Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 8 juin 2016 à 17h00
Mission d'information relative au paritarisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard :

Je vous remercie tout d'abord du travail effectué, extrêmement important en termes tant quantitatifs que qualitatifs.

J'exprimerai tout d'abord une demande. Nous avons eu la chance, au cours de cette mission, que nos auditions fassent systématiquement l'objet de comptes rendus – ce qui est loin d'être le cas dans toutes les missions d'information. Si ces comptes rendus ne sont pas regroupés en annexe au rapport, nous les perdrons. Or, certaines auditions furent très riches, voire drôles, comme celle de M. Raymond Soubie. Ce matériau très dense mérite d'être conservé, d'autant que le travail est fait. Cela pose peut-être un problème matériel mais qui ne me paraît pas insurmontable.

Ensuite, j'ignore s'il est encore possible de modifier le texte du rapport à ce stade, mais je formulerai quelques propositions.

Un point de détail : lorsque vous proposez que le Haut conseil de la négociation collective et du paritarisme entretienne avec l'Assemblée nationale une navette consultative, vous me semblez anticiper la réforme des institutions et postuler que le Sénat aurait disparu. Mieux vaudrait viser le Parlement. Je le précise car la question de l'existence du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental se pose véritablement.

J'entendais Isabelle Le Callennec dire que ce rapport n'est pas révolutionnaire, mais les membres de la Commission nationale de la négociation collective ne seront pas forcément très heureux de voir ce Haut conseil reprendre les fonctions de celle-ci. Par ailleurs, il est proposé d'institutionnaliser un jury citoyen, ce qui ne correspond pas vraiment au fondement de nos institutions.

Je suis favorable à l'institution d'une banque interprofessionnelle du temps. Mais la portabilité du compte épargne temps pose une vraie difficulté : les salariés auront des créances opposables à des employeurs chez lesquels les droits n'auront pas été accumulés. J'ignore si cette question est traitée dans le rapport mais elle peut avoir un impact sur l'embauche, un employeur étant susceptible de vouloir savoir quels sont les droits accumulés par un individu avant de le recruter. Comment gérer cette portabilité ? Faudra-t-il distinguer entre différentes tailles d'entreprises ? Là est la question, la banque du temps relevant plutôt de la gestion que de la politique.

Je suis parfaitement d'accord avec vous quant à la nécessité d'une « révision » – si je puis dire – de la jurisprudence constitutionnelle sur la force obligatoire des clauses conventionnelles de désignation. Le Conseil constitutionnel a annulé une disposition du code de la sécurité sociale en se saisissant d'une des mesures de la loi Sapin qui transposait l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, mettant à terre un dispositif qui avait fait ses preuves et qui était fondé sur une forme de solidarité. Toutes les institutions de prévoyance sont ainsi remises en cause – et elles ne sont pas les seules. Il est nécessaire de revenir sur cette annulation. Le Conseil constitutionnel n'était pas obligé de faire cette analyse. Il l'a faite et nous n'arrivons pas à trouver de dispositif alternatif. Ce qui est en jeu ici est la possibilité d'avoir des tarifs accessibles et acceptables pour les petites entreprises.

J'ai du mal à apprécier la réforme consistant à prévoir que l'AGS soit le réassureur des assureurs désignés ou recommandés par les partenaires sociaux. Notamment parce que les limites de garantie de l'AGS vis-à-vis des créances salariales en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d'une entreprise ont été très sévèrement diminuées par un décret qui a dû être publié un 14 août – est-ce un hasard ? Je ne suis pas sûr que l'AGS doive être le réassureur en cette matière.

Vous proposez d'introduire dans le droit national, le cas échéant en levant les éventuels obstacles constitutionnels, un nouveau vecteur juridique. Cela me paraît extrêmement intéressant mais il me semble que l'obstacle n'est pas de nature constitutionnelle mais bien communautaire. Vous l'expliquez parfaitement aux pages 140 à 149 du rapport. La question est de savoir si nous avons la capacité de faire modifier les directives applicables en la matière, bien plus que de modifier la Constitution qui, de mon point de vue, n'a pas du tout empêché, avant les arrêts Albany, d'adopter des conventions collectives de sécurité sociale. Les institutions de prévoyance – les fameuses institutions « L. 63 », en référence à l'ancien article L. 63 du code de la sécurité sociale – existaient et la Constitution n'a jamais empêché leur développement. C'est clairement le droit communautaire qui a limité leur essor. L'obstacle n'est constitutionnel que parce que le Conseil constitutionnel s'est cru bien inspiré en censurant la loi Sapin. Le jour où le droit communautaire nous permettra de faire ce que nous voulons, le Conseil constitutionnel pourrait revenir sur sa jurisprudence.

S'agissant de l'économie numérique, je ne suggèrerai pas, comme vous le faites, d'« engager une réflexion en vue de formaliser » les grands principes protecteurs applicables à l'ensemble des travailleurs économiquement dépendants, mais bien de « formaliser » directement ces principes. Autrement, on n'est pas près de le faire. Si nous sommes d'accord sur la nécessité d'édicter des principes protecteurs, affirmons-le plus nettement.

Vous proposez aussi d'« inviter les partenaires sociaux à engager une négociation de long terme sur les droits et obligations des travailleurs des plateformes ». L'un des apports de votre rapport est précisément de montrer la nécessité de reconnaître, en ce qui concerne les plateformes numériques, d'autres partenaires sociaux que ceux qui sont classiquement identifiés à ce jour. Vous dites que l'UNSA et la CGT Spectacles s'intéressent à ces questions. En outre, la CFDT n'est pas citée mais il me semble que Mme Véronique Descacq avait affirmé que ce syndicat incitait à l'adhésion des travailleurs du numérique. Mais, formellement, il peut y avoir des syndicats complètement indépendants des grandes confédérations – la difficulté étant que ces travailleurs ne sont pas reconnus comme salariés. Je suggère donc de conserver votre proposition mais de la compléter en évoquant la nécessité d'identifier des organisations syndicales ou professionnelles représentatives de ces travailleurs. Ces organisations pourraient être associées ou consultées à l'occasion des négociations. J'ai ici une rédaction que je peux vous transmettre pour mettre en valeur, dans vos propositions, cet aspect important du rapport. Pour savoir qui sont les partenaires sociaux dans l'économie dite numérique, nous avons besoin d'identifier les travailleurs des plateformes numériques, les donneurs d'ordres et les plateformes elles-mêmes.

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