémentaire, une capacité à innover et à se moderniser. Ces organismes n'ont à cet égard rien à envier au fonctionnement de l'État ou des collectivités locales. Mais nous avons le sentiment que, si chaque élément pris isolément fonctionne plutôt correctement, le système dans son ensemble est dans l'incapacité de se réformer et d'évoluer pour prendre en compte les transformations des modes de production, la mondialisation, les enjeux écologiques et numériques et les problèmes financiers issus des déséquilibres démographiques ou du chômage de masse.

Sur le fondement de ce constat, nous formulons plusieurs propositions : j'évoquerai simplement celles qui sont présentées dans l'introduction du rapport.

S'il fallait ne retenir qu'une seule de ces propositions, je souhaiterais que ce soit la première. Cette proposition – que j'espère la plus consensuelle possible – n'est pas simplement un élément d'un puzzle d'ensemble : elle a vocation à constituer la clef de voûte du paritarisme. Elle vise à la création d'un Haut conseil de la négociation collective et du paritarisme. Il nous semble qu'il manque un lieu permettant de formaliser les négociations interprofessionnelles et la mise en cohérence des différents domaines gérés par le paritarisme. Ce Haut conseil de la négociation collective et du paritarisme serait une sorte de chambre haute sociale ou de parlement du dialogue social. Dans mon esprit, ce Haut conseil n'aurait pas la décision finale, qui resterait bien sûr au Parlement, mais on pourrait aller jusqu'à un système de « navette » entre le Parlement et cet organisme. Celui-ci serait une forme d'aboutissement de la réforme Larcher prévoyant la possibilité pour les partenaires sociaux de négocier avant que le législateur ne se prononce dans le domaine social. On a bien vu, avec le projet de loi El Khomri, que l'absence de structuration de ce dialogue avait permis à l'État, sur une partie du projet – notamment sur le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle –, de solliciter les partenaires sociaux sans que ceux-ci ne rendent une réponse formelle. Les uns ont alors affirmé qu'on leur avait demandé de négocier et qu'ils avaient refusé de le faire, tandis que d'autres nous ont dit qu'ils avaient accepté mais qu'il leur aurait fallu des années pour arriver à un résultat – ce qui n'était pas possible dans le temps imparti par le processus législatif. Il nous semble donc indispensable de structurer la négociation collective et le paritarisme.

J'ai proposé que le Haut conseil comprenne quatre commissions. La première serait consacrée à la prévoyance et à la vie quotidienne. La deuxième, à la sécurité sociale professionnelle – chargée de l'emploi, de la formation, du chômage et peut-être de la santé et de la qualité de vie au travail et s'adressant donc essentiellement à des actifs. La troisième, à l'innovation, à la nouvelle économie, au numérique, aux questions écologiques et aux plateformes collaboratives. Nous avons en effet constaté que si les acteurs étaient très conscients des conséquences de l'ubérisation de la société, en termes de ressources des régimes de protection sociale et de défense des droits des travailleurs, aucun d'eux ne s'était vraiment saisi de la question de manière opérationnelle – à l'exception peut-être d'une organisation syndicale ayant récemment organisé un congrès sur le sujet. L'administration ne l'a pas fait non plus, à l'exception de l'URSSAF qui a récemment souhaité imposer un redressement à Uber. Enfin, il nous semble essentiel que le système se dote de moyens de contrôle et d'évaluation. Cette mission pourrait être confiée à ce Haut conseil mais aussi à la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) ou encore à des corps de contrôle de l'État. Cela étant, si l'on veut adresser un signe de confiance aux partenaires sociaux dans un rapport qui, quoi qu'il en soit, les bousculera, il nous semble opportun de leur confier cette responsabilité. Car si l'idée de créer une commission de contrôle est fortement défendue par la CFTC et la CGT, les autres organisations n'y ont certes pas été opposées mais l'on a bien senti que leurs habitudes en seraient chamboulées. Ce que le président de la mission et moi-même recherchons, c'est une rigueur de gestion mais pas la remise en cause de la place des acteurs sociaux dans le pays.

Le Haut conseil aura une double fonction : la négociation collective dans le cadre de l'article L. 1 du code du travail et la structuration du paritarisme par grands domaines d'activité. Il ne s'agira pas d'un conseil de plus mais de la clef de voûte d'une nouvelle architecture.

La deuxième proposition vise à développer la culture du dialogue social. Il faut que les acteurs apprennent à se parler, à se connaître et à comprendre la valeur du dialogue et du compromis. Nous suggérons donc la création d'un Institut des hautes études du dialogue social. C'est une proposition du président que j'ai reprise bien volontiers, car cela me paraît tout à fait essentiel. Certains ont participé à ce type de formations, que ce soit à l'Institut des hautes études de défense nationale ou dans le cadre du dialogue social – puisque l'Institut national du travail (INT) organise déjà des séquences de formation annuelles au profit des syndicalistes, des dirigeants d'entreprise et des fonctionnaires.

Troisième proposition, nous invitons les partenaires sociaux et les pouvoirs publics à une réforme importante de la formation professionnelle et de l'emploi, domaines dans lesquels on a besoin de passer d'une logique d'assurance du risque à une logique d'ingénierie des parcours. L'objectif est de prendre les individus en considération tout au long de leur vie et pas simplement à un moment donné. Il nous semble à cet égard que l'on pourrait procéder par étapes. J'ai eu à ce sujet des discussions avec le président et certains d'entre vous : je suis le tenant, à terme, d'un régime unique de sécurité sociale professionnelle chapeauté par un organisme unique de type Unédic gérant l'ensemble des questions liées au parcours professionnel. Paritaire, cet organisme serait agréé ou bien soumis à une convention d'objectifs et de gestion – outil qui nous a paru très utile au fil de nos auditions. Alors qu'un agrément fonctionne selon une logique du tout ou rien, une convention d'objectifs permet de planifier dans une perspective pluriannuelle. Quelles que soient les modalités juridiques retenues, cet organisme unique gèrerait à la fois la formation professionnelle, les parcours professionnels, l'emploi et le chômage grâce à un opérateur intégré – idée qui, aux yeux du directeur général de Pôle Emploi, a paru pertinente mais difficilement envisageable à court terme. Cette solution permettrait d'aider au mieux les individus tout au long de leur vie. Les travailleurs pourraient ainsi, lorsqu'ils sont salariés, anticiper le moment où ils risqueraient d'être au chômage. Et lorsqu'ils seraient au chômage, ils pourraient suivre les formations dont ils rêvaient lorsqu'ils étaient salariés – formations qui, au fond, dédramatisent le passage au chômage. Dans un système parfaitement cohérent, la période de chômage peut devenir une opportunité pour rebondir ailleurs au lieu d'un moment où l'on tombe au fond du trou.

Nous demandons donc aux partenaires sociaux de construire, par étapes, un système permettant d'y parvenir. Une étape pourrait consister à poursuivre la réforme de 2014 et à aboutir à un système d'assurance-formation. Une Agence nationale de l'évolution professionnelle gèrerait l'ensemble des conseils en évolution professionnelle. Nous demandons aussi aux partenaires sociaux de se saisir de la question de la transférabilité des droits relatifs à la gestion du temps. Une « banque du temps », interprofessionnelle, gèrerait de façon paritaire la possibilité de transférer les comptes épargne temps d'une entreprise à l'autre, cela n'étant possible aujourd'hui que partiellement et dans des conditions limitées. On peut, par exemple, consigner des jours de congé à la Caisse des dépôts et consignations mais cela est plafonné, notamment en termes fiscaux. Nous demandons aux partenaires sociaux d'aller au bout de cette logique et d'intégrer cette transférabilité dans le compte personnel d'activité. Il nous faut une organisation qui permette de passer d'une logique d'assurance du risque à une logique de suivi des parcours, en mobilisant toutes les capacités de formation, d'assurance-chômage, de transfert de droits liés à la pénibilité et au temps.

Le rapport consacre un long développement à la prévoyance et aux complémentaires santé – point essentiel à côté duquel nous ne pouvions passer. C'est l'un des sujets sur lesquels nos positions diffèrent. Je propose pour ma part, a minima, de réfléchir à un système permettant de gérer de manière collective des éléments de solidarité au sein d'une branche professionnelle. Pourquoi d'ailleurs ne pas créer, à partir des branches, un système de retraite complémentaire obligatoire ? Un tel système est un objectif de long terme qui ne sera sans doute pas partagé. En revanche, la remise en cause des clauses de désignation a conduit à une situation très délicate, porteuse d'un risque d'inégalité au regard de la possibilité d'être couvert par des assurances complémentaires. Il faut donc agir. J'ai envisagé, d'une part, un système de garantie, par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), des organismes désignés par les branches professionnelles et, d'autre part, la création d'un statut juridique de convention collective de sécurité sociale. Je précise d'ailleurs, par rapport au texte que vous avez sous les yeux, que ce sont pour moi des conventions collectives de sécurité sociale complémentaire : il ne s'agit pas de remettre en cause la sécurité sociale pour en faire un outil conventionnel. D'après les juristes qui ont travaillé sur la question, Maître Jacques Barthélémy ou M. Dominique Libault, des régimes de prévoyance de branche semblent compatibles avec les règles européennes, même si la constitutionnalité d'un tel dispositif reste incertaine. J'ai souhaité que le rapport soulève cette question, sachant que la prévoyance complémentaire représente 12 milliards d'euros, les retraites complémentaires, 75 milliards, et l'Unédic, 35 milliards. La capacité des branches professionnelles à définir des régimes complémentaires me semble essentielle.

Nous évoquons aussi le paritarisme d'entreprise et préconisons la présence d'un tiers de salariés dans les conseils d'administration, dans les entreprises de 300 salariés et plus, ainsi que la présence des salariés dans l'ensemble des comités du conseil d'administration, notamment au comité des rémunérations, et – pourquoi pas, comme en Allemagne – la présence de représentants désignés par les branches professionnelles dans les entreprises de plus de 5 000 salariés. L'objectif est de répondre à un besoin complémentaire de celui de la négociation collective : l'employeur et les salariés pourraient discuter, chacun avec leurs propres intérêts, de la stratégie de l'entreprise. Il me paraît fondamental que les salariés soient au coeur des conseils d'administration et que les branches professionnelles, dans les très grandes entreprises de notre pays, soient associées à la stratégie de ces dernières.

Enfin, nous nous sommes intéressés à la question du numérique, comme d'autres l'ont fait ces derniers temps. Nous avons constaté que les acteurs – organismes paritaires et État – se saisissaient insuffisamment rapidement du sujet et qu'il n'existait que très peu de données relatives à l'emploi et aux pertes de cotisations, pour la Sécurité sociale comme pour les régimes paritaires, occasionnées par l'économie numérique et l'ubérisation de la société. Nous demandons donc aux pouvoirs publics de se saisir de toute urgence de cette mission de production d'informations. D'autre part, nous reprenons la conclusion du rapport de notre collègue Pascal Terrasse, considérant qu'il n'y a pas urgence à créer un troisième statut, ce qui ferait courir le risque évident de créer un salariat dégradé. Il convient d'abord d'essayer de rattacher ces différentes activités aux statuts existants – auto-entrepreneuriat et salariat – et de faire en sorte qu'elles restent compatibles avec l'idée d'une économie de partage de frais, ce qui nous paraît acceptable en cette période d'activité naissante. En revanche, il nous semble extrêmement important que des négociations soient organisées sur ces questions dans chaque secteur d'activité et qu'au niveau interprofessionnel, les partenaires sociaux puissent discuter du type d'activités autorisées, de la notion de partage de frais ou de ce qui peut être considéré comme de l'autoentreprise. Il me semble dangereux que le législateur fixe des critères avant que n'ait eu lieu une consultation approfondie organisée par les pouvoirs publics. Nous proposons donc la tenue de ce que j'ai appelé une « COP 21 du numérique », c'est-à-dire un processus de discussion associant tous les acteurs concernés. Nous appelons aussi l'État et les partenaires sociaux à réfléchir aux principes fondamentaux de droit du travail qui pourraient s'appliquer à l'ensemble des travailleurs économiquement dépendants, à l'exclusion bien sûr des salariés qui sont couverts par le code du travail. Ces principes pourraient notamment s'appliquer aux travailleurs de l'économie collaborative. Le rapport soulève plusieurs questions, comme savoir à quelles conditions une plateforme collaborative peut décider de déréférencer un collaborateur, quelles possibilités a ce dernier de se défendre et de contester cette décision et auprès de qui. Nous évoquons aussi les systèmes de notation, pour lesquels il faut poser des règles de transparence et ouvrir des moyens de défense puisque ce sont les rémunérations des travailleurs concernés qui sont en cause, derrière ces systèmes.

Voilà, monsieur le président, chers collègues, un résumé très schématique des propositions de ce rapport.

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