Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 21 juin 2016 à 17h15
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Merci Madame la présidente de m'accueillir dans cette commission ; sous votre présidence, il s'agit d'une première dont je me réjouis. Comme vous l'avez indiqué, les dossiers traités par l'Autorité qui intéressent votre commission sont fort nombreux et il est important que nous rendions compte de nos travaux devant le Parlement. J'articulerai mon propos introductif autour de trois axes : les activités de l'Autorité qui se sont significativement alourdies ces dernières années : ses nouvelles missions dans le domaine des professions réglementées ; et les réformes récentes inspirées par les travaux de l'Autorité.

En 2015 et dans les premiers mois de 2016, l'activité de l'Autorité a été particulièrement soutenue : 39 affaires d'entente ou d'abus de position dominante ont été traitées en 2015, 9 d'entre elles aboutissant à des sanctions pour un montant cumulé de 1,252 milliard d'euros. Rappelons qu'en 2014, ce montant avait été de 1,013 milliard d'euros, montant qui a été recouvré à 100 %, ce qui est un élément notable, ne serait-ce que pour le budget de l'État.

Des affaires particulièrement importantes ont occupé l'Autorité. On peut citer, en particulier, une entente dans le secteur des messageries et des transports de colis impliquant les grands noms mondiaux du secteur. Dans le secteur des télécoms, nous avons sanctionné Orange pour des pratiques anti-concurrentielles sur le marché des entreprises avec une amende de 350 millions d'euros, amende qui n'a pas été contestée par l'entreprise, pas plus que les injonctions visant à mettre un terme à ces pratiques. Signalons qu'il s'agissait de l'amende individuelle la plus élevée jamais prononcée.

Le nombre de plaintes dont est saisie l'Autorité de la concurrence connaît une évolution particulièrement dynamique puisque le nombre de saisines contentieuses a doublé entre 2013 et 2014 et que l'augmentation a été de 50 % en 2015. Cela représente, certes, une reconnaissance de l'efficacité de l'action de l'Autorité mais pose néanmoins des problèmes matériels pour traiter ces dossiers.

En outre, l'Autorité a la possibilité de se saisir d'office pour aller chercher certaines affaires et vérifier que certains secteurs économiques fonctionnent de manière concurrentielle. En 2015, 16 procédures contentieuses ont ainsi été lancées sur ce fondement. Ces décisions sont lourdes à gérer car elles sont souvent contestées devant le juge et c'est pour répondre à cette difficulté que la loi Macron a ouvert à l'Autorité de la concurrence la possibilité de transiger pour éviter un recours contentieux. Je place beaucoup d'espoir dans ce nouvel outil.

À côté des ententes et des abus de position dominante, l'Autorité statue sur les fusions et les rachats d'entreprise pour vérifier que ces opérations ne dégradent pas la concurrence et le choix des consommateurs. Nous constatons une accélération de ces opérations et, en 2015, nous en avons examiné 192 dont 186 ont été autorisées sans condition. 6 n'ont par contre été autorisées que sous réserve d'engagements, acceptées par les entreprises : TotalAntargaz ; SARARubis ; Midi LibreDépêche du Midi ; SRPPRubis ; AudikaWilliams Demant et QuickBurger King. L'objectif est de répondre le plus rapidement possible à ces opérations de croissance externe : 40 % des décisions sont dites « simplifiées », c'est-à-dire qu'elles sont rendues à l'issue d'un examen de trois semaines.

Nous innovons et nous devons renouveler nos méthodes. Nous tenions aujourd'hui une séance au cours de laquelle nous examinions le projet de rachat de Darty par la Fnac. Ce rachat pose la question de la prise en compte des ventes en ligne réalisées par des entreprises telles qu'Amazon ou Pure Player, qui exercent une pression concurrentielle de plus en plus forte sur les magasins physiques, notamment dans le secteur de l'électrodomestique, regroupant l'ensemble des produits dits « gris » ou « bruns » – les téléviseurs, les chaines Hifi, la téléphonie, les ordinateurs, les périphériques… Nous souhaitons aborder cette question nouvelle.

Dans le secteur de la grande distribution, Auchan et Système U fusionnent dans les faits, mais non du point de vue capitalistique. En effet, chacun reste maître de son capital, et Système U demeure une organisation coopérative. En revanche, les deux entreprises mettent en commun leurs politiques commerciales, notamment leurs politiques d'achat, ainsi que leur logistique. Elles ne seront plus autonomes l'une par rapport à l'autre. En conséquence, nous analyserons cette opération comme une véritable fusion. Au-delà du contexte complexe de cette opération, qui va nous conduire à analyser plus de 300 zones de chalandise dans lesquelles existe un chevauchement, nous regarderons la pression concurrentielle qu'exercent les drive, mode nouveau d'accès du consommateur aux produits alimentaires.

Dans certains cas, nous ne convergeons pas avec les opérateurs. Deux opérations ont été récemment abandonnées en raison de notre désaccord soit sur l'analyse des marchés, soit sur les remèdes à mettre en oeuvre en contrepartie des risques concurrentiels que nous avions identifiés. C'est le cas de DecauxMetrobus, pour l'affichage extérieur. Amazon a également renoncé à racheter Colis Privé, un concurrent de la Poste dans le secteur des colis, parce que nous n'avions pas convergé sur les remèdes.

À côté de la lutte contre les ententes, les cartels et les abus de position dominante qui endommagent la concurrence, et au-delà de l'activité de contrôle des fusions ou des rachats, l'Autorité de la concurrence a travaillé à faire des propositions et à donner des avis, pour inspirer le travail gouvernemental et législatif. En 2015, nous avons rendu 22 avis importants, sur des champs extrêmement vastes, concernant la distribution alimentaire – notamment la question des centrales d'achat – les télécoms, les médias, les transports, le permis de conduire, les taxis, le ferroviaire, l'agriculture, les quotas de pêche, la santé, les laboratoires de biologie médicale ou encore l'énergie. Certains de ces avis sont notamment en lien avec l'activité nouvelle que nous confie la loi Macron en ce qui concerne les professions réglementées du droit. Depuis 2016, pas moins de 13 avis ont déjà été rendus. Cette activité, en pleine croissance, nous mobilise beaucoup.

Nous avons également lancé deux enquêtes sectorielles en 2016. Depuis la loi de modernisation de l'économie, votée en 2008, nous avons en effet la possibilité de nous saisir de notre propre initiative, pour scruter le fonctionnement concurrentiel de marché, et poser un certain nombre de questions : existe-t-il des obstacles à la concurrence dans un secteur donné ? De quelle nature sont-ils ? Viennent-ils des comportements des entreprises ? Viennent-ils de malfaçons de textes qu'il faudrait corriger ? L'Autorité fait alors des préconisations aux entreprises, mais aussi au Gouvernement, pour lever ces obstacles à la compétitivité, secteur par secteur, de manière à favoriser une meilleure concurrence, plus de croissance et plus d'emplois. Nous choisissons chaque année les sujets que nous souhaitons aborder.

Nous avions, en 2014, choisi la question des autocars : la proposition de l'Autorité a été entièrement reprise par la loi Macron, avec un bilan très positif pour la réforme. Deux sujets ont été identifiés pour l'année 2016. Le premier touche aux audioprothèses, enjeu moins anecdotique qu'il n'y paraît. De plus en plus de Français doivent en effet s'équiper d'appareils auditifs, lesquels sont mal remboursés par la sécurité sociale et mal pris en charge par les complémentaires santé, laissant un reste à charge important pour les patients. Les prix, de 1 100 à 1 200 euros par oreille corrigée, sont parmi les plus élevés en Europe. En conséquence, le taux d'équipement des Français est faible, autour de 32 %, seul un million et demi des quatre millions et demi de personnes susceptibles d'être appareillées l'étant effectivement. Au Royaume-Uni, ce taux est de 41 %. L'Autorité s'attachera à regarder toute la chaîne de formation des prix, pour rechercher la cause de leur caractère élevé. Il s'agira de se demander si les prix élevés sont liés à la concentration de la fabrication – 80 % du marché mondial étant partagé entre quatre acteurs – ou éventuellement aux circuits de distribution, qui montrent une certaine dépendance à l'égard des fabricants et pourraient créer un obstacle à l'arrivée de nouveaux entrants.

Il s'agira aussi de rechercher les justifications aux marges très importantes réalisées par les audioprothésistes – la Cour des comptes relevant un rapport de un à trois et demi entre le prix d'achat de l'audioprothèse et le prix de la pose par l'audioprothésiste – ainsi qu'au numerus clausus de la profession d'audioprothésiste. Enfin, nous nous demanderons quel est le rôle des réseaux de soins sélectionnés par les complémentaires santé et s'ils peuvent exercer un rôle de prescription, qui serait un contre-pouvoir à ces prix élevés. Nous lancerons, dans les prochains jours, une concertation publique à partir d'un constat préliminaire et de questions, avant de rendre publics les résultats de notre enquête pour la fin de l'année.

Le deuxième sujet choisi est celui de la publicité en ligne. Il y a quatre ans, nous nous étions déjà penchés sur le secteur et avions identifié le rôle dominant de Google, devenu un acteur incontournable dans la publicité en ligne. Nous souhaitons aujourd'hui prolonger et actualiser les constats que nous avions alors faits. Nous voulons également mettre l'accent sur la question des données, sujet peu traité. En effet, avec le développement du big data, qui irrigue beaucoup de secteurs économiques, les données constituent de plus en plus le « carburant » de la nouvelle économie. Elles permettent à des entreprises traditionnelles de construire des plans d'affaires ou de développer de nouveaux projets. Elles deviennent surtout, en elles-mêmes, la source d'une nouvelle activité économique.

Alors que chacun a le sentiment d'utiliser gratuitement un certain nombre de services – Facebook, Twitter, Google… – nous transférons en réalité, involontairement, toute une série de données personnelles, en particulier celles associées aux traces laissées par nos consultations sur ces réseaux. Ces données sont collectées, triées, hiérarchisées, et revendues ou réutilisées à des fins commerciales. L'Autorité s'interroge : ces données, qui deviennent un intrant de plus en plus important de l'activité économique, sont-elles réplicables ? Ne constituent-elles pas un élément très important du pouvoir de marché ? Les autorités de la concurrence sont-elles en mesure d'appréhender ce phénomène et de mesurer le pouvoir de marché de ces acteurs, qui s'intègrent de plus en plus verticalement ? C'est en effet pour pouvoir collecter une série de données, dont la valeur économique est considérable, que Facebook a racheté WhatsApp et que Microsoft a racheté LinkedIn, réseau professionnel le plus important au monde, comportant un nombre considérable d'informations sur les profils professionnels de ses utilisateurs.

Nous aborderons ces questions dans le cadre de notre étude sur la publicité en ligne, les données permettant justement de mieux cibler les publics auxquels les marques s'adressent. Nous voudrions y voir plus clair, comprendre comment cette industrie fonctionne et s'il existe des risques liés à l'intégration verticale de certains acteurs, ainsi que des risques en termes de discrimination ou de conflit d'intérêts. Nous verrons, en fonction des obstacles que nous aurons constatés, si des modifications législatives sont éventuellement nécessaires. En ce cas, nous les transmettrons aux autorités compétentes.

Nous ambitionnons de faire beaucoup, et nombreux sont ceux qui nous demandent si nous ne sommes pas gagnés par le zèle, si nous n'affaiblissons pas les entreprises en imposant des amendes élevées et tous azimuts. Je voudrais insister sur le fait que les amendes que nous avons prononcées en 2015 n'ont pas été infligées à des petites entreprises, mais à de très grandes entreprises, agissant sur des marchés européens ou mondiaux, telles que DHL, Royal Mail ou Orange. Par ailleurs, et il est très important de le savoir, les personnes affectées par les pratiques que nous sanctionnons ne sont pas seulement les consommateurs individuels, mais aussi les PME, principales victimes des cartels ou des abus de position dominante de leurs fournisseurs. Or, le propre des PME est de ne pas disposer du contre-pouvoir de négociation permettant d'échapper à ces dérives anti-concurrentielles.

Enfin, l'Autorité n'est pas aveugle dans sa politique de sanction : quand nous avons devant nous des entreprises en difficulté, nous en tenons compte ; lorsque le consentement à payer des entreprises est affecté par des difficultés conjoncturelles ou structurelles, nous en tenons compte. Dans l'affaire de la messagerie du transport de colis, nous avons accordé des réductions de sanctions, allant jusqu'à 90 % du montant, pour six des vingt entreprises, petites et affaiblies par la crise dans un secteur qui se porte mal. Nous avons aussi fait preuve de pragmatisme dans le secteur agro-alimentaire : l'affaire de l'entente sur les volailles a fait l'objet d'une mesure bienveillante et clémente de notre part, qui a donné un stimulus à la création d'une interprofession, laquelle manquait cruellement au secteur.

Depuis la création de l'Autorité en 2009, nous avons toujours cherché à accompagner le regroupement des coopératives et ne nous sommes jamais opposés aux regroupements de ces dernières qui nous avaient été notifiés, parce que nous pensons que cette consolidation des producteurs est nécessaire. Les années 2015 et 2016 ont confirmé cette tendance. J'ai également écrit aux présidents de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) une lettre n'opposant pas d'objection à la création d'un fonds transitoire devant permettre de soulager la trésorerie dans la filière porcine, qui souffre particulièrement de la crise.

Nous reviendrons sur la question des centrales d'achat à l'occasion de l'examen de l'opération AuchanSystème U. La loi Macron a aussi innové en imposant aux enseignes de nous informer à l'avance des alliances qu'elles concluent en matière d'achats, au-delà d'un certain seuil. Certes, la loi a été votée après la vague des alliances qui a eu lieu à l'automne 2014 (AuchanSystème U ; IntermarchéCasino ; CarrefourProvera) afin de mettre en commun les achats d'un certain nombre de produits. Nous venons toutefois de recevoir un complément d'alliance signé entre Carrefour et Provera, sur des produits de premier prix. Ce complément devait nous être notifié pour information : nous allons l'examiner avant qu'il soit mis en oeuvre, et ce sous deux mois.

Sur la question des professions réglementées du droit, la loi Macron a permis de beaucoup avancer, étape par étape. Nous avons mis en place une équipe spécifique afin de gérer ces problématiques, qui concernent tant la réforme des tarifs que la modernisation du cadre applicable à l'installation de ces professionnels.

En ce qui concerne les tarifs, le Gouvernement a pris des textes d'application qui conduisent à leur baisse – mesurée, certes –, notamment pour les notaires, les huissiers et les greffiers des tribunaux de commerce. Un examen plus économique des coûts supportés par ces professionnels a permis cette régulation, afin qu'ils puissent dégager une marge raisonnable compte tenu de l'investissement en capital, et en temps, qu'ils réalisent dans leurs offices et entreprises.

Pour les notaires, la baisse des tarifs est d'environ 2,5 % ; l'essentiel de cette baisse porte sur l'écrêtement des émoluments perçus pour les transactions de faible montant (10 % du sous-jacent, pour des transactions de moins de 11 400 euros). Aujourd'hui, en effet, dans certaines zones rurales, un certain nombre de parcelles agricoles ou forestières ne sont pas transmises car les frais de notaire excèdent la valeur du bien. C'est un obstacle à la mobilité ou au regroupement des forêts : des transactions, qui pourraient être efficaces pour l'exploitation agricole et sylvicole, ne sont alors pas réalisées. C'est également le cas, dans des grandes villes, pour des lots de copropriété dont le coût de transmission excède la valeur du bien – c'est toutefois moins fréquent qu'en milieu rural.

Sur la question de l'installation de ces professionnels, nous venons de publier la carte d'installation des notaires que la loi nous a chargés de proposer au Gouvernement. Depuis longtemps, la démographie des notaires n'a pas évolué : il n'y a pas eu de vision d'ensemble. Certes, la densité des notaires est honorable, voire satisfaisante par rapport à d'autres pays européens. Mais la vérité commande de dire que certaines zones subissent un déséquilibre entre l'offre et la demande de services notariaux. Il est temps, comme en matière de découpage électoral ou pour d'autres professions, d'ajuster cette offre et cette demande, ce qui n'a jamais été fait auparavant. Notre travail – considérable – a consisté à cartographier la France, à l'aide des zones d'emplois définies par l'Insee, corrigées sur certains points. 307 zones ont été jugées pertinentes pour évaluer l'offre et la demande de services notariaux. Nous avons préconisé que dans 247 de ces zones, de nouveaux notaires puissent s'installer. Il s'agirait, selon nous, d'augmenter le nombre de notaires de 20 %, soit 1 650 professionnels libéraux supplémentaires dans deux ans.

Deux objectifs sous-tendent cette proposition : améliorer le maillage territorial, d'abord, car certaines villes ou quartiers périphériques manquent de notaires ; ensuite, rajeunir la profession et donner des perspectives aux notaires salariés. Beaucoup de ces derniers ne trouvent pas à s'installer, et vivent dans un statut sans perspective de pouvoir s'installer à leur compte, et exercer le métier pour lequel ils ont été formés. Nous avons auditionné beaucoup de jeunes notaires, rarement entendus autrement, qui forment le gros des études. Nous voulions les entendre : ils sont porteurs de projets intéressants, souhaitent utiliser les outils numériques dans leur office, créer des services innovants ou encore effectuer des remises tarifaires dans le cadre offert par la loi Macron. Il faut leur donner des perspectives ; à défaut, la France leur tournerait le dos, ce qu'ils ne comprendraient pas. Nous appelons à un renouvellement démographique, à une ouverture de la profession, à une plus forte différenciation des services grâce à l'installation de ces jeunes – et parmi eux, des femmes. Je rappelle qu'un des objectifs de la loi Macron est de veiller à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans l'exercice de ces professions.

Le Gouvernement doit statuer, sous peu, sur la proposition de cartographie que nous avons faite. Je souhaite qu'elle soit approuvée, car elle est raisonnable. Elle est construite de manière à ne pas mettre en péril les offices existants, notamment dans les zones rurales. On nous a reproché de créer des déserts juridiques en zone rurale : c'est l'inverse ! Nous allons mieux couvrir la France en services notariaux. Notre proposition préserve les offices dans des zones pour lesquelles le Gouvernement pourra s'opposer à l'installation de nouveaux professionnels, afin de ne pas mettre en péril la viabilité des offices existants, le plus souvent en milieu rural.

Je terminerai par un exemple intéressant de bonne collaboration entre le Gouvernement, l'Autorité et le Parlement : la réforme du transport par autocar. Une enquête sectorielle menée par l'Autorité de la concurrence l'avait conduite à se saisir de ce sujet. Dans notre pays, l'offre est marquée par des opérateurs puissants – Eurolines est une filiale de la Caisse des dépôts et consignations ; OuiBus a été lancée par la SNCF –, mais, paradoxalement, la France était le pays le plus fermé au niveau réglementaire dans le transport par autocar sur longue distance. Eurolines est présent dans plusieurs pays comme la République tchèque, l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre, mais le marché domestique ne lui était pas ouvert. Nous avons donc considéré qu'il s'agissait d'une bonne réforme : par induction, une demande nouvelle allait émerger, en provenance de personnes plus sensibles au prix qu'au temps, comme les jeunes ou les seniors. Cette demande de transport allait créer, en amont, la construction d'autocars et la formation de conducteurs ; en aval, entraîner des dépenses de restaurant, de logement, de billets pour des musées, bref, de la croissance et de l'emploi.

Cette réforme a été adoptée par le Parlement sans remise en cause des équilibres que nous préconisions. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) se voit confier les rênes réglementaires de cette nouvelle activité économique. Quelques chiffres devraient mettre fin aux railleries parfois entendues à propos de cette réforme : près de 1,1 million de voyageurs ont été transportés au premier trimestre de 2016. Depuis huit mois, date d'entrée en vigueur de la réforme, les cinq principaux opérateurs ont transporté près de 1,86 million de personnes, contre 110 000 sur toute l'année 2014. 1 200 emplois ont été créés, principalement des conducteurs. 150 villes françaises sont mieux desservies, grâce à des liaisons qui n'existaient pas auparavant. Loin de se substituer au train, ces liaisons s'y ajoutent, notamment là où le train n'allait pas. 566 départs d'autocars sont à relever chaque jour depuis 204 points d'arrêt. Plus de concurrence et plus d'ouverture peuvent stimuler la croissance économique et l'emploi, au bénéfice aussi – ce qui est important – des jeunes, à qui cette réforme parle. Un billet de train coûte cher : les jeunes n'ont plus à renoncer à voyager.

Voici le type de réformes que l'Autorité souhaite défendre : bonnes pour la France, bonnes pour la compétitivité de secteurs nouveaux, bonnes pour les plus jeunes. Les avis que nous avons rendus sur le transport par taxi ou sur le permis de conduire vont dans le même sens. Pour prendre ce dernier exemple, le permis de conduire est souvent le passeport de l'entrée dans le monde du travail, notamment en milieu rural : il y a beaucoup à faire pour le démocratiser.

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